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Un grommellement de mécontentement accueille ces derniers mots.

« Allez-vous prêter l’oreille à ces mensonges ? Allez-vous les laisser me discréditer ? Allez-vous laisser cette ville sans un leader fort au moment où elle en a le plus besoin ? »

La réponse est bien entendu un NON ! retentissant et bien que Big Jim continue (comme la plupart des politiciens, il est partisan de dorer non seulement la pilule, mais jusqu’à son emballage), nous pouvons le laisser à présent.

Reprenons ces rues désertes et retournons au presbytère de la Congo. Et regardez ! Voilà quelqu’un à accompagner : une adolescente de treize ans en jean délavé et vieux T-shirt d’un club de skate, les Winged Rippers. La moue râleuse permanente — un grrrr silencieux — qui fait le désespoir de sa maman a disparu des traits de Norrie Calvert, ce soir. Remplacée par une expression de stupéfaction émerveillée qui lui donne l’air d’avoir huit ans — âge qu’elle avait il n’y a pas si longtemps. Nous suivons son regard et voyons une pleine lune gigantesque se hisser au-dessus des nuages, à l’est de la ville. Elle a la couleur et la forme d’un pamplemousse rose qu’on viendrait de couper en deux.

« Oh… mon… Dieu », murmure Norrie. Elle presse un petit poing entre la timide amorce de ses deux seins tandis qu’elle contemple cette aberration rosâtre de lune. Puis elle reprend sa marche, mais pas fascinée au point d’en oublier de regarder de temps en temps autour d’elle pour s’assurer qu’on ne la remarque pas. Tel a été le mot d’ordre de Linda Everett : venir seul, discrètement, et en étant absolument certain de ne pas avoir été suivi.

« Ce n’est pas un jeu », leur avait dit Linda. Norrie avait été plus impressionnée par son visage pâle aux traits tirés que par ses paroles : « Si nous sommes pris, ils ne vont pas se contenter de nous retirer des points ou de nous faire passer un tour. Est-ce que vous comprenez ça, les enfants ?

— Je ne pourrais pas aller avec Joe ? » avait demandé Mrs McClatchey.

Elle était presque aussi pâle que Mrs Everett.

Mrs Everett avait fait non de la tête. « Mauvaise idée. » Réponse qui avait impressionné Norrie plus que tout. Non, ce n’était pas un jeu ; ou alors, celui de la vie et de la mort.

Ah, mais voilà l’église, et le presbytère juste à côté. Norrie aperçoit la lumière blanche et brillante des lampes Coleman, derrière, là où doit se trouver la cuisine. Elle sera bientôt à l’intérieur, loin du regard inquisiteur de cette affreuse lune rose. Elle sera bientôt en sécurité.

C’est ce qu’elle pense au moment où une ombre se détache du plus noir de l’ombre et la prend par le bras.

17

Norrie fut trop surprise pour crier, ce qui était aussi bien ; quand la lune rose éclaira le visage de l’homme qui venait de l’accoster, elle reconnut Romeo Burpee.

« Vous m’avez flanqué une frousse du diable, dit-elle.

— Désolé. Je surveille le secteur, moi, tu comprends ? » Rommie la lâcha et regarda autour de lui. « Où sont tes petits copains ? »

Norrie sourit. « J’sais pas. On doit venir séparément, chacun de notre côté. C’est ce qu’a dit Mrs Everett. » Elle étudia le bas de la colline. « Je crois que c’est la maman de Joey qui arrive. On devrait rentrer. »

Ils s’avancèrent vers la lumière des lanternes. La porte du presbytère était ouverte. Rommie frappa doucement sur le cadre de la moustiquaire et dit : « Romeo Burpee et une amie. S’il y a un mot de passe, on ne le connaît pas. »

Piper Libby ouvrit la moustiquaire et les fit entrer. Elle regarda Norrie avec curiosité, « Tu es qui, toi ?

— Du diable si c’est pas ma petite-fille ! » s’exclama Ernie en entrant dans la pièce. Il tenait un verre de limonade à la main et souriait. « Viens ici, ma fille. Tu m’as manqué. »

Norrie le serra bien fort dans ses bras et planta un baiser sur sa joue, comme lui avait dit sa mère. Elle ne s’était pas attendue à devoir obéir aussi vite à ses instructions, mais cela lui faisait plaisir. Et à son grand-père, elle pouvait dire la vérité qui n’aurait pas franchi ses lèvres, même sous la torture, devant les garçons avec lesquels elle traînait :

« Grand-père ? J’ai peur.

— Nous avons tous peur, ma chérie. » Il la serra un peu plus fort contre elle, puis plongea les yeux dans ceux de sa petite-fille tournés vers lui. « Je ne sais pas trop ce que nous faisons ici, mais puisque tu es là, est-ce qu’un verre de limonade te ferait plaisir ? »

Norrie vit la cafetière géante et répondit : « Je crois que je préférerais un café.

— Moi aussi, dit Piper. Je l’ai préparé avec un super-mélange et tout était prêt — puis je me suis aperçue que mon réchaud à gaz ne marchait plus. » Elle secoua légèrement la tête, comme pour s’éclaircir les idées. « Ça n’arrête pas de me toucher de toutes sortes de manières différentes. »

On frappa de nouveau à la porte de derrière et Lissa Jamieson entra, les joues fortement colorées. « J’ai planqué ma bicyclette dans votre garage, révérende Libby. J’espère que vous n’y voyez pas d’inconvénient.

— C’est parfait. Et puisque nous préparons une conspiration criminelle — comme l’affirmeraient sans aucun doute Randolph et Rennie —, autant m’appeler Piper, d’accord ? »

18

Tout le monde arriva en avance, et Piper put déclarer ouverte la première séance du Comité révolutionnaire de Chester’s Mill à vingt et une heures passées d’une minute ou deux. La première chose qui la frappa fut la disparité numérique entre les femmes (huit) et les hommes (quatre). Et sur les quatre hommes, un était retraité et deux autres n’étaient même pas en âge d’aller voir un film classé X. Elle dut se rappeler que des centaines de groupes de guérilla, dans diverses parties du monde, avaient armé des femmes et des enfants pas plus âgés que ceux présents ici ce soir. Ce qui ne justifiait rien, mais il arrivait parfois que ce qui était juste entre en conflit avec ce qui était nécessaire.

« J’aimerais que nous inclinions tous la tête une minute, dit Piper. Moi-même je ne vais pas prier, parce que je ne sais plus trop à qui je m’adresse quand je le fais. Mais vous avez peut-être envie de dire quelques mots au Dieu que vous révérez, car ce soir nous allons avoir besoin de toute l’aide possible. »

Tout le monde fit comme elle avait dit. Certains avaient encore la tête baissée et les yeux fermés lorsque Piper releva la sienne et les parcourut du regard : deux femmes flics récemment licenciées, un ex-gérant de supermarché, une patronne de journal sans journal depuis peu, une bibliothécaire, la propriétaire du restaurant du coin, une veuve du Dôme qui ne pouvait s’empêcher de tripoter son alliance, le patron du grand magasin local et trois gamins à l’expression inhabituellement sérieuse, serrés les uns contre les autres sur le canapé.

« OK, amen, dit Piper. Je vais céder la parole pour la réunion à Jackie Wettington, qui sait ce qu’il faut faire.

— C’est probablement un peu optimiste, répondit Jackie. Sans parler de prématuré. Parce que je vais tout de suite la refiler à Joe McClatchey. »

Joe parut pris de court. « À moi ?

— Mais avant qu’il ne commence, je voudrais demander à ses amis d’aller monter la garde. Norrie devant la maison et Benny derrière. » Jackie leva la main pour arrêter les protestations qu’elle lisait déjà sur leur visage. « Ce n’est pas une excuse pour vous faire sortir : c’est important. Je n’ai pas besoin de vous dire que ce serait très mauvais si les pouvoirs en place surprenaient notre petit conclave. Vous êtes les deux plus petits. Trouvez-vous un coin bien noir et planquez-vous dedans. S’il arrive quelqu’un qui vous paraît suspect, ou si vous voyez rappliquer l’une des voitures de police de la ville, tapez dans vos mains comme ça. » Elle donna un premier coup, suivi de deux rapides et d’un quatrième espacé. « On vous tiendra au courant de tout ensuite, je vous le promets. Le nouvel ordre du jour est la mise en commun des informations, sans aucune restriction. »