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Sa tête en grosse toile de bâche s’ornait de croix noires cousues en guise d’yeux. Le chapeau rappelait celui du chat, dans l’histoire pour enfants du Dr Seuss. Des pelles de jardinage à manche court simulaient des mains (des méchantes mains qui frappent, pensa Janelle) et quelque chose était écrit sur son T-shirt. Elle n’en comprenait pas le sens mais pouvait déchiffrer le texte : « SWEET HOME ALABAMA » PLAY THAT DEAD BAND’S SONG.

« Vous voyez ? » Judy ne pleurait pas, mais elle ouvrait de grands yeux, l’air grave, riche d’un savoir trop complexe et trop noir pour être exprimé. « C’est déjà Halloween. »

Janelle prit la main de sa sœur et la fit se relever. « Non, pas encore », dit-elle… craignant tout de même que si. Quelque chose de terrible allait arriver, quelque chose avec du feu. Pas de bonbons, seulement des blagues. Des blagues méchantes. Des mauvaises blagues.

« Rentrons, dit-elle à Judy et à Deanna. On va chanter des chansons et faire des trucs. Ce sera chouette. »

Et d’habitude c’était chouette, mais pas aujourd’hui. Même avant le big-bang dans le ciel, ce n’était pas chouette. Janelle n’arrêtait pas de penser à l’épouvantail avec des croix en guise d’yeux. Et à son affreux T-shirt : « SWEET HOME ALABAMA » PLAY THAT DEAD BAND’S SONG.

17

Quatre ans avant le Dôme, le grand-père de Linda Everett était mort en laissant à chacun de ses petits-enfants un pécule non négligeable. Le chèque de Linda s’était élevé à 17 232,04 dollars. Le gros de la somme avait été placé sur un compte en vue des études supérieures des deux filles, mais elle s’était sentie tout à fait justifiée d’en dépenser une petite partie pour son mari. Son anniversaire approchait et il rêvait du gadget d’Apple TV, depuis qu’il avait été lancé sur le marché, quelques années auparavant.

Elle lui avait fait des cadeaux plus chers, au cours de leur mariage, mais aucun ne lui avait fait autant plaisir. L’idée de pouvoir télécharger des films sur le Net et les voir non pas sur le petit écran de son ordinateur mais sur celui de la télé le branchait à mort. Ce gadget se présentait sous la forme d’un carré blanc en plastique d’environ dix-huit centimètres de côté et épais de deux centimètres. L’objet que Rusty trouva au sommet de Black Ridge ressemblait tellement à l’Apple TV qu’il crut d’abord que c’en était un… sans doute modifié pour pouvoir tenir toute une ville prisonnière aussi bien que retransmettre La Petite Sirène sur votre télé en HD via la Wi-Fi.

L’objet posé à la limite du verger des McCoy était d’un gris sombre et non pas blanc et, à la place du logo familier d’Apple, portait ce symbole quelque peu troublant :

Au-dessus du symbole, il y avait une excroissance faisant à peu près la taille d’une articulation du petit doigt. Cette excroissance protégeait une lentille en verre ou en cristal. C’était de là que partait l’éclair violet.

Rusty se pencha pour effleurer la surface du générateur — si c’était bien le générateur. Une décharge puissante remonta aussitôt dans son bras jusque dans son corps. Il essaya de reculer, en vain. Ses muscles étaient complètement tétanisés. Le compteur Geiger émit un unique clic puis redevint silencieux. Rusty ne put savoir si l’aiguille était montée ou non dans la zone dangereuse, car même ses globes oculaires étaient paralysés. La lumière quittait le monde, se retirant comme de l’eau par un trou de vidange, et c’est avec une soudaine clarté qu’il pensa : je vais mourir. Quelle manière stupide de

Puis, dans les ténèbres, des visage apparurent — sauf qu’il ne s’agissait pas de visages humains ; plus tard, il ne fut même plus certain qu’il s’était agi de visages. On aurait dit des solides de forme géométrique protégés par du cuir. Les seules parties ayant une vague ressemblance avec quelque chose d’humain étaient des formes en pointe de diamant, sur les côtés. Des oreilles, peut-être. Les têtes (si c’étaient bien des têtes) se tournaient les unes vers les autres, comme si elles discutaient ou se livraient à une activité qu’on pouvait prendre pour une discussion. Il crut entendre rire et sentir que régnait une certaine excitation. Il se représenta des enfants dans la cour de récré à East Street Grammar, ses filles, peut-être, avec leur amie Deanna Carver, échangeant des friandises et des secrets.

Tout cela ne dura que quelques secondes, certainement pas plus de quatre ou cinq. Puis le phénomène disparut. Le choc se dissipa aussi soudainement et aussi complètement que lorsqu’on touchait la surface du Dôme pour la première fois ; aussi rapidement que s’était évanouie l’impression d’étourdissement accompagnée de la vision de l’épouvantail au haut-de-forme défoncé. Il se retrouva agenouillé au sommet de la crête dominant la ville, en nage sous ses accessoires de plomb.

Toutefois, l’image de ces têtes bardées de cuir lui resta. Penchées les unes vers les autres et riant de leur conspiration obscènement enfantine.

Les autres te regardent, de là en bas. Fais-leur signe. Montre-leur que tu vas bien.

Il leva les deux mains au-dessus de sa tête — il pouvait à présent les bouger sans peine — et salua d’un geste lent, à croire que son cœur ne courait pas comme un lièvre affolé dans sa poitrine, à croire que la sueur ne coulait pas sur sa poitrine en filets puissamment odorants.

En bas, sur la route, Rommie et les gamins lui rendirent son salut.

Rusty inspira profondément à plusieurs reprises pour retrouver son calme, puis braqua le détecteur du compteur Geiger sur la carré gris et plat ; il était posé sur la masse spongieuse d’un tapis herbeux épais. L’aiguille oscilla juste en dessous de +5. Rien de plus qu’un rayonnement résiduel.

Rusty n’avait que peu de doutes sur le fait que ce petit objet plat était à l’origine de leurs ennuis. Des créatures qui n’étaient pas des êtres humains s’en servaient pour les maintenir prisonniers, mais ce n’était pas tout. Ils s’en servaient aussi pour observer.

Et s’amuser. Ces salopards riaient. Il les avait entendus.

Il ôta son tablier, le posa sur la lentille qui dépassait légèrement, se leva et recula. Pendant quelques instants, rien ne se produisit. Puis le tablier prit feu. L’odeur était âcre et désagréable. Il vit la surface brillante se fendiller et former des bulles, puis les flammes jaillir. Ensuite, ce qui avait été un tablier, soit rien de plus qu’une feuille de plomb sur un support en plastique, se désintégra simplement. Il n’en resta bientôt plus que quelque fragments en feu, le plus gros étant celui posé sur le boîtier gris. Et, finalement, il se réduisit à pratiquement plus rien : un tourbillon de quelques flocons couleur de cendre, et l’odeur. Mais sinon… pouf  ! Parti.

Ai-je bien vu ce que j’ai vu ? se demanda Rusty, puis il répéta la phrase à voix haute, le demandant au monde. Il sentait l’odeur du plastique calciné et celle, plus lourde, du plomb fondu — c’était fou, impossible. N’empêche, le tablier avait disparu.

« Est-ce que j’ai vraiment vu ça ? »

Comme pour lui répondre, la lumière violacée lança un éclair depuis la partie en relief de la boîte. Ces impulsions étaient-elles destinées à renouveler le Dôme, à la manière dont l’effleurement d’une touche rétablit l’image d’un écran d’ordinateur en veille ? Permettaient-elles aux têtes de cuir de regarder la ville ? Les deux ? Ni l’un ni l’autre ?

Il se dit qu’il valait mieux ne pas s’approcher à nouveau du carré plat. Il se dit que la seule chose intelligente à faire était de retourner en courant au van (sans le poids du tablier, il pourrait courir), puis de foncer comme s’il avait le diable aux trousses pour ne ralentir que le temps d’embarquer ses compagnons qui l’attendaient en bas.