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— Est-ce que tu sais au moins combien il a de flics, à présent ? demanda Stewart.

— J’en ai rien à branler.

— Une trentaine, je crois. Mais demain, il se pourrait bien qu’il en ait cinquante. Et la moitié de la ville porte des brassards bleus pour dire qu’elle soutient la police. S’il veut les rameuter, il n’aura aucun mal.

— Ça ne servira à rien, dit le Chef. Notre foi est dans le Seigneur et notre force est celle de dix hommes.

— Eh bien ça fait vingt, dit Roger, montrant qu’il n’était pas nul en maths, ce qui est encore loin du compte.

— La ferme, Roger », dit Fern.

Stewart fit une nouvelle tentative : « Voyons, Phil — euh, Chef —, faut que t’arrêtes de déconner parce qu’il est pas marrant, ton truc. Il veut pas la dope, juste le propane. La moitié des gégènes sont en rideau, en ville. Dans deux jours, ce sera les trois quarts. Laisse-nous prendre le propane.

— J’en ai besoin pour cuire. Désolé. »

Stewart le regarda comme s’il était devenu fou.Il est devenu fou, pensa Andy. Nous sommes probablement tous les deux devenus fous. Mais évidemment, Jim Rennie aussi était cinglé, alors, qu’est-ce que ça pouvait foutre ?

« Vas-y maintenant, dit le Chef. Et explique-lui bien que s’il essaie d’envoyer la troupe contre nous, il va le regretter. »

Stewart hésita quelques instants, puis haussa les épaules. « Ça m’en touche une sans faire bouger l’autre, moi. Allez, viens, Fern. C’est moi qui vais conduire, Roger.

— Ça me va au poil, répondit Roger Killian. J’ai horreur de ce foutu changement de vitesse. »

Il adressa à Chef Bushey et à Andy un dernier regard chargé de méfiance, puis repartit vers le second camion.

« Dieu vous bénisse, les gars », leur lança Andy.

Stewart lui jeta un coup d’œil plein d’amertume par-dessus son épaule. « Dieu vous bénisse, vous aussi. Parce que Dieu sait que vous allez en avoir besoin. »

Les nouveaux propriétaires du plus gros laboratoire de méthadone d’Amérique du Nord restèrent côte à côte pour regarder le gros camion orange partir en marche arrière vers la route, exécuter une pesante manœuvre et s’éloigner.

« Sanders !

— Oui, Chef ?

— On va mettre un peu de peps dans la musique, et tout de suite. Cette ville a besoin de trucs comme Mavis Staples et les Clark Sisters. Une fois cette connerie réglée, on fumera. »

Les yeux d’Andy se remplirent de larmes. Il passa un bras autour des épaules osseuses de l’ex-Phil Bushey et le serra. « Je t’aime, Chef.

— Merci, Sanders. Pareil pour moi. Simplement, n’oublie pas de garder ton fusil chargé. À partir de maintenant, faudra monter la garde. »

15

Big Jim était assis auprès du lit de son fils alors que le coucher de soleil, imminent, barbouillait le jour en orange. Douglas Twitchell était venu faire une piqûre à Junior. Le jeune homme était profondément endormi. En un certain sens, se disait Big Jim, ce serait mieux s’il mourait ; vivant, et avec une tumeur comprimant son cerveau, impossible de savoir ce qu’il serait capable de faire ou dire. Certes, le gamin était de sa chair et de son sang, mais il fallait penser à un bien supérieur ; au bien de la ville. L’un des oreillers de rechange, dans le placard, ferait probablement l’affaire…

C’est à ce moment-là que son téléphone sonna. Il regarda qui appelait et fronça les sourcils. Quelque chose avait dû mal tourner. Sans quoi Stewart n’aurait pas appelé aussi rapidement. « Quoi ? »

Il écouta, de plus en plus stupéfait. Andy ? Andy là-bas, avec un fusil ?

Stewart attendait sa réaction. Qu’il lui dise ce qu’il fallait faire. Reprends ton calme, mon vieux, pensa Big Jim avant de pousser un soupir. « Donne-moi une minute. Faut que je réfléchisse. Je te rappelle. »

Il coupa la communication et se plongea dans ce nouveau problème. Il pouvait y aller ce soir avec toute une équipe de flics. Par certains côtés, l’idée était séduisante : les motiver à Food City puis prendre lui-même la tête de l’expédition. Si Andy y laissait la vie, encore mieux. Cela ferait de James Rennie Senior le gouvernement de la ville à lui tout seul.

Par ailleurs, la grande réunion spéciale devait avoir lieu le lendemain soir. Tout le monde viendrait et les questions n’allaient pas manquer. Il était sûr de pouvoir attribuer la responsabilité du labo de méthadone à Barbara et à ses amis (dans l’esprit de Big Jim, Andy Sanders était à présent un ami officiel de Barbara), mais toutefois… non.

Non.

Une saine peur, voilà ce qu’il voulait pour son troupeau, mais pas une vraie panique. La panique ne servirait pas son objectif, lequel était de prendre le contrôle absolu de la ville. Et s’il laissait Andy et Bushey tranquilles encore un jour ou deux, qu’est-ce qu’il risquait ? Cela pourrait même être utile, au fond. Les deux hommes deviendraient peut-être moins vigilants. S’imagineraient qu’on les avait oubliés, vu que la dope était pleine de vitamine S — S pour stupide.

Le problème était que vendredi — soit le surlendemain — avait été déclaré Journée des Visiteurs par le cueilleur de coton Cox. Toute la population ne manquerait pas de rappliquer une fois de plus du côté de la ferme Dinsmore. Burpee allait sans aucun doute de nouveau dresser sa baraque à hot-dogs. Pendant tout ce bazar et pendant que Cox présiderait tout seul sa conférence de presse, Big Jim pourrait de son côté, à la tête d’une force de seize ou dix-huit policiers, organiser une descente à la station de radio et se débarrasser définitivement de ces deux casse-pieds de drogués.

Oui. Bon plan.

Il rappela Stewart et lui dit de laisser tomber pour le moment.

« Mais je croyais que vous vouliez le propane ? s’étonna Stewart.

— Nous l’aurons, dit Big Jim. Et tu pourras nous aider à nous occuper de ces deux-là, si ça te chante.

— Un peu, que ça me chante. Il faut rendre la monnaie de sa pièce à ce fils de pute… — désolé, Big Jim — … à ce fils de chose de Bushey.

— On la lui rendra. Vendredi après-midi. Prévois ça dans ton agenda. »

Big Jim se sentait de nouveau en forme ; son cœur battait lentement et régulièrement dans sa poitrine, sans la moindre extrasystole. Et c’était aussi bien, car il y avait tant à faire, à commencer par la réunion avec les forces de police à Food City, ce soir : le contexte idéal pour bien faire comprendre l’importance de l’ordre à toute une bande de flics novices. En vérité, rien ne valait une scène de destruction pour pousser les gens à jouer à suivez-le-chef.

Il commença à quitter la pièce, puis revint sur ses pas et embrassa son fils sur la joue. Se débarrasser de Junior risquait aussi de devenir nécessaire, mais pour le moment, cela aussi pouvait attendre.

16

Une nouvelle nuit tombe sur la petite ville de Chester’s Mill ; encore une nuit sous le Dôme. Mais pour nous, pas de repos ; nous devons assister à deux réunions et aussi nous occuper d’Horace le corgi avant d’aller dormir. Horace tient compagnie à Andrea Grinnell, ce soir, et s’il prend tout son temps, il n’a pas oublié la présence du pop-corn dans l’angle du canapé.

Alors allons-y, vous et moi, pendant que le crépuscule gagne le ciel comme la sédation gagne le patient sur la table d’opération[13]. Allons-y, avant que les premières étoiles décolorées ne fassent leur apparition là-haut. Nous sommes le seul endroit, dans une zone qui inclut quatre États, où elles vont briller cette nuit. La pluie balaie toute la Nouvelle-Angleterre et les téléspectateurs des chaînes info du câble auront bientôt le privilège de voir de stupéfiantes photos satellites montrant un trou dans les nuages qui suit exactement les limites administratives en forme de chaussette de Chester’s Mill. Là, les étoiles brillent, sauf que ce sont des étoiles sales parce que le Dôme est sale.

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13

Ce passage comporte plusieurs allusions au poème de T.S. Eliot dans The Wasteland (La Terrevaine) « The love song of J. Alfred Prufock ».