« Les proches qui sont actuellement sur place devront aller s’enregistrer auprès des officiers qui se tiennent déjà sur le champ de foire et à l’anneau de vitesse. Si vous pensiez sauter dans votre voiture et venir tout de suite, surtout pas. Ce n’est pas la Grande Semaine du Blanc, et ce n’est pas premier arrivé premier servi. Les visiteurs seront choisis par tirage au sort et vous devrez vous enregistrer pour participer au tirage. Il vous faudra pour cela vous présenter avec deux photos d’identité. Nous essaierons de donner la priorité aux personnes ayant plusieurs parents à Chester’s Mill, mais nous ne pouvons rien promettre. Et un dernier avertissement : si jamais vous débarquez vendredi prochain pour monter dans les bus sans votre passe ou avec un faux document — en d’autres termes, si vous fichez la pagaille dans notre organisation — vous vous retrouverez en prison. Ne nous mettez pas à l’épreuve là-dessus.
« L’embarquement commencera à huit heures du matin, vendredi. Si tout se passe bien, vous disposerez d’au moins quatre heures en compagnie des personnes aimées, peut-être davantage. Fichez la pagaille, et le temps que vous passerez auprès du Dôme sera réduit d’autant. Le retour se fera à partir de dix-sept heures.
— Où se trouve le site des visiteurs ? lança une femme.
— J’y venais justement, Andrea. »
Cox reprit sa télécommande et zooma sur la Route 119. Jackie connaissait bien le secteur ; c’était là qu’elle avait bien failli se casser le nez sur le Dôme. Elle reconnut les toits de la ferme Dinsmore et des bâtiments adjacents.
« On trouve un emplacement qui sert à un marché aux puces du côté Motton du Dôme, reprit Cox en se servant du pointeur. C’est là que se gareront les bus. Les visiteurs se rendront ensuite à pied jusqu’au Dôme. Il y a de vastes champs de part et d’autres où les gens peuvent se répartir. Toutes les épaves des accidents ont été dégagées du secteur.
— Les visiteurs seront-ils autorisés à aller jusqu’au Dôme même ? » demanda un journaliste.
Cox fit de nouveau face aux caméras, s’adressant directement aux visiteurs potentiels. Rose ne pouvait qu’imaginer le mélange d’espoir et de crainte que devaient éprouver toutes ces personnes — regardant la télé dans les bars et les motels, ou écoutant la radio dans leur voiture. C’était ce qu’elle-même ressentait.
« Les visiteurs seront autorisés à s’approcher à deux mètres du Dôme, disait Cox. Nous considérons que c’est une distance de sécurité convenable, mais c’est sans garantie. Il ne s’agit pas d’une attraction de foire ayant passé toutes les tests de fiabilité. Les personnes ayant des implants électroniques devront rester au large. C’est à vous de prendre vos responsabilités, car nous n’avons pas les moyens de vérifier qui porte ou non un pacemaker. Les visiteurs devront aussi renoncer à emporter avec eux tout appareil électronique, en particulier les iPods, les téléphones portables et les BlackBerry — liste non exhaustive. Les journalistes équipés de caméras, appareils photo et micros devront rester à une certaine distance. L’espace rapproché sera réservé aux visiteurs et ce qui se passera entre eux et leurs proches ne regarde qu’eux. Tout ira bien si vous nous aidez en y mettant de la bonne volonté. Pour parler comme dans Star Trek, aidez-vous à faire qu’il en soit ainsi. » Il reposa son pointeur. « Et maintenant, je vais prendre des questions. Seulement quelques-unes. Mr Blitzer. »
Le visage de Rose s’illumina. Elle brandit sa tasse de café et porta un toast à la télé. « T’es trop beau, Wolfie ! s’écria-t-elle. Tu peux venir manger des crackers dans mon lit quand tu veux ! »
« Colonel Cox, une conférence de presse avec les responsables de la ville est-elle prévue ? Nous avons cru comprendre que le deuxième conseiller Rennie était le véritable homme fort de Chester’s Mill. Qu’est-ce qui se passe au juste ?
— Nous nous efforçons d’organiser cette conférence de presse avec Mr Rennie comme avec tous les autres responsables de la ville qui seraient en fonction. Elle devrait avoir lieu à midi, si les choses se passent comme nous l’avons prévu. »
Des applaudissements spontanés saluèrent cette annonce. Il n’y a rien que les journalistes aiment mieux qu’une conférence de presse — sinon peut-être un politicien de premier plan surpris au lit avec une call-girl.
« Idéalement, reprit Cox, la conférence de presse devrait avoir lieu sur la route, avec les porte-parole de la ville, quels qu’ils soient, côté intérieur du Dôme, et vous, mesdames et messieurs, côté extérieur. »
Rumeur excitée. La possibilité d’un contact visuel leur plaisait.
Cox tendit la main. « Mr Holt. »
Lester Holt (NBC) bondit sur ses pieds. « Dans quelle mesure êtes-vous sûr que Mr Rennie viendra ? Je pose la question parce que le bruit court qu’il y aurait des rapports pour abus de bien sociaux et même activités criminelles sur le bureau du procureur général du Maine.
— Je suis au courant de ces rapports, dit Cox. Je ne suis pas ici pour les commenter, mais Mr Rennie voudra peut-être le faire. » Il se tut un instant, une pointe d’ironie dans le sourire. « Pour ma part, je tiens beaucoup à ce qu’il le fasse.
— Rita Braver, colonel Cox, pour CBS. Est-il exact que Dale Barbara, l’homme désigné par vous comme administrateur extraordinaire de Chester’s Mill, a été arrêté sous l’inculpation de meurtre ? Que la police de Chester’s Mill pense qu’il s’agit en réalité d’un tueur en série ? »
Le silence devint total ; dans la grande tente, tous les regards se firent attentifs. Il en allait de même pour les quatre personnes installées au comptoir du Sweetbriar Rose.
« C’est exact », répondit Cox. Un léger murmure monta de l’assemblée des journalistes. « Mais nous n’avons aucun moyen de vérifier la véracité de ces accusations ou d’évaluer les preuves qui ont été données. Tout ce dont nous disposons, ce sont des échanges par téléphone ou Internet, comme vous devez certainement en avoir eu de votre côté. Dale Barbara est un officier décoré de l’armée. Il n’a jamais été arrêté. Je le connais depuis des années et je l’ai personnellement recommandé au président des États-Unis. Je n’ai aucune raison de penser avoir commis une erreur sur la base de ce que je sais à l’heure actuelle.
— Ray Suarez, colonel, pour PBS. Croyez-vous que les accusations dont le lieutenant Dale Barbara — aujourd’hui colonel — est l’objet pourraient avoir une motivation politique ? Que James Rennie aurait pu le faire emprisonner pour l’empêcher de prendre le contrôle de la ville, comme l’a ordonné le Président ? »
Et voilà exactement à quoi sert tout ce cinéma, comprit soudain Julia. Cox a fait des médias la Voix de l’Amérique et nous sommes les gens coincés derrière le Rideau de Fer. Elle se sentit pleine d’admiration.
« Si jamais vous avez une chance d’interroger le deuxième conseiller Rennie vendredi prochain, Mr Suarez, n’oubliez pas de lui poser cette question-là. Mesdames et messieurs, c’est tout ce que j’ai à vous donner. »
Il repartit du même pas vif qu’à son arrivée et il avait disparu avant que les reporters aient eu le temps de crier de nouvelles questions.
« Superbe machine, murmura Ernie.
— Ouais », dit Jackie.
Rose coupa la télé. Elle rayonnait, débordante d’énergie. « À quelle heure, la réunion municipale ? Je ne désapprouve rien de ce qu’a dit ce colonel Cox, mais ça pourrait rendre la vie de Barbie encore plus difficile. »
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