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— C’est moi qui les ai faits, Barbie, répondit-elle. Pourquoi on t’a battu ? As-tu essayé de t’échapper ? Tu as une tête terrible.

— Non, je n’ai pas essayé de m’échapper. J’ai résisté à l’arrestation. N’est-ce pas, Mel ?

— T’as intérêt à arrêter de faire le malin, sans quoi je vais récupérer les sandwichs !

— Eh bien, essaie donc, dit Barbie. On pourra régler ça entre hommes. » Mel n’ayant nullement l’air enclin à prendre cette offre au sérieux, Barbie tourna de nouveau son attention vers Rose. « Est-ce que c’était un avion ? On aurait dit un avion. Un gros.

— D’après ABC, c’était un appareil de ligne irlandais. Plein.

— Laisse-moi deviner. Il se rendait à Boston ou à New York et un brillant crétin a oublié de reprogrammer le pilote automatique.

— Je ne sais pas. Ils n’en ont pas encore parlé.

— Allons-y, dit Mel en venant prendre Rose par le bras. Ça suffit, la causette. Faut partir avant que j’aie des ennuis.

— Tu vas bien ? lança Rose, résistant à cet ordre, au moins un instant.

— Ouais, répondit Barbie. Et toi ? Est-ce que tu t’es réconciliée avec Jackie Wettington ? »

Diable, quelle était la bonne réponse à ça ? Pour ce qu’en savait Rose, elle n’avait jamais été fâchée avec Jackie. Elle crut voir Barbie faire un infime mouvement de dénégation de la tête. Pourvu que ce ne soit pas mon imagination.

« Non, pas encore, répondit-elle.

— Tu devrais. Dis-lui d’arrêter de faire sa salope.

— Tu parles », marmonna Mel. Il serra plus fort le bras de Rose. « Allez, on y va, maintenant. Ne m’obligez pas à vous traîner.

— Dis-lui que j’ai dit que t’étais correcte », lança Barbie quand elle attaqua l’escalier, Mel sur les talons. « Vous devriez vraiment parler, toutes les deux. Et merci pour les sandwichs. »

Dis-lui que je t’ai dit que t’étais correcte.

C’était le message, elle en était certaine. Elle ne pensait pas que Mel avait compris ; il avait toujours été stupide, et la vie sous le Dôme ne paraissait pas lui avoir fait faire beaucoup de progrès. Raison pour laquelle, probablement, Barbie avait pris ce risque.

Rose décida de voir Jackie le plus vite possible pour lui passer le message : Barbie dit que je suis correcte. Il dit que tu peux me parler.

« Merci, Mel », dit-elle quand ils furent de retour dans la salle de service. « C’était sympa de ta part de me laisser descendre. »

Mel regarda autour de lui, vit qu’il n’y avait personne de supérieur en grade et se détendit. « Pas de problème, mais je crois pas que vous pourrez revenir pour le dîner, vu qu’y en aura pas. » Sur quoi il réfléchit, devenant philosophe. « Il mérite cependant quelque chose de bon, je crois, parce que la semaine prochaine il sera aussi grillé que ces san-ouiches que vous lui avez faits. »

C’est ce que nous verrons, pensa Rose.

22

Andy Sanders et le Chef, assis derrière le bâtiment de WCIK, tiraient sur leur pipe à eau. Droit devant eux, dans le champ où était plantée la tour de l’émetteur, on voyait un monticule de terre surmonté d’une croix faite de planches arrachées à une caisse. Sous le monticule gisait Sammy Bushey, le bourreau des poupées Bratz, la victime d’une tournante, la mère de Little Walter. Le Chef dit qu’il irait peut-être voler une vraie croix au cimetière de Chester Pond. S’il avait le temps. Ce n’était pas garanti.

Il brandit sa télécommande comme pour souligner son propos.

Andy se sentait désolé pour Sammy, tout comme il se sentait désolé pour Claudie et Dodee, mais son chagrin n’avait plus qu’un aspect clinique, restait hermétiquement contenu sous son propre Dôme : toujours visible, son existence ne faisait pas de doute, mais on ne pouvait pas vraiment le rejoindre. Ce qui était aussi bien. Il essaya de faire comprendre cela au Chef, se perdant un peu au milieu de ses explications — c’était un concept complexe. Cependant, le Chef hocha la tête, puis lui tendit sa grande pipe à eau en verre faite maison. Gravé dessus on pouvait lire : NE PEUT ÊTRE VENDU.

« Fameux, hein ? dit le Chef.

— Oui ! »

Pendant un certain temps, ils commentèrent les deux grands évangiles des nouveaux convertis à la dope : le bon shit qu’ils fumaient, et le shoot sensationnel que leur procurait ce bon shit. À un moment donné, il y eut une énorme explosion au nord. De la main, Andy abrita ses yeux déjà irrités par la fumée. Il faillit laisser échapper la pipe, mais le Chef la récupéra à temps.

« Nom de Dieu, c’est un avion ! » s’exclama Andy, voulant se lever. Mais ses jambes, qui vibraient pourtant d’énergie, ne purent le soutenir. Il se rassit.

« Non, Sanders », dit le Chef. Il tira une bouffée sur la pipe. Assis en tailleur, Andy trouva qu’il ressemblait à un Indien fumant le calumet de la paix.

Appuyé contre la paroi de la remise, entre Andy et le Chef, s’alignaient quatre AK-47 automatiques, de fabrication russe mais importés de Chine — comme bon nombre d’autres articles remarquables stockés dans le hangar. Il y avait aussi cinq caisses empilées, remplies de chargeurs de trente cartouches, et une caisse de grenades RGD-5. Le Chef avait donné sa traduction personnelle du texte chinois écrit sur cette dernière : ne pas faire tomber ces saloperies.

Le Chef prit l’un des AK et le posa en travers de ses genoux. « Non, ce n’était pas un avion, insista-t-il.

— Non ? C’était quoi, alors ?

— Un signe de Dieu. » Le Chef regarda ce qu’il avait peint sur le mur de la remise, soit deux citations (librement interprétées) tirées de l’Apocalypse et le numéro 31 écrit en gros. Puis il revint à Andy. Au nord, le nuage de fumée se dissipait dans le ciel. Dessous s’élevait un autre nuage, depuis le bois où étaient tombés les débris de l’avion. « Je me suis trompé de date, reprit-il d’une voix méditative. C’est peut-être pour aujourd’hui, peut-être pour demain ou peut-être pour après-demain.

— Ou encore pour le jour suivant, dit Andy, plein de bonne volonté.

— Possible, admit le Chef, mais je crois que ce sera plus tôt. Sanders !

— Quoi, Chef ?

— Prends-toi un fusil. Tu es à présent dans l’armée de Dieu. Tu es un soldat du Christ. Ton temps de lécher le cul de ce fils de pute d’apostat vient de toucher à sa fin. »

Andy prit un AK et le mit en travers de ses cuisses nues. Il aimait la sensation de poids et de chaleur que l’arme procurait. Il vérifia que la sécurité était bien mise. « De quel fils de pute d’apostat parles-tu, Chef ? »

Le Chef lui adressa un regard chargé d’un mépris absolu, mais lorsque Andy tendit la main vers la pipe, il la lui passa sans hésiter. Il y en avait largement pour deux, et il y en aurait largement jusqu’à la fin, et ouais, en vérité, la fin était pour bientôt. « Rennie. Ce fils de pute d’apostat.

— C’est mon ami — mon pote — mais il peut être casse-couilles, c’est vrai, reconnut Andy. Bon sang de bonsoir, génial, ce shit.

— Et comment », dit le Chef d’un ton maussade en reprenant la pipe (devenue pour Andy le cale-fumée de la paix). C’est le meilleur crystal, le plus pur des purs, et c’est quoi, Sanders ?

— Un remède contre la mélancolie ! répondit vivement Andy.

— Et ça, c’est quoi ? demanda le Chef en indiquant la nouvelle tache noire sur le Dôme.

— Un signe ! Un signe de Dieu !

— C’est bien, dit le Chef, se radoucissant. C’est exactement ça. Nous sommes partis pour un trip sur Dieu, Sanders. Sais-tu ce qui s’est passé lorsque Dieu a ouvert le septième sceau ? As-tu lu l’Apocalypse ? »