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« Carter ?

— J’m’en occupe, patron. » La torche coincée sous une aisselle, Carter sortit la bouteille vide de son emplacement — une plaque métallique qui aurait pu en supporter une dix fois plus grosse —, mit la pleine à la place et brancha le détendeur.

Chacune des minutes gagnées comptait… était-ce si sûr ? Pourquoi devraient-elles compter, puisque tout se terminerait sur la même conclusion étouffante ?

Mais le gardien de la survie en lui estimait que cette question était une connerie. Le gardien de la survie estimait que soixante-douze heures, c’était soixante-douze heures, et que chaque minute de ces soixante-douze heures comptait. Car qui connaissait l’avenir ? Les militaires trouveraient peut-être une solution pour faire sauter le Dôme. Celui-ci pouvait même disparaître de lui-même, d’une manière aussi instantanée et inexplicable qu’il s’était mis en place.

« Carter ? Qu’est-ce que tu fabriques, là-bas ? Ma cueilleuse de coton de grand-mère pourrait se bouger plus vite, et elle est morte !

— J’ai presque fini. »

Il s’assura que le branchement était bien verrouillé et posa le pouce sur le bouton de démarrage (se disant que si les piles qui alimentaient le démarreur étaient aussi anciennes que celles des éclairages de secours, ils étaient mal barrés). Puis il interrompit son mouvement.

Soixante-douze heures pour deux personnes. Mais s’il était seul ? Il pourrait tenir jusqu’à quatre-vingt-dix heures, voire cent, en coupant le purificateur jusqu’à ce que l’air devienne irrespirable. Il avait avancé cette idée devant Big Jim, lequel l’avait rejetée sur-le-champ.

« J’ai un cœur capricieux, avait-il rappelé à Carter. Plus l’air est vicié, plus il a de chances de me jouer des tours. »

« Carter ? » Le ton était plus fort, exigeant. Un ton qui agressait ses oreilles de la même manière que l’odeur de ses sardines lui agressait les narines. « Qu’est-ce qui se passe, à la fin ?

— Tout est réglé, patron ! » cria Carter en appuyant sur le bouton.

Le démarreur obtempéra docilement et le générateur se mit aussitôt à tourner.

Faut que je pense à ça, se dit Carter. Mais le gardien de survie voyait les choses différemment. Le gardien de survie considérait que chaque minute perdue était une minute gaspillée.

Il a été bon pour moi. Il m’a donné des responsabilités.

Ce qu’il t’a donné, ce sont les boulots merdiques qu’il n’avait pas envie de faire lui-même. Et un trou dans la terre pour aller y crever. Ça aussi.

Carter prit sa décision. Il tira le Beretta de son étui en retournant vers la salle principale. Il envisagea de planquer l’arme dans son dos, pour que la patron ne se doute de rien, puis changea d’avis. L’homme l’avait appelé fiston, tout de même, et peut-être avait-il été sincère. Il méritait mieux qu’une balle tirée dans la nuque et de partir sans s’y être préparé.

10

Il ne faisait pas sombre, tout au nord-est de la ville ; si le Dôme était terriblement encrassé, il était cependant loin d’être opaque. Le soleil brillait au-travers, nimbant tout d’un rose fiévreux.

Norrie se précipita vers Barbara et Julia. Elle toussait et soufflait, mais courait néanmoins.

« Mon papi a une crise cardiaque ! » gémit-elle avant de tomber à genoux, haletante.

Julia passa un bras autour des épaules de la fillette et lui tourna le visage vers les ventilateurs qui grondaient toujours. Barbie rampa jusqu’à l’endroit où les exilés entouraient le groupe formé par Ernie Calvert, Rusty Everett, Ginny Tomlinson et Dougie Twitchell.

« Faites-lui de la place, dit sèchement Barbie, il faut qu’il ait de l’air !

— C’est bien le problème, lui fit remarquer Tony Guay. On lui a donné ce qui restait… le truc qu’on gardait en principe pour les enfants… mais…

— Épinéphrine », dit Rusty. Twitch lui tendit une seringue. Rusty fit la piqûre. « Ginny, commence le massage. Twitch te remplacera quand tu seras fatiguée. Et moi ensuite.

— Moi aussi, je veux le faire », dit Joanie. Des larmes coulaient le long de ses joues, mais elle paraissait avoir gardé son sang-froid. « J’ai suivi une formation de secouriste.

— Moi aussi, dit Claire. Je donnerai un coup de main.

— Et moi, dit calmement Linda. J’ai même suivi le cours de remise à jour, l’été dernier. »

C’est une petite ville, et tout le monde soutient l’équipe, pensa Barbie. Ginny, dont le visage était encore enflé, séquelle de ses blessures, commença le massage cardiaque. Elle laissa la place à Twitch au moment où Julia et Norrie rejoignaient Barbie.

« On va pouvoir le sauver ? demanda la fillette.

— Je ne sais pas », répondit Barbie.

Sauf qu’il le savait. C’était ça qui était terrible.

Barbie regardait les gouttes de sueur tomber du visage de Twitch et venir assombrir la chemise d’Ernie. Au bout de cinq minutes, l’ambulancier dut s’arrêter, incapable de contrôler sa toux. Lorsque Rusty voulut prendre sa place, il secoua la tête. « Il est parti, dit Twitch, ajoutant, tourné vers Joanie : Je suis désolé, Mrs Calvert. »

Tout le visage de Joanie trembla, puis se contracta. Elle laissa échapper un cri de chagrin qui se transforma en quinte de toux. Norrie la serra dans ses bras, toussant elle-même.

« Barbie ? fit une voix. Un mot. »

C’était Cox, habillé à présent d’une tenue de camouflage, complétée d’un blouson en mouton retourné pour lutter contre la fraîcheur qui régnait de l’autre côté. L’expression fermée qu’il arborait ne présageait rien de bon. Julia accompagna Barbie. Ils s’approchèrent du Dôme, s’efforçant de respirer lentement et régulièrement.

« Il y a eu un accident à la base aérienne de Kirtland, au Nouveau-Mexique, dit Cox, parlant bas. Pendant les derniers tests de la charge nucléaire de faible puissance que nous voulions utiliser, et… merde.

— Elle a explosé ? fit Julia, effarée.

— Non, madame, elle a fondu. Deux personnes ont perdu la vie et cinq ou six autres ont toutes les chances de mourir de brûlures ou d’empoisonnement du fait des taux d’irradiation qu’elles ont subis. Nous avons perdu cette saloperie de bombe.

« Dysfonctionnement ? » demanda Barbie, espérant presque que ce serait l’explication car, dans ce cas, elle n’aurait pas explosé non plus contre le Dôme.

— Non, colonel, ce n’est pas l’arme. Raison pour laquelle j’ai employé le terme accident. Un accident comme il s’en produit quand on veut faire trop vite, et le fait est que nous nous sommes tous bougé le cul comme des malades.

— Je suis désolée pour ces personnes, dit Julia. Les familles ont été prévenues ?

— Étant donné votre situation actuelle, je trouve particulièrement touchant de votre part de penser à ça. Elles ne vont pas tarder à l’être. L’accident a eu lieu à une heure, ce matin. Le travail a immédiatement repris sur Little Boy 2. Elle devrait être prête dans trois jours. Quatre tout au plus. »

Barbie hocha la tête. « Merci, monsieur, mais je ne suis pas sûr que nous tiendrons tout ce temps. »

Un gémissement, faible mais prolongé — celui d’une enfant —, monta de derrière eux. Barbie et Julia se retournèrent au moment où le gémissement se transformait en une toux râpeuse et haletante. Ils virent Linda s’agenouiller à côté de sa fille aînée et la prendre dans ses bras.

« Elle peut pas être morte, sanglotait Janelle. Audrey peut pas être morte ! »