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Ce qui avait été efficace pendant un certain temps. Andi avait trouvé une balle en caoutchouc dans la caisse de jouets qu’elle gardait pour son unique petit-fils (qui en avait aujourd’hui largement dépassé l’âge). Horace avait consciencieusement poursuivi et ramené la balle, comme on l’attendait de lui, même si le défi n’était pas bien grand ; il préférait quand il fallait les rattraper au vol. Mais un boulot est un boulot, et il continua jusqu’à ce qu’Andrea se mette à trembler comme si soudain elle avait froid.

« Oh, oh, merde. Voilà que ça recommence. »

Elle s’allongea sur le canapé, frissonnant de tous ses membres. Elle étreignit l’un des coussins contre sa poitrine et entreprit de contempler le plafond. Ses dents se mirent bientôt à claquer — bruit des plus désagréables, de l’avis d’Horace.

Il lui apporta la balle, dans l’espoir de la distraire, mais elle le repoussa : « Non, mon mignon, pas maintenant. Laisse-moi me remettre. »

Horace alla reposer la balle devant la télé éteinte et s’allongea. Les tremblements de la femme diminuèrent et l’odeur de maladie qu’elle dégageait s’atténua en même temps. Les bras qui étreignaient le coussin se détendirent ; la femme s’assoupit, puis se mit à ronfler.

Ce qui signifiait que l’heure du casse-croûte était venue.

Horace se glissa sous la table d’angle et rampa sur l’enveloppe de papier kraft contenant le dossier VADOR. Au-delà, le pop-corn ! Oh, quelle chance il a, ce chien !

Horace continuait à s’empiffrer, son arrière-train sans queue se tortillant d’un plaisir proche de l’extase (les grains éclatés dispersés là étaient incroyablement riches en beurre, incroyablement salés et — mieux que tout — vieillis à point), quand la voix morte s’éleva de nouveau :

Apporte-lui ça.

Mais il ne pouvait pas. Sa maîtresse était partie.

L’autre femme.

La voix morte n’admettait aucun refus et, de toute façon, il ne restait pratiquement plus de pop-corn. Horace repéra néanmoins les derniers grains afin d’y revenir plus tard, puis recula jusqu’à ce que l’enveloppe soit devant lui. Un instant, il ne se souvint plus de ce qu’il devait faire. Puis cela lui revint et il l’attrapa dans sa gueule.

Bon chien.

21

Quelque chose de froid léchait la joue d’Andrea. Elle repoussa la chose et se tourna de côté. Pendant une ou deux secondes, elle fut sur le point de sombrer à nouveau dans un sommeil réparateur, puis il y eut un aboiement.

« La ferme, Horace », dit-elle d’une voix pâteuse en se mettant le coussin sur la tête.

Nouvel aboiement. Puis les douze ou treize kilos du corgi atterrirent sur ses jambes.

« Ah ! » s’écria Andrea en se mettant sur son séant. Elle se retrouva face à deux yeux noisette brillants et à une gueule renardesque souriante. Sauf que le sourire était interrompu par quelque chose. Une enveloppe en papier kraft marron. Horace la laissa tomber sur son estomac et sauta à terre. Il n’était pas autorisé, en principe, à monter sur le mobilier qui ne lui était pas réservé, mais la voix lui avait fait comprendre qu’il y avait urgence.

Andrea ramassa l’enveloppe. Elle portait les traces des dents d’Horace ainsi que celles, moins visibles, de ses pattes. Y était aussi collé un grain de pop-corn qu’elle repoussa. Le contenu la déformait. En grandes lettres carrées on lisait dessus : DOSSIER VADOR et en dessous, de la même écriture : JULIA SHUMWAY.

« Horace ? Où tu as trouvé ça ? »

Horace était bien entendu incapable de répondre à cette question, mais il n’en eut pas besoin. Le grain de pop-corn montrait clairement d’où elle provenait. Un souvenir revint à l’esprit d’Andrea, un souvenir si fluctuant et irréel qu’il avait tout d’un rêve. Était-ce un rêve, ou bien Brenda Perkins était-elle réellement venue jusqu’à sa porte, juste après sa première et terrible nuit de désintoxication ? Pendant l’émeute au Food City, à l’autre bout de la ville ?

Peux-tu conserver ces documents pour moi, Andrea ? Juste pour un petit moment ? J’ai une course à faire et je ne veux pas les avoir avec moi.

« Elle est bien venue ici, dit-elle à Horace, et elle tenait cette enveloppe. Je l’ai prise… il me semble que je l’ai prise… puis il a fallu que je vomisse… que je vomisse encore. Je l’ai sans doute jetée sur la table pendant que je courais jusqu’aux chiottes. Elle a dû tomber. Tu l’as trouvée par terre, c’est ça ? »

Horace émit un seul aboiement. Il pouvait signifier son accord ; signifier aussi qu’il était prêt à rejouer à la balle.

« Eh bien, merci, en tout cas. Bon p’tit chien, ça. Je la donnerai à Julia dès qu’elle reviendra. »

Elle n’avait plus sommeil, et — du moins pour le moment — elle ne tremblait pas. Mais en revanche, sa curiosité était éveillée. Parce que Brenda était morte. Assassinée. Ce qui avait dû arriver peu de temps après qu’elle avait apporté l’enveloppe. Qui, du coup, pouvait avoir de l’importance.

« Je vais juste jeter un petit coup d’œil, d’accord ? » dit-elle.

Horace aboya à nouveau. Pourquoi pas ? semblait-il vouloir dire.

Andrea ouvrit l’enveloppe et l’essentiel des secrets de Big Jim Rennie dégringola sur ses genoux.

22

Claire arriva la première chez elle. Puis ce fut Benny, bientôt suivie de Norrie. Ils étaient tous les trois assis sur le porche de la maison McClatchey lorsque Joe arriva à son tour, coupant par les pelouses et restant dans l’ombre. Benny et Norrie buvaient du Dr Brown’s Cream Soda tiède. Claire tenait une des bouteilles de bière de son mari à la main et se balançait lentement sur le fauteuil à bascule du porche. Joe s’assit par terre à côté d’elle et Claire passa un bras autour de ses épaules osseuses. Il est fragile, songea-t-elle. Il ne le sait pas, mais il est fragile. Rien de plus qu’un petit oiseau.

« On commençait à se faire du souci, vieux, dit Benny en lui tendant le soda qu’il avait gardé pour lui.

— Ms Shumway avait quelques questions à me poser sur la boîte, répondit-il, et je ne pouvais pas répondre à toutes. Bon sang, il fait chaud, non ? On se croirait un soir d’été. » Il tourna les yeux vers le ciel. « Et regardez-moi cette lune.

— J’ai pas envie, dit Norrie, ça fiche la frousse.

— Ça va, mon chéri ? demanda Claire.

— Ouais, m’man. Et toi ? »

Elle sourit. « Je ne sais pas. Tu crois que ça va marcher ? Qu’est-ce que vous en pensez, tous les trois ? Qu’est-ce que vous en pensez vraiment ? »

Aucun d’eux ne répondit, sur le moment, et cela lui fit plus peur que tout. Puis Joe l’embrassa sur la joue et dit : « Ça va marcher.

— Tu es sûr ?

— Ouais. »

Quand il mentait, elle s’en rendait toujours compte — même si elle savait que ce talent risquait de disparaître avec l’âge — mais cette fois elle ne lui en fit pas le reproche. Elle se contenta de lui rendre son baiser, son haleine chaude chargée des relents paternels de bière. « Pourvu qu’il n’y ait pas de sang versé…

— Il n’y en aura pas », dit Joe.

Elle sourit. « D’accord. Je me contenterai de ça. »

Ils restèrent assis dans la pénombre encore un moment, sans beaucoup parler. Puis ils entrèrent dans la maison, laissant la ville s’endormir sous la lune rose.