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Julia releva la tête et respira.

« Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée… », commença-t-il, sur quoi la brise les rejoignit. Il la vit soulever les cheveux de Julia, la sentit qui séchait la sueur de son visage souillé de suie, aussi douce qu’une main d’amante.

Julia toussait de nouveau. Il lui tapa dans le dos, aspirant en même temps sa première bouffée d’air frais. Il empestait encore et prenait à la gorge, mais il était respirable. L’air vicié était chassé vers le sud tandis que celui en provenance du TR-90 envahissait ce qui avait été la partie nord du Dôme. La deuxième bouffée d’air fut meilleure ; la troisième encore meilleure ; et la quatrième un don de Dieu.

Ou d’une petite fille à tête de cuir.

Barbie et Julia s’étreignirent près du carré noir où avait été posée la boîte. Rien n’y pousserait, plus jamais.

17

« Sam ! s’écria soudain Julia. Il faut aller chercher Sam ! »

Ils toussaient encore en courant jusqu’à l’Odyssey, mais pas Sam. Effondré contre le volant, les yeux ouverts, il respirait à petites bouffées. Le bas de son visage était barbouillé de sang et, lorsque Barbie le souleva, il constata que la chemise bleue du vieil homme avait pris une couleur violacée.

« Vous allez pouvoir le porter ? demanda Julia. Le porter jusqu’aux soldats ? »

La réponse était très certainement non, mais Barbie dit cependant qu’il pensait pouvoir le faire.

« Me bougez pas », murmura alors Sam. Il tourna les yeux vers eux. « Ça fait trop mal. » Un peu de sang sortait de sa bouche à chacun de ses mots. « C’est fait ?

— C’est Julia qui l’a fait, répondit Barbie. Je ne sais pas exactement comment elle s’y est prise, mais elle a réussi.

— C’était aussi en partie l’homme du gymnase, dit-elle. Celui que le hackeur-massacreur a abattu. »

Barbie resta bouche bée, mais elle n’y fit pas attention. Elle passa un bras autour des épaules de Sam et l’embrassa sur les deux joues. « Et c’est aussi grâce à vous, Sam. Vous nous avez conduits ici, et vous avez vu la petite fille sur le kiosque à musique.

— Z’étiez pas une petite fille dans mon rêve, dit Sam. Z’étiez adulte.

— La petite fille était toujours là, cependant. » Julia toucha sa poitrine. « Elle y est toujours. Elle vit.

— Aidez-moi à descendre, murmura Sam. J’aimerais respirer un peu d’air frais avant de mourir.

— Vous n’allez pas…

— Chut, ma grande. Vous ne vous faites pas plus d’illusions que moi. »

Le prenant chacun par un bras, Barbie et Julia le soulevèrent lentement et le posèrent sur le sol.

« Sentez-moi cet air, dit-il. Seigneur ! » Il inspira profondément, puis toussa en postillonnant du sang. « Je sens un parfum de chèvrefeuille.

— Moi aussi », dit Julia en repoussant les cheveux qui retombaient sur le front de Sam.

Il posa sa main sur celle de la journaliste. « Est-ce que… est-ce qu’elles se sont excusées ?

— Il n’y en avait qu’une, répondit Julia. S’il y en avait eu plusieurs, jamais ça n’aurait marché. Je ne crois pas qu’on puisse l’emporter sur un groupe qui a un penchant pour la cruauté. Et non, elle n’était pas désolée. Elle a eu pitié, mais elle n’était pas désolée.

— Ce n’est pas la même chose, hein ? dit le vieil homme dans un souffle.

— Non. Pas du tout.

— La pitié, c’est pour les gens forts, ajouta-t-il dans un soupir. Moi, je ne peux être que désolé. Ce que j’ai fait, c’est à cause de la picole, mais je suis tout de même désolé. Si je pouvais revenir en arrière, je le ferais.

— Quoi que vous ayez fait, vous vous êtes racheté, à la fin », observa Barbie.

Il prit la main gauche du vieil homme. L’alliance pendait à son annulaire, ridiculement trop grande pour le peu de chair qu’il avait sur les os.

Les yeux de Sam, des yeux de Yankee d’un bleu délavé, se tournèrent vers Barbie et il essaya de sourire. « Je l’ai peut-être fait… juste comme ça. Mais ça m’a plu de le faire. Je crois pas qu’on puisse jamais racheter une chose pa… » Il se remit à tousser, et de nouveau du sang coula de sa bouche édentée.

« Arrêtez, lui dit Julia. N’essayez plus de parler. » Ils s’étaient agenouillés à côté de lui. Elle regarda Barbie. « Pas question de le porter, oubliez ça. Il a une hémorragie interne. Il faut aller chercher de l’aide.

— Oh, le ciel ! » s’exclama alors Sam Verdreaux.

Ce furent ses dernières paroles. Sa poitrine retomba et aucune bouffée d’air ne vint la soulever à nouveau. Barbie esquissa le geste de lui fermer les yeux, mais Julia lui prit la main pour l’en empêcher.

« Laissez-le regarder, dit-elle. Même s’il est mort, laissez-le regarder aussi longtemps qu’il pourra. »

Ils restèrent assis à côté de Sam. Un oiseau chanta. Au loin, Horace aboyait toujours.

« Je devrais aller chercher mon chien, dit Julia.

— Oui. On prend le van ? »

Elle secoua la tête. « Allons-y à pied. On devrait pouvoir arriver à faire sept ou huit cents mètres, si on marche lentement, non ? »

Barbie l’aida à se relever. « On verra bien. »

18

Pendant qu’ils marchaient main dans la main, sur l’ancienne route de la ferme abandonnée, elle lui raconta tout ce dont elle se souvenait de ce qu’elle appelait « être dans la boîte ».

« Et donc, dit Barbie quand elle eut terminé, vous lui avez parlé de toutes les choses terribles dont nous sommes capables — ou vous les lui avez montrées — et elle nous a tout de même libérés.

— Ils savent tout de ces choses terribles.

— Ce jour à Falludjah est le pire de tous mes souvenirs. Ce qui le rend si épouvantable c’est… » Il essaya de se rappeler la formule qu’avait employée Julia. « … c’est que c’était moi qui agissais et non qui subissais.

— Vous n’étiez pas responsable, lui fit-elle observer. C’était l’autre militaire.

— Ça ne compte pas. Le type est mort, et peu importe qui l’a tué.

— Est-ce que la même chose serait arrivée, si vous n’aviez été que deux ou trois dans ce gymnase ? Ou si vous aviez été seul avec le prisonnier ?

— Non, bien sûr que non.

— Alors accusez le destin. Ou Dieu. Ou l’univers. Mais arrêtez de vous le reprocher. »

Il n’y parviendrait peut-être jamais, mais il comprenait ce qu’avait dit Sam, à la fin. Les remords et le chagrin que l’on éprouvait pour une faute étaient mieux que rien, se dit Barbie, mais aussi écrasants qu’ils soient, les remords ne permettraient jamais d’expier la joie ressentie dans la destruction — qu’il s’agisse de brûler des fourmis ou d’abattre des prisonniers.

Il n’avait ressenti aucune joie, à Falludjah. De ce point de vue, il était innocent. C’était déjà quelque chose.

Des soldats couraient vers eux. Il devait leur rester une minute, peut-être deux.

Il s’arrêta et prit Julia par les bras.

« Je vous aime pour ce que vous avez fait, Julia.

— Je le sais, répondit-elle calmement.

— Vous avez été très courageuse.

— Me pardonnez-vous de vous avoir volé vos souvenirs ? Ce n’était pas intentionnel ; ça s’est passé ainsi, c’est tout.

— Vous êtes entièrement pardonnée. »

Les soldats se rapprochaient. Cox courait avec eux, Horace bondissant sur ses talons. Le colonel allait bientôt arriver, il lui demanderait comment allait Ken et, avec cette question, le monde les reprendrait.