— Il vaudra mieux en prélever une aussi sur la voiture, par précaution, dit Barbie. Je suppose que vous avez un cric ? »
Julia acquiesça.
Rommie Burpee sourit, mais sans humour. « On fera la course jusqu’ici, doc. Votre van contre la Prius de Julia.
— C’est moi qui conduirai la Prius, intervint Piper. Vous, vous restez où vous êtes, Rommie. Vous avez une tête de merde.
— Quel langage pour un pasteur, grommela Rommie.
— Vous devriez être reconnaissant que je me sente encore assez pleine de vie pour dire des grossièretés. »
En réalité, la révérende Libby semblait loin d’être pleine de vie, mais Julia ne lui en tendit pas moins les clefs. Aucun d’entre eux, pour tout dire, ne paraissait prêt à aller faire la tournée des grands-ducs ; Claire McClatchey, en particulier, était d’une pâleur à faire peur, mais Piper avait l’air un peu plus en forme que les autres.
« Entendu, dit Sam. Il reste encore un petit problème, mais tout d’abord…
— Quoi ? demanda Linda. Quel petit problème ?
— Ne vous inquiétez pas pour ça, pour le moment. On commence par rapatrier nos tas de ferraille. Quand voulez-vous y aller ? »
Rusty regarda celle qui était le pasteur de Chester’s Mill. Piper fit « oui » de la tête. « Pas de meilleur moment que maintenant », dit Rusty.
3
Le reste des citoyens de Chester’s Mill les regardèrent opérer, mais pas seulement eux. Cox et près d’une centaine de soldats s’étaient rassemblés près du Dôme et suivaient la scène des yeux au travers.
Rusty et Piper s’hyperventilèrent, collés au Dôme, chargeant leurs poumons d’autant d’oxygène que possible. Puis ils coururent, main dans la main, en direction des véhicules. Ils se séparèrent quelques mètres avant mais Piper trébucha, chuta sur un genou et laissa tomber les clefs de la Prius. Un murmure parcourut son public.
Elle ramassa le trousseau dans l’herbe et se remit aussitôt debout. Rusty avait déjà rejoint l’Odyssey et lancé le moteur, au moment où Piper ouvrait la portière de la petite voiture verte et se jetait à l’intérieur.
« J’espère qu’ils n’ont pas oublié de couper la clim », marmonna Sam.
Les véhicules effectuèrent un demi-tour presque parfaitement synchronisé, et la Prius se mit à talonner le van comme un chien de berger poursuit un mouton égaré. Ils roulèrent rapidement vers le Dôme, cahotant sur le sol inégal. Les exilés s’écartèrent, Alva portant Alice Appleton dans ses bras, Linda avec une J sous chacune de ses ailes.
La Prius s’arrêta à moins de trente centimètres de la barrière maculée de suie, mais Rusty prit le temps de manœuvrer le van pour le présenter par l’arrière.
« Votre mari a des couilles au cul et des poumons d’acier », déclara Sam à Linda d’une voix tranquille.
« C’est parce qu’il a arrêté de fumer », répondit Linda, et soit elle n’entendit pas Twitch glousser, soit elle ne voulut pas l’entendre.
Poumons d’acier ou pas, Rusty ne traîna pas. Il claqua la portière et se précipita vers le Dôme. « Du gâteau », eut-il le temps de dire avant de se mettre à tousser.
« L’air dans le van est-il respirable, comme l’a prétendu Sam ?
— Mieux que ce qu’on a ici. » Il partit d’un petit rire distrait. « Mais il a aussi raison quand il dit que chaque fois qu’on ouvre une portière, on perd un peu de bon air et on fait entrer un peu d’air vicié. On devrait sans doute pouvoir aller jusqu’à la boîte avec l’air de l’habitacle, mais je ne suis pas sûr qu’on pourrait revenir sans celui des pneus.
— C’est pas vous qui allez conduire », dit Sam en regardant Rusty et Piper. « C’est moi. »
Barbie sentit son premier sourire authentique — depuis des jours — se dessiner sur ses lèvres. « Je croyais que vous n’aviez plus votre permis ?
— Vous voyez des flics par ici, vous ? » rétorqua Sam. Il se tourna vers Cox. « Et vous, mon colon ? Vous en voyez, des pieds nickelés ou des gars de la police montée ?
— Pas un », répondit Cox.
Julia tira Barbie de côté. « Vous êtes bien certain de vouloir faire ça ?
— Oui.
— Vous savez que vos chances de réussite oscillent entre minces et zéro, n’est-ce pas ?
— Oui.
— Supplier… vous savez faire ça, colonel Barbara ? »
Il retourna soudain au gymnase de Falludjah : Emerson donnant un violent coup de pied dans les couilles d’un prisonnier, Hackermeyer tirant un autre type par son turban et lui collant son pistolet sur la tempe. Le sang avait giclé sur le mur comme il a toujours giclé sur les murs depuis l’époque où les hommes s’affrontaient à coups de massue.
« Aucune idée, avoua Barbie. Tout ce que je sais, c’est que c’est mon tour. »
4
Aidé de Pete Freeman et Tony Guay, Rommie mit la Prius sur le cric et en retira un pneu. C’était une petite voiture et, en temps ordinaire, ils auraient été capables de la soulever par l’arrière, à trois. Pas aujourd’hui. Le véhicule avait beau être garé tout près des ventilateurs, ils durent se précipiter jusqu’au Dôme à plusieurs reprises avant d’en avoir terminé. À la fin, Rose prit la place de Tony qui toussait trop pour continuer.
Finalement, ils se retrouvèrent avec deux pneus neufs posés contre le Dôme.
« Jusqu’ici, tout va bien, dit Sam. Bon. Autre petit problème, maintenant. J’espère que quelqu’un aura une idée, parce que moi, je n’en ai pas. »
Tous le regardèrent.
« D’après Peter, les types avaient démoli la valve et respiré directement dessus. Mais dans notre cas, ça peut pas fonctionner. Il faut gonfler ces sacs, ce qui signifie faire des trous plus gros. Bien sûr, on pourrait crever les pneus, mais si on ne peut pas enfoncer un truc dans le trou, un truc comme une paille, on va perdre plus d’air qu’on n’en récupérera. Alors, comment on va s’y prendre ? » Il regarda autour de lui, plein d’espoir. « Personne n’a apporté de tente, j’imagine ? De celles qui ont des piquets en tubes d’aluminium ?
— Les filles en ont une petite pour jouer, dit Linda, mais elle est à la maison, dans le garage. »
Puis elle se souvint qu’elle n’avait plus de garage. Ni la maison qui allait avec, et elle éclata d’un rire nerveux.
« Le corps d’un stylo à bille, peut-être ? proposa Joe. J’ai un Bic…
— Pas assez gros, dit Rennie. Rusty ? Qu’est-ce que vous avez dans l’ambulance ?
— Un tube à trachéo, peut-être ? » avança-t-il, dubitatif, avant de répondre à sa propre question : « Non, trop petit aussi. »
Barbie se tourna : « Colonel Cox ? Une idée ? »
Cox secoua la tête à contrecœur. « Nous avons probablement ici des milliers de trucs qui feraient l’affaire, mais non, je n’ai pas d’idée.
— Nous ne pouvons pas nous laisser arrêter par ça ! » s’écria Julia. Il y avait de la frustration et un début très net de panique dans sa voix. « Y’a qu’à laisser tomber les sacs ! On respirera directement sur les pneus ! »
Sam secouait déjà la tête. « Ça marchera pas, madame. Désolé, mais ce n’est pas la solution. »
Linda se pencha contre le Dôme, prit plusieurs profondes inspirations et retint la dernière. Puis elle s’approcha de l’Odyssey, dégagea un coin propre sur la vitre arrière et scruta l’intérieur. « Le sac est encore là, dit-elle. Merci mon Dieu.
— Quel sac ? demanda Rusty en la prenant par les épaules.
— Celui de la boutique Best Buy dans lequel il y a ton cadeau d’anniversaire. Le 8 novembre. T’as oublié ?
— Oui, j’ai oublié. Exprès. Qui diable aurait envie d’avoir quarante ans ? C’est quoi ?