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Et maintenant elle était inconsolable.

Elle leva vers lui son visage noyé de larmes. « Vous êtes sûr que je ne lui en ai pas trop donné ? Ou alors pas assez ? Que je ne l’ai pas étouffé… et tué ?

— Oui, j’en suis sûr. Jimmy serait mort, de toute façon, au moins cela lui aura-t-il évité une terrible amputation.

— Je crois que je pourrai jamais refaire un truc pareil, dit-elle en se remettant à pleurer. C’est affreux, maintenant. »

Rusty ne savait trop comment réagir, mais il n’en eut pas besoin. « Ça va aller, fit à ce moment-là une voix rauque. Faudra bien, mon chou, parce que nous avons besoin de toi. »

C’était Ginny Tomlinson, qui remontait le hall vers eux à pas lents.

« Tu ne devrais pas être debout, lui fit remarquer Rusty.

— Sans doute pas », admit Ginny, s’asseyant avec un soupir de soulagement à côté de Gina. Disparaissant sous les bandes d’adhésif, son nez la faisait ressembler à un goal de hockey après une partie difficile. « Mais je reprends tout de même le service.

— Demain, peut-être…, commença Rusty.

— Non, tout de suite. » Elle prit la main de Gina. « Et toi aussi, mon chou. Quand j’étais à l’école d’infirmières, il y avait une vieille prof qui disait qu’on avait le droit de partir une fois le sang séché et le rodéo terminé.

— Et si jamais je me trompe ? murmura Gina.

— Ça arrive à tout le monde. Le tout, c’est d’éviter que ce soit trop souvent. Mais je vais vous aider. Toi et Harriet. Alors, qu’est-ce que tu en penses ? »

Gina étudia, dubitative, le visage enflé de Ginny, des dégâts accentués par la vieille paire de lunettes de rechange dont elle s’était affublée. « Vous êtes sûre que vous allez pouvoir, Ms Tomlinson ?

— Tu m’aides, je t’aide. Ginny et Gina, les deux battantes. »

Elle leva un poing. Avec un petit sourire forcé, Gina le heurta du sien.

« Et patati et patata, très Technicolor, dit Rusty, mais si tu commences à t’évanouir, trouve-toi un lit et allonge-toi un moment. Ordre du Dr Rusty. »

Ginny grimaça — quand elle souriait, ses lèvres tiraient sur les ailes de son nez. « Un lit ? Mais non. Je vais squatter l’ancienne couchette de Ron Haskell dans son local. »

Le téléphone de Rusty sonna. Il fit signe aux deux femmes de le laisser. Elles s’éloignèrent en continuant de parler, Gina tenant Ginny par la taille.

« Eric à l’appareil.

— C’est la femme d’Eric, fit une voix étouffée. Elle appelle pour s’excuser auprès d’Eric. »

Rusty se rendit dans une salle d’examen inoccupée et referma la porte. « Les excuses ne sont pas nécessaires, répondit-il, sans en être tout à fait convaincu. L’énervement, c’est tout. Ils l’ont relâché ? » La question lui paraissait parfaitement raisonnable, étant donné le Barbie qu’il commençait à connaître.

« Je préférerais ne pas en discuter au téléphone. Peux-tu venir à la maison, mon chéri ? S’il te plaît… Il faut que nous parlions. »

Rusty se dit qu’il le pouvait, en fait. Il avait eu un patient dans un état critique et celui-ci venait de simplifier considérablement sa vie professionnelle en passant l’arme à gauche. Et s’il était soulagé de pouvoir de nouveau parler à la femme de sa vie, il n’aimait pas trop la prudence qu’il entendait dans sa voix.

« Oui, je peux, mais pas longtemps. Ginny est de nouveau sur pied, sauf que si je ne la surveille pas, elle va encore vouloir trop en faire. Pour le dîner ?

— Oui. » Elle paraissait soulagée. Rusty s’en réjouit. « Je vais décongeler de la soupe de poulet. On a intérêt à vider le congélateur, tant qu’on a du courant.

— Une dernière chose. Crois-tu toujours Barbie coupable ? T’occupe pas de ce que pensent les autres. Ton avis à toi ? »

Il y eut un long silence. Puis elle répondit : « Nous en parlerons quand tu seras là. » Sur quoi, elle raccrocha.

Rusty se tenait les fesses appuyées contre la table d’examen. Il garda le téléphone un moment dans sa main, puis enfonça le bouton rouge. Il y avait beaucoup de choses dont il n’était pas sûr, pour l’instant, mais une, en revanche, lui paraissait certaine : sa femme pensait que leur conversation était peut-être écoutée. Par qui ? Par l’armée ? Par la Sécurité intérieure ?

Par Big Jim Rennie ?

« Ridicule », dit Rusty à la pièce vide. Sur quoi il alla trouver Twitch et l’avertit qu’il quittait l’hôpital un moment.

9

Twitch accepta de garder Ginny à l’œil et de veiller à ce qu’elle n’en fasse pas trop, mais il demanda en échange à Rusty, avant de partir, de bien vouloir examiner Henrietta Clavard, qui avait été blessée pendant la mêlée au supermarché.

« Qu’est-ce qui lui est arrivé ? » demanda Rusty, craignant le pire. Certes, Henrietta était solide et en forme, mais quatre-vingt-quatre ans, c’est quatre-vingt-quatre ans.

« Elle m’a dit — je la cite : J’ai pris un gadin. L’une de ces garces de sœurs Mercier m’a cassé mon foutu cul. Elle fait allusion à Carla Mercier. Aujourd’hui Carla Venziano.

— Exact, dit Rusty, qui murmura ensuite, de but en blanc : c’est une petite ville et nous soutenons tous l’équipe. Alors, elle a quoi ?

— Quoi, elle a quoi, sensei ?

— Fracture du coccyx ?

— Je ne sais pas. Elle n’a pas voulu me le montrer. Elle m’a dit, et je la cite encore : Je ne montrerai ma lune fendue en deux qu’à un œil professionnel. »

Ils éclatèrent de rire, s’efforçant sans succès de se retenir.

De derrière la porte fermée monta la voix éraillée de la vieille dame : « C’est mon cul qu’est cassé, pas mes oreilles. Je vous ai entendus, les gars ! »

Rusty et Twitch s’esclaffèrent de plus belle. Le visage de Twitch prit une inquiétante nuance rouge vif.

De l’autre côté de la porte, la même voix monta de nouveau : « Si c’était votre cul, les p’tits gars, vous rigoleriez moins. »

Rusty entra, souriant toujours. « Désolé, Mrs Clavard. »

Elle se tenait debout et, au grand soulagement de Rusty, elle souriait aussi. « Faut bien qu’il y ait quelque chose de marrant dans cette histoire à la noix. Pourquoi pas moi, hein ? (Elle parut réfléchir.) Sans compter que moi aussi, je barbotais des trucs, comme les autres. Je l’ai sans doute bien mérité. »

10

Il s’avéra que si le derrière d’Henrietta était couvert de bleus, elle n’avait rien de cassé. Rusty lui donna une crème analgésique, se fit confirmer qu’elle avait bien de l’Advil chez elle et la renvoya, traînant la patte mais satisfaite. Aussi satisfaite, en tout cas, qu’une dame de son âge et de son tempérament pouvait l’être.

Lors de sa deuxième tentative pour prendre la tangente, soit un quart d’heure après le coup de fil de Linda, Harriet Bigelow l’intercepta à la porte donnant sur le parking. « Ginny m’a demandé de vous dire que Sammy Bushey est partie.

— Partie où ? demanda Rusty.

— On sait pas. Elle est juste partie.

— Elle est peut-être allée au Sweetbriar manger quelque chose. J’espère que c’est ça, parce que si jamais elle a décidé de rentrer chez elle à pied, il y a des chances que ses points lâchent. »