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« C’est entre tes mains, mon Jésus, avait-il murmuré. Comme nous disions quand nous étions petits, j’veux pas, mais j’vais le faire. »

Et Jésus s’en était occupé. Le Chef avait senti qu’il le ferait, lorsqu’il avait entendu les voix de George Dow et des Gospel Tones sortir des haut-parleurs pour chanter, « Seigneur, comme tu prends soin de moi » : une impression authentique, un vrai signe divin. Ils n’étaient pas venus pour la came mais pour prendre deux malheureuses bonbonnes de propane.

Il suivit des yeux le départ du camion, puis se traîna sur l’allée qui reliait l’arrière du studio à l’installation combinant labo et aire de stockage. C’était son bâtiment, à présent, son crystal, du moins jusqu’à ce que Jésus vienne et prenne tout pour lui.

Pour Halloween, peut-être.

Ou peut-être avant.

Il fallait du coup penser à beaucoup de choses, et penser lui était plus facile, ces temps-ci, quand il était shooté.

Beaucoup plus facile.

6

Julia sirotait son petit verre de whisky, le faisant durer, mais les deux femmes flics descendirent le leur en une lampée héroïque. Si cela ne suffit pas à les enivrer, au moins leur langue se délia-t-elle.

« Le fait est que je suis horrifiée », avoua Jackie Wettington. Elle parlait les yeux baissés, jouant avec son verre vide, mais lorsque Piper lui proposa de le remplir, elle secoua la tête. « Tout cela ne serait jamais arrivé si Duke était encore vivant. Je n’arrête pas de revenir à ça. Même s’il avait eu des raisons de penser que Barbara avait tué sa femme, il aurait respecté la procédure. Il était comme ça. Quant à permettre au père d’une victime de descendre dans les cellules pour une confrontation avec l’auteur du crime — jamais de la vie ! » Linda acquiesçait, d’accord avec sa collègue. « Du coup, j’ai peur de ce qui pourrait arriver à ce garçon. Et aussi…

— Si cela peut arriver à Barbie, la chose pourrait arriver à d’autres, hein ? » dit Julia.

Jackie hocha la tête. Se mordilla la lèvre. Joua avec son verre. « Si jamais un truc pareil lui arrive — pas forcément un truc aussi atroce qu’un lynchage en règle, juste un accident dans sa cellule —, je ne suis pas sûre de pouvoir remettre cet uniforme. »

Les inquiétudes de Linda étaient plus simples et plus directes. Son mari croyait Barbie innocent. Dans l’émoi provoqué par la fureur (révulsée qu’elle était par ce qu’elle avait découvert dans l’arrière-cuisine des McCain), elle avait rejeté cette idée — les plaques militaires de Barbie s’étaient bel et bien retrouvées dans la main grise et raide d’Angie McCain. Mais plus elle y pensait, plus elle se sentait mal à l’aise. En partie parce qu’elle respectait le jugement de son mari mais aussi parce que Barbie avait crié quelque chose juste avant de se faire asperger de gaz lacrymo par Randolph : Dites à votre mari d’examiner les corps ! Il doitexaminer les corps !

« Et il y a autre chose, reprit Jackie. On ne balance pas du gaz lacrymo sur un détenu juste parce qu’il crie. J’ai connu des samedis soir, en particulier après les grands matchs, où on se serait cru au zoo à l’heure du repas. On les laissait simplement crier. Ils finissaient par se fatiguer et par s’endormir. »

Lorsque Jackie se tut, Julia se tourna vers Linda : « Répétez-moi ce qu’a dit Barbie.

— Il voulait que Rusty examine les corps, en particulier celui de Brenda Perkins. Il a dit qu’ils ne seraient pas à l’hôpital. Ça, il le savait. Et ils sont effectivement au salon funéraire, ce qui n’est pas normal.

— Foutrement marrant, c’est sûr ! s’exclama Rommie, s’il s’agit d’assassinats ! Désolé pour le gros mot, rév. »

Piper rejeta l’excuse d’un mouvement désinvolte de la main. « Si Barbie les a vraiment tués, j’ai du mal à comprendre que son souci le plus pressant soit de faire examiner les corps. Alors que dans le cas contraire, il peut penser qu’une autopsie pourrait l’innocenter.

— Brenda était la victime la plus récente, dit Julia. C’est bien ça ?

— Oui, répondit Jackie. Elle était au début du stade rigor mortis. C’est en tout cas l’impression que j’ai eue.

— Je confirme, dit Linda. Et, étant donné que la rigidité cadavérique commence à se mettre en place environ trois heures après la mort, Brenda est probablement morte entre quatre et huit heures du matin. Plus près de huit heures, je dirais, mais je ne suis pas médecin. » Elle soupira et se passa une main dans les cheveux. « Rusty non plus, c’est vrai, mais il aurait pu le déterminer beaucoup plus précisément si on avait fait appel à lui. Personne n’y a pensé. Moi y comprise. J’étais tellement paniquée… il y avait tellement de choses qui se produisaient en même temps… »

Jackie repoussa son verre. « Dites-moi, Julia. Vous étiez bien avec Barbie au supermarché, ce matin, non ?

— Oui.

— C’était un peu après neuf heures et c’est à ce moment-là que la pagaille a commencé. C’est ça ?

— Oui.

— Qui était le premier sur place, vous ou lui ? »

Julia ne s’en souvenait pas, mais son impression était qu’elle était la première — que Barbie était arrivé plus tard, peu de temps après Rose Twitchell et Anson Wheeler.

« On a fini par les calmer, dit-elle, mais c’est lui qui nous a montré comment nous y prendre. Grâce à lui, on a sans doute eu moins de blessés sérieux que ce qu’on aurait pu avoir. Je n’arrive pas à faire cadrer ça avec ce que vous avez trouvé dans cette arrière-cuisine. Avez-vous une idée de l’ordre dans lequel ont eu lieu les décès ? Celui de Brenda était le dernier ?

— Angie et Dodee en premier, dit Jackie. L’état de décomposition était moins avancé pour Coggins.

— Qui les a trouvés ?

— Junior Rennie. Il a été pris de soupçons lorsqu’il a vu la voiture d’Angie dans le garage. Mais ce n’est pas important. L’important, c’est Barbara. Êtes-vous certaine qu’il est arrivé après Rose et Anse ? Parce que du coup, ce n’est pas bon pour lui.

— J’en suis sûre, parce qu’il n’était pas dans la fourgonnette de Rose. Ils n’ont été que deux à en descendre. Si l’on part de l’idée qu’il n’était pas occupé à tuer des gens, où pouvait-il… ? » Mais c’était évident. « Piper, je peux téléphoner ?

— Bien sûr. »

Julia consulta l’annuaire local, trouva rapidement ce qu’elle cherchait et appela le restaurant sur le portable de Piper. L’accueil de Rose fut cassant : « Nous sommes fermés jusqu’à nouvel ordre. Une bande de trous-du-cul a arrêté mon cuisinier.

— Rose ? C’est Julia Shumway.

— Oh, Julia. » Le ton de Rose parut se radoucir un peu. « Qu’est-ce que vous voulez ?

— J’essaie d’établir un emploi du temps qui pourrait constituer un alibi pour Barbie. Ça vous intéresse, de me donner un coup de main ?

— Évidemment ! L’idée que Barbara aurait pu assassiner ces gens est totalement grotesque ! Que voulez-vous savoir ?

— S’il était au restaurant lorsque l’émeute a commencé à Food City.

— Bien sûr, répondit Rose d’un ton perplexe. Où aurait-il pu se trouver, tout de suite après le petit déjeuner ? Quand je suis partie avec Anson, il était en train de nettoyer les grils. »

7

Le soleil descendait sur l’horizon et, les ombres s’allongeant, Claire McClatchey devenait de plus en plus nerveuse. Finalement, elle passa dans la cuisine pour faire ce qu’elle n’avait cessé de remettre à plus tard : prendre le téléphone portable de son mari (qu’il avait oublié d’emporter samedi matin, comme une fois sur deux) et appeler son portable personnel. Elle était terrifiée à l’idée qu’il allait sonner quatre fois et qu’elle entendrait alors sa propre voix, gaie et pleine d’entrain, enregistrée avant que la ville dans laquelle elle vivait ne fût devenue une prison aux barreaux invisibles. Bonjour, vous êtes sur le répondeur de Claire. Ayez la gentillesse de laisser un message après le bip.