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De copieuses averses tombent sur Tarker’s Mill et sur la partie de Castle Rock connue sous le nom de La Vue ; selon le Mister Météo de CNN, Reynolds Wolf (aucun rapport avec le Wolfie de Rose Twitchell), tout se passe apparemment comme si, même si on ne peut en être entièrement certain, le flux est-ouest poussait les nuages contre le côté occidental du Dôme et les pressait telles des éponges avant de pouvoir s’écouler par le nord et le sud. Il parle d’un « phénomène fascinant ».

Suzanne Malveaux, la présentatrice, lui demande à quoi pourrait ressembler le temps sous le Dôme, à long terme, si la crise continuait.

« C’est la grande question, Suzanne. Tout ce que nous savons avec certitude, c’est qu’il ne pleut pas sur Chester’s Mill ce soir, même si la surface du Dôme est suffisamment perméable pour permettre à un peu d’humidité de passer, à condition que l’averse soit suffisamment forte. Les météorologues estiment cependant que les perspectives de précipitations, à long terme, ne sont pas très bonnes. Et nous savons que leur principal cours d’eau, la Prestile, est presque à sec. » Il sourit, exhibant un clavier parfaitement télégénique. « Grâce à Dieu, il existe les puits artésiens !

— Bien sûr, Reynolds », dit Suzanne.

Sur quoi l’écran publicitaire animé par Geico le gecko apparaît sur les écrans américains.

Bon, assez d’infos câblées ; laissons-nous flotter par certaines rues presque désertes, passons devant la Congo et le presbytère (où la réunion n’a pas encore commencé, mais Piper a rempli la grande cafetière collective et Julia prépare des sandwichs à la lueur d’une lampe Coleman chuintante), passons devant la maison McCain, entourée de son affligeant cordon de ruban jaune en voie d’affaissement, longeons la place principale, puis l’hôtel de ville où Al Timmons, le concierge, et deux de ses amis nettoient et récurent en prévision de la grande réunion spéciale de demain, puis le monument aux morts, où la statue de Lucien Calvert (l’arrière-grand-père de Norrie, je ne vous l’ai sans doute pas encore dit) poursuit son éternelle veille.

Nous nous arrêtons un instant pour voir comment vont Barbie et Rusty, d’accord ? Aucun problème pour descendre ; il n’y a que trois flics dans la salle de service, et Stacey Moggin, qui tient le bureau, dort la tête dans le creux de son bras replié en guise d’oreiller. Le reste du poste de police est au Food City, écoutant le dernier baratin de Big Jim, mais ils auraient pu tout aussi bien être tous ici, c’est sans importance : nous sommes invisibles. Ils ne sentiraient rien de plus qu’un léger courant d’air quand nous les frôlerions.

Pas grand-chose à voir, du côté des cellules, car l’espoir est chose aussi invisible que nous-mêmes. Les deux hommes n’ont rien à faire, sinon attendre le lendemain soir et espérer que le cours des choses changera. La main de Rusty lui fait mal, mais la douleur est moins forte que ce à quoi il s’attendait et ses doigts sont moins enflés qu’il ne le redoutait. De plus, Stacey Moggin, Dieu bénisse ce cœur d’or, lui a passé en douce deux Excedrin vers dix-sept heures.

Pour le moment les deux hommes — nos héros, je suppose — sont assis sur leurs couchettes respectives et jouent au jeu des vingt questions. C’est au tour de Rusty de deviner.

« Animal, végétal, ou minéral ? demande-t-il.

— Aucun des trois, répond Barbie.

— Comment ça ? C’est forcément l’un des trois.

— Non », dit Barbie.

Il pense à avoir la trique.

« Tu te fiches de moi.

— Pas du tout.

— Faut bien.

— Arrête de râler et pose-moi plutôt des questions.

— Je peux pas avoir un indice ?

— Non. C’est mon premier non. Restent dix-neuf.

— Attends une minute, bon Dieu. C’est pas juste. »

Nous les laisserons alléger le poids des vingt-quatre heures suivantes du mieux qu’ils peuvent, vous voulez bien ? Laissons aussi derrière nous le tas de cendres encore chaudes qui était naguère The Democrat (lequel n’est plus au service, hélas ! « de la petite ville en forme de botte »), la pharmacie de Sanders (qui a souffert de l’incendie mais tient encore debout, même si Andy Sanders n’en franchira plus jamais le seuil), la librairie et la Maison des fleurs de LeClerc, où toutes les fleurs sont à présent mortes ou mourantes. Passons sous le feu tricolore qui surplombe le carrefour des Routes 119 et 117 (nous le frôlons ; il s’agite doucement, à l’intersection des deux fils, puis s’immobilise à nouveau) pour traverser le parking du Food City. Nous sommes aussi silencieux que le souffle d’un enfant endormi.

Les grandes vitres de la façade du supermarché ont été remplacées par des panneaux de contreplaqué réquisitionnés dans la scierie de Tabby Morrell, et le gros du magma répandu sur le sol a été nettoyé par Jack Cale et Ernie Calvert, mais le Food City a toujours l’air d’avoir essuyé un cyclone, avec des cartons, des boîtes et des aliments secs répandus partout. Les marchandises restantes (celles qui n’ont pas été charroyées vers les placards de diverses cuisines ou stockées derrière le poste de police, en d’autres termes) sont réparties au petit bonheur sur les étagères. Les réfrigérateurs vitrés des boissons sans alcool et de la bière ainsi que le congélateur des crèmes glacées ont été démolis. On sent la puanteur pénétrante du vin répandu. Ce spectacle de chaos est exactement ce que Big Jim veut que voie sa nouvelle équipe de représentants de la loi — jeunes, terriblement jeunes pour la plupart. Il tient à ce qu’ils prennent conscience que toute la ville pourrait avoir cet aspect et il est assez habile pour savoir qu’il est inutile de le formuler à haute voix. Ils pigeront : voici ce qui arrive quand le berger manque à son devoir et que le troupeau s’affole.

Devons-nous écouter son laïus ? Bien sûr que non. Nous l’écouterons parler demain soir, ça suffira bien. Sans compter que nous savons ce qu’il va dire ; les deux grandes spécialités des États-Unis sont les démagogues et le rock and roll, et à notre époque, nous avons eu largement droit aux uns comme à l’autre.

Pourtant, avant de partir, nous devrions étudier les visages de ceux qui l’écoutent. Observer leur ravissement et nous rappeler que nombre d’entre eux (Carter Thibodeau, Mickey Wardlaw et Todd Wendlestat, pour n’en nommer que trois) sont des brutes qui n’ont pas été fichues de passer une semaine à l’école sans une punition pour avoir perturbé la classe ou s’être battus dans les toilettes. Mais Rennie les a hypnotisés. Il n’a jamais été brillant en tête à tête, mais face à une foule… braillarde et hot cha-cha-cha, comme disait le vieux Clayton Brassey du temps où il lui restait encore quelques neurones en état de marche. Big Jim qui leur sort sa « fine ligne bleue », et « l’orgueil de se tenir aux côtés de vos camarades officiers », et « la ville dépend de vous ». D’autres trucs, aussi. Les bons vieux trucs qui ne perdent jamais leur charme.

Big Jim en vient à Barbie. Il leur affirme que les amis de Barbie sont toujours là, semant la discorde et fomentant des dissensions dans le but de servir leurs sombres objectifs. Baissant la voix, il ajoute : « Ils vont essayer de me discréditer. Les mensonges qu’ils vont inventer n’auront pas de fin. »