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Linda n’avait jamais été une fan de Lester Coggins (lequel avait une fois proclamé, lors de son émission hebdomadaire sur WCIK, que les enfants qui allaient voir Miley Cyrus risquaient l’enfer), mais ce que découvrait Rusty ne lui en serrait pas moins le cœur. « Mon Dieu, dit-elle, on dirait un épouvantail bombardé à coups de pierres par des gosses pour s’amuser.

— Je te l’ai dit. Pas le même genre de coups. Cela n’a pas été fait avec des poings. Ni même avec des pieds.

— C’est quoi, sur la tempe ? » demanda Linda en pointant le doigt.

Rusty ne répondit pas. Au-dessus du masque, ses yeux brillaient de stupéfaction. Et de quelque chose d’autre, aussi : d’une compréhension qui commençait tout juste à se faire jour.

« Qu’est-ce que c’est, Eric ? On dirait… je sais pas trop… comme des points.

— Un peu, mon neveu. » Son masque remonta, repoussé par le sourire qui s’étalait sur sa figure. Pas un sourire de bonheur, mais de satisfaction. De la variété sinistre. « Sur le front, aussi. Tu vois ? Et sur la mâchoire. Celui-là lui a cassé la mâchoire.

— Quel type d’arme peut laisser des marques pareilles ?

— Une balle de baseball, répondit Rusty en repoussant le cadre coulissant. Pas une balle ordinaire. Mais une balle en métal, en plaqué or ? Tiens pardi ! Balancée avec suffisamment de force, elle pourrait en laisser. Je pense que c’est ça qui l’a fait. »

Il abaissa son front vers elle. Leurs masques se heurtèrent. Elle le regarda dans les yeux.

« Jim Rennie en a une. Je l’ai vue sur son bureau quand je suis allé lui parler des bouteilles de propane manquantes. Je ne sais pas pour les autres, mais je pense au moins savoir où est mort Lester Coggins. Et qui l’a tué. »

12

Après l’effondrement du toit, Julia ne supporta plus de rester là. « Venez avec moi, lui dit Rose. Ma chambre d’amis est à vous aussi longtemps que vous voudrez.

— Merci, mais non. J’ai envie d’être seule pour le moment, Rose. Enfin… avec Horace. J’ai besoin de réfléchir.

— Mais où allez-vous habiter ? Ça va aller ?

— Oui. » Julia ne savait pas si c’était vrai. Son esprit paraissait fonctionner normalement et ses pensées étaient cohérentes, mais elle avait l’impression que ses émotions venaient de recevoir une forte dose de novocaïne. « Je viendrai peut-être plus tard. »

Lorsque Rose fut partie en empruntant l’autre côté de la rue (non sans se tourner pour adresser un dernier salut troublé à la journaliste), Julia revint à la Prius, installa Horace sur le siège avant et se mit au volant. Elle chercha des yeux ses deux employés mais ne les vit nulle part. Tony avait peut-être conduit Pete à l’hôpital pour faire soigner son bras. C’était un miracle que ni l’un ni l’autre n’aient été plus gravement blessés. Et si elle n’avait pas pris Horace avec elle lorsqu’elle était partie voir Cox, son chien aurait été incinéré avec tout le reste.

Elle comprit alors que ses émotions n’étaient pas anesthésiées, en fin de compte, mais seulement enfouies. Un son — une sorte de gémissement — lui échappa. Horace dressa ses considérables oreilles et la regarda avec anxiété. Elle essaya de s’arrêter, sans y parvenir.

Le journal de son père.

Le journal de son grand-père.

Le journal de son arrière-grand-père.

En cendres.

Elle roula jusqu’à West Street et, arrivée à hauteur du parking abandonné derrière le Globe, elle décida de s’y garer. Elle coupa le moteur, attira Horace contre elle et sanglota cinq bonnes minutes. Exemplaire, le chien supporta tout sans broncher.

Lorsqu’elle eut pleuré, elle se sentit mieux. Plus calme. C’était peut-être un calme dû à son état de choc, mais au moins elle pouvait à nouveau penser. Et ce à quoi elle pensa fut le dernier lot restant de journaux, qui se trouvait dans son coffre. Elle se pencha par-dessus le corgi (qui lui donna un coup de langue amical au passage) et ouvrit la boîte à gants. Elle était encombrée de toutes sortes de choses, mais il lui semblait qu’il devait y avoir… ce n’était pas impossible…

Et tel un don de Dieu, c’était là. Une petite boîte en plastique contenant des épingles, des élastiques, des punaises, des pinces. Les élastiques et les pinces ne lui seraient d’aucune utilité, mais les épingles et les punaises, pour ce qu’elle avait à l’esprit…

« Horace ? Ça te dirait une petite balade ? »

Horace aboya qu’il avait en effet très envie d’une petite balade.

« Bien, moi aussi. »

Elle prit le lot de journaux et revint sur Main Street. Le bâtiment du Democrat n’était plus qu’un monceau de ruines en flammes sur lesquelles les flics déversaient de l’eau (grâce à ces pompes indiennes qui s’étaient comme par miracle trouvées à portée de main, déjà toutes pleines, pensa-t-elle). Le spectacle lui fit mal au cœur — évidemment — mais c’était plus supportable, maintenant qu’elle avait quelque chose à faire.

Elle remonta la rue, Horace marchant dignement à côté d’elle et, sur chaque poteau de téléphone, elle punaisa un exemplaire du dernier numéro du Democrat. Le titre ÉMEUTE ET MEURTRES AGGRAVENT LA CRISE se détachait à la lueur des flammes. Elle regrettait maintenant de n’avoir pas mis ce seul mot : ATTENTION !

Elle continua jusqu’à ce qu’elle ait épuisé son stock.

13

De l’autre côté de la rue, le talkie-walkie de Peter Randolph émit trois craquements de suite. Urgence. Redoutant ce qu’on allait lui dire, il appuya sur le bouton transmission et dit : « Chef Randolph. J’écoute. »

C’était Freddy Denton, lequel, en tant qu’officier responsable du quart de nuit, se retrouvait de facto chef adjoint. « Je viens d’avoir un appel de l’hôpital, chef. Un double meurtre…

— QUOI ? » hurla Randolph. L’un des nouveaux flics — Mickey Wardlaw — le regarda bouche bée.

Denton continua, d’un ton calme — peut-être suffisant. Si c’était ça, Dieu lui vienne en aide. « … et un suicide. L’auteur est cette fille qui disait qu’on l’avait violée. Les victimes sont des nôtres, chef. Georgia Roux et Frank DeLesseps.

— Tu… tu… TE FOUS DE MA GUEULE !

— J’ai envoyé Rupe et Mel Searles sur place, continua Freddy. Le bon côté, c’est que nous n’aurons pas à la mettre au TROU avec Bar…

— Tu aurais dû y aller en personne, Fred. Tu es l’officier senior.

— Dans ce cas, qui serait resté au central ? »

Randolph n’avait pas de réponse à ça. Il supposa qu’il ferait mieux de rappliquer illico au Cathy-Russell.

J’en veux plus, de ce boulot. J’en veux plus du tout.

Mais c’était trop tard. Et avec Big Jim pour l’aider, il y arriverait. C’était à cette idée qu’il fallait s’accrocher ; Big Jim lui ferait franchir le gué.

Marty Arsenault lui tapa sur l’épaule. Randolph se retourna et faillit l’assommer. Arsenault n’y fit pas attention ; il regardait l’autre côté de la rue. Julia promenait son chien. Elle promenait son chien et elle… elle faisait quoi ?

Elle placardait un journal, voilà ce qu’elle faisait. Elle le punaisait sur les poteaux téléphoniques.

« Cette salope va jamais laisser tomber, marmonna Randolph.

— Tu veux que j’aille l’arrêter ? » demanda Arsenault.

L’homme semblait en avoir envie et Randolph faillit le laisser faire. Puis il secoua la tête. « Elle va juste se mettre à te baratiner sur ses foutus droits civiques et tout le bazar. Comme si elle ne se rendait pas compte que flanquer une frousse d’enfer à tout le monde n’est pas exactement dans l’intérêt de la ville. » Il secoua de nouveau la tête. « Probable qu’elle s’en rend pas compte, oui. Elle est incroyablement… » Il y avait un mot pour ce qu’elle était, un mot français qu’il avait appris au lycée. Il ne s’attendait pas à ce qu’il lui revienne à l’esprit et pourtant, si : « … incroyablement naïve.