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— Je savais que si je l’apportais à la maison avant de l’avoir emballé, tu le trouverais… » Elle regarda les autres, la mine sérieuse, le visage aussi barbouillé de crasse qu’un gamin des rues de Bogota. « Vous pouvez pas savoir comme il est fouineur. Alors je l’ai laissé dans le van.

— Et c’est quoi, ce cadeau que tu voulais lui faire, Linda ? demanda Jackie Wettington.

— Un cadeau pour tout le monde, j’espère », répondit Linda.

5

Une fois prêts, Barbie, Julia et Sam le Poivrot embrassèrent tous les autres, y compris les enfants. On ne lisait guère d’espoir sur le visage des deux douzaines d’exilés qu’ils laissaient derrière eux. Barbie essaya de se raconter que cela tenait à leur épuisement et au manque chronique d’oxygène, mais il n’y croyait pas lui-même. Ces baisers étaient un adieu.

« Bonne chance, colonel Barbara », dit Cox.

Barbie lui adressa un bref signe de la tête et se tourna vers Rusty : « Ne désespérez jamais et ne laissez personne sombrer dans le désespoir. Si nous échouons, prenez soin d’eux aussi longtemps et aussi bien que vous pourrez.

— C’est bien compris. Et vous, faites de votre mieux. »

Barbie eut un mouvement de tête vers Julia. « C’est surtout à elle de jouer, je crois. Mais même si ça ne marche pas, nous arriverons peut-être à revenir ici.

— Bien sûr, que vous y arriverez. »

Rusty avait répondu avec chaleur, mais ce qu’il pensait se lisait dans ses yeux.

Barbie lui donna une tape sur l’épaule, puis alla rejoindre Sam et Julia près du Dôme pour prendre une dernière fois de longues bouffées du peu d’air frais qui filtrait au travers. « Vous êtes bien certain que vous voulez faire ça ? demanda-t-il à Sam.

— Et comment. J’ai quelque chose à me faire pardonner.

— On peut savoir ce que c’est, Sam ? demanda Julia.

— J’préfère pas le dire. » Il eut un petit sourire. « En particulier, j’préfère pas le dire à la dame du journal de la ville.

— Prête ? demanda Barbie à Julia.

— Oui. » Elle lui prit la main et la serra brièvement, très fort. « Autant que je puisse l’être. »

6

Rommie et Jackie Wettington s’étaient placés près d’une des portières arrière du van. Lorsque Barbie cria : « Allez ! » Jackie fit coulisser la portière et Rommie jeta les deux pneus de la Prius à l’intérieur. Barbie et Julia se précipitèrent et la portière se referma une fraction de seconde après. Sam Verdreaux, âgé et ravagé par l’alcool, mais l’air aussi frais et vif qu’un gardon était déjà au volant de l’Odyssey, et lançait le moteur.

L’habitacle du van empestait autant que dehors — d’entêtants relents de bois calciné et d’essence de térébenthine — mais c’était cependant mieux que ce qu’ils avaient respiré jusqu’ici près du Dôme, même avec des douzaines de ventilateurs tournant à fond.

Ça ne va pas durer longtemps, pensa Barbie. Pas avec trois passagers pompant dessus.

Julia s’empara du sac jaune et noir très reconnaissable de Best Buy et le retourna. Il en tomba un cylindre de plastique sur lequel on lisait PERFECT ECHO. Et, dessous, 5 °CD D’ENREGISTREMENT. Elle voulut déchirer l’enveloppe de Cellophane, mais celle-ci lui résista. Barbie esquissa le geste de prendre son canif, puis son cœur se serra. Le couteau n’était pas dans sa poche. Bien sûr que non. Il était à présent réduit à l’état de bout de ferraille méconnaissable sous ce qui restait du poste de police.

« Sam ! Par pitié, dites-moi que vous avez un couteau de poche ! »

Sans un mot, Sam lui en jeta un. « Il était à mon père. Je l’ai eu sur moi tout ma vie, et il s’appelle revient. »

Le manche était d’un bois rendu parfaitement lisse avec le temps, mais lorsqu’il l’ouvrit, Barbie découvrit une lame tout aussi parfaitement affûtée. Elle n’aurait aucun mal avec la Cellophane et elle pourrait faire des trous impeccables dans les pneus.

« Grouillez-vous ! » leur cria Sam en enfonçant l’accélérateur. « On va pas attendre que vous trouviez vot’truc, et j’ai bien peur que le moteur ne tourne pas bien longtemps dans cet air ! »

Barbie dégagea l’enveloppe, aidé de Julia. C’est elle qui fit pivoter le cylindre en plastique d’un demi-tour sur la gauche, le dégageant de son support. Les CD vierges achetés pour l’anniversaire de Rusty Everett étaient empilés sur un axe central en plastique noir. Julia laissa tomber les CD sur le plancher du van et referma la main autour de l’axe. L’effort lui fit pincer les lèvres.

Barbie eut juste le temps de dire : « Laissez-moi faire ça », la tige avait cassé.

« Hé, les femmes sont costaudes, elles aussi. En particulier quand elles sont mortes de frousse.

— Il est creux ? Parce que sinon, nous voilà de retour à la case départ. »

Julia porta l’axe à hauteur de son visage. Barbie regarda par l’autre extrémité et vit un œil bleu lui rendre son regard. « Foncez, Sam, dit-il. On est équipés.

— Vous pensez que ça va marcher ? lui cria Sam, passant une vitesse.

— Bien sûr ! » répliqua Barbie, parce que comment diable voulez-vous que je le sache ? n’aurait remonté le moral de personne. Pas même le sien.

7

Les survivants du Dôme suivirent des yeux, en silence, le van qui fonçait sur la piste de terre conduisant jusqu’à ce que Norrie Calvert avait baptisé la « Flash-Box » — la Boîte à Éclairs. L’Odyssey s’enfonça dans le smog épais, devint fantomatique et disparut.

Rusty et Linda, côte à côte, tenaient chacun une de leurs filles. « Qu’est-ce que tu en penses, Rusty ? demanda Linda.

— J’en pense que nous devons espérer le meilleur.

— Et nous préparer au pire ?

— Oui, ça aussi. »

8

Ils passaient devant la ferme lorsque Sam leur lança : « Nous allons directement jusqu’au verger. Vous avez intérêt à vous accrocher, les gars, vu que je vais pas ralentir, même si on doit y laisser la moitié du bas de caisse !

— Allez-y, foncez ! » lui répondit Barbie.

Sur quoi un méchant nid-de-poule le propulsa en l’air alors qu’il entourait l’un des pneus des bras. Julia s’agrippait à l’autre comme une femme tombée à la mer s’agripperait à une bouée. Les pommiers défilaient à toute vitesse. Les feuilles pendaient, sales, inertes. La plupart des fruits étaient tombés au sol, arrachés par la violente bourrasque qui avait traversé le verger après l’explosion.

Il y eut un deuxième et énorme cahot. Julia et Barbie s’élevèrent et retombèrent ensemble, Julia s’étalant sur les genoux de Barbie sans avoir lâché son pneu.

« Comment vous avez eu votre permis, vieux chnoque ? lança Barbie à Sam. Par correspondance ?

— Non, chez Walmart ! répliqua le vieil homme. Tout est moins cher chez Walmart ! » Puis il interrompit son caquetage. « Je le vois. Je vois cette putain de saloperie qu’arrête pas de faire de l’œil. Une lumière violette brillante. Je vais m’arrêter juste à côté. Vous allez attendre que j’aie mis le frein à main avant d’attaquer vos pneus, sinon vous risquez de les déchiqueter. »

Quelques secondes après, il écrasa le frein et le van s’immobilisa dans un crissement de gravillons, envoyant Barbie et Julia rebondir contre leur siège.

« Vous conduisez comme un chauffeur de taxi ! protesta Julia avec indignation.

— N’oubliez pas le pourboire… » Sam fut arrêté par une violente quinte de toux. « … vingt pour cent. » Il avait la voix fortement enrouée.