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— Qu’est-ce qui brûle ?

— Comme si tu le savais pas », répondit Mel avec un sourire.

Il était toujours pâle — il devait avoir perdu pas mal de sang — mais le bandage qui entourait sa tête était impeccable, sans la moindre tache.

« Fais comme si je savais pas.

— Tes copains ont mis le feu au journal », dit Mel. Barbie prit conscience que le jeune homme était furieux. Et qu’il avait peur. « Pour nous flanquer la frousse et qu’on te relâche. Mais c’est pas ça qui va nous faire peur.

— Mais pourquoi diable aurais-je voulu incendier le journal ? Pourquoi pas l’hôtel de ville, plutôt ? Et qui sont ces prétendus copains que j’aurais ? »

Mel remballait sa queue dans son pantalon. « Tu n’auras pas soif demain, Barbie, t’en fais pas pour ça. Nous avons un seau d’eau plein avec ton nom dessus et une éponge pour aller avec. »

Barbie garda le silence.

« T’as assisté à des petites séances de lessiveuse en Aïe-rak, non ? » Mel acquiesça comme pour s’en convaincre. « Eh bien maintenant, tu vas en avoir une expérience personnelle. » Il pointa un doigt à travers les barreaux. « Nous allons trouver tes acolytes, enfoiré. Et on va trouver pourquoi tu as verrouillé cette ville, pour commencer. La connerie du supplice de l’eau ? Personne ne tient le coup. »

Il commença à s’éloigner, puis se retourna.

« Pas de l’eau douce, non plus. Salée. Premier truc. T’y penses. »

Sur quoi, il partit, marchant d’un pas lourd dans le corridor du sous-sol, tenant baissée sa tête bandée. Barbie s’assit sur sa couchette en regardant le serpent d’urine de Mel sécher sur le sol et écouta la sirène de l’incendie. Il pensa à la fille dans le pick-up. La petite blonde qui avait failli le prendre à bord et qui avait changé d’avis. Il ferma les yeux.

CENDRES

1

Rusty se tenait sur le rond-point, devant l’hôpital, et regardait les flammes qui montaient de quelque part sur Main Street, lorsque le téléphone se mit à jouer sa petite musique à sa ceinture. Twitch et Gina étaient avec lui, Gina tenant le bras de Twitch comme pour se protéger. Ginny Tomlinson et Harriet Bigelow dormaient dans le local réservé au personnel. Le vieux type qui s’était porté volontaire, Thurston Marshall qui s’était montré étonnamment efficace, faisait la tournée des malades. L’électricité était revenue, les appareils fonctionnaient et, pour le moment, les choses étaient à peu près stabilisées. Jusqu’au moment où l’alerte incendie s’était déclenchée, Rusty s’était même autorisé à se sentir bien.

Il vit le nom de LINDA s’afficher sur l’écran. « Chérie ? Tout va bien ?

— Ici, oui. Les petites dorment.

— Sais-tu ce qui brû…

— Les bureaux du journal. Tais-toi et écoute-moi bien, parce que je vais couper mon téléphone dans une minute et demie pour que personne ne puisse m’appeler pour aller combattre l’incendie. Jackie est ici. Elle surveillera les gosses. Retrouve-moi au salon funéraire. Stacey Moggin y sera aussi. Elle est passée un peu plus tôt. Elle est avec nous. »

Le nom était familier, mais Rusty n’y associa pas tout de suite un visage. Et ce qui résonnait en lui était surtout ce elle est avec nous. Il commençait à y avoir vraiment des camps, on commençait à dire avec nous ou avec eux.

« Lin…

— Retrouve-moi là-bas. Dix minutes. C’est sans risque tant qu’ils luttent contre l’incendie, vu que les frères Bowie font partie de l’équipe. C’est ce que m’a dit Stacey.

— Comment ont-ils pu réunir aussi vite une équi…

— Je ne sais pas et je m’en fiche. Tu peux venir ?

— Oui.

— Bien. Ne te gare pas dans le parking sur le côté. Fais le tour jusqu’au plus petit, derrière. »

Puis la voix de Linda s’éteignit.

« Qu’est-ce qui brûle ? demanda Gina. Vous le savez ?

— Non, répondit Rusty. Parce que personne ne m’a appelé. »

Il les regarda tous les deux d’un air sombre.

Gina n’avait pas pigé, mais Twitch, si. « Absolument personne n’a appelé, dit-il. Je suis juste parti, sans doute pour une urgence, mais vous ne savez pas où. Je ne l’ai pas dit. D’accord ? »

Gina paraissait toujours perplexe, mais elle acquiesça. Parce qu’à présent, elle faisait partie de l’équipe ; elle ne remettait pas sa parole en question. Et pourquoi l’aurait-elle fait ? Elle avait seulement dix-sept ans. Eux et nous, pensa Rusty. Une mauvaise médecine, en règle générale. En particulier pour des adolescents. « Probablement pour une urgence, dit-elle. Nous ne savons pas où.

— Eh non, ajouta Twitch. Toi grande sauterelle, nous petites fourmis.

— N’en faites pas tout un pataquès, tous les deux », dit Rusty.

Cependant il savait déjà qu’il s’agissait d’un pataquès. Que c’était synonyme de situation tordue. Gina n’était pas la seule gamine dans le tableau ; lui et Linda en avaient deux, pour le moment endormies sans savoir que papa et maman pourraient bien être en train de faire voile dans une tempête trop violente pour leur petit bateau.

Et pourtant…

« Je reviens plus tard », murmura Rusty, espérant qu’il ne disait pas ça juste pour se rassurer.

2

Sammy Bushey emprunta Catherine Russell Drive au volant de la Malibu des Evans peu après le départ de Rusty pour le salon funéraire ; leurs véhicules se croisèrent sur la place principale.

Twitch et Gina étaient retournés dans l’hôpital, et le rond-point, en face de l’entrée principale, était désert ; mais Sammy ne s’arrêta pas là. On redouble de prudence quand on a un pistolet sur le siège du passager (Phil aurait dit on devient parano). Elle fit donc le tour du bâtiment et alla se garer dans le parking des employés. Elle prit le calibre 45, le glissa dans la taille de son jean et le couvrit avec son T-shirt. Elle traversa le parking et fit halte devant la porte de la lingerie, le temps de lire l’affichette qui disait : FUMER ICI SERA INTERDIT À PARTIR DU 1er JANVIER. Elle regarda la poignée, comprenant que si celle-ci ne tournait pas, elle renoncerait. Ce serait un signe de Dieu. Si, en revanche, la porte n’était pas fermée…

Elle n’était pas fermée. Elle se glissa à l’intérieur, tel un fantôme pâle et boitillant.

3

Thurston Marshall était fatigué — sinon épuisé — mais plus heureux qu’il ne l’avait jamais été depuis des années. C’était sans aucun doute de la perversité. Il était professeur titulaire, poète publié, collaborateur d’une prestigieuse revue littéraire. Une ravissante jeune femme partageait son lit, intelligente de surcroît, une jeune femme qui le trouvait merveilleux. Que donner des pilules, administrer des calmants et vider des pots de chambre (sans parler de torcher le cul plein de merde du petit Bushey une heure auparavant) —, que tout cela pût le rendre plus heureux que le reste frisait vraiment la perversité ; et pourtant, le fait était là. Les couloirs de l’hôpital, avec leur odeur de désinfectant et de cire, lui rappelaient sa jeunesse. Les souvenirs avaient été particulièrement vifs, ce soir, de l’arôme entêtant de patchouli dans l’appartement de David Perna au serre-tête à motifs floraux qu’il avait porté pour le service religieux aux chandelles à la mémoire de Bobby Kennedy. Il fit sa tournée en fredonnant « Big Legged Woman », très doucement, dans un souffle.