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— Seulement avec ma cuisine. »

Junior sourit, genre, elle est bonne, elle est bonne. « T’as jamais été cuistot là-bas, Baaarbie. Tu étais officier de liaison. C’est comme ça qu’était décrit ton boulot, en tout cas. Mon père a cherché sur Internet. Il n’y pas grand-chose, mais tout de même… Il pense que tu conduisais des interrogatoires. Et peut-être même que tu as participé à des opérations secrètes. T’aurais pas été une sorte de Jason Bourne ? »

Barbie garda le silence.

« Allez, dis-moi, t’as pas tué des gens ? Ou alors, je devrais plutôt demander : combien de gens t’as tués ? Sans compter ceux que tu as zigouillés ici. »

Barbie garda le silence.

« Bon Dieu, je parie que cette eau est bonne. Je l’ai prise dans la glacière, en haut. »

Barbie garda le silence.

« Vous autres, vous êtes revenus avec toutes sortes de problèmes. En tout cas, c’est ce qu’ils racontent à la télé. Vrai ou faux ? »

Ce n’est pas la migraine qui provoque ça. Du moins, pas la migraine telle que je la connais.

« À quel point as-tu mal à la tête, Junior ?

— J’ai pas mal du tout.

— Depuis combien de temps as-tu des migraines ? »

Junior posa soigneusement le verre sur le sol. Il portait une arme, ce soir. Il la tira et la pointa entre les barreaux sur Barbie. Le canon tremblait légèrement. « T’as envie de continuer à jouer au docteur ? »

Barbie regarda le pistolet. Le pistolet n’entrait pas dans le scénario, il en était certain ; Big Jim avait des plans pour lui, des plans pas du tout réjouissants, mais qu’il soit descendu dans sa cellule alors que n’importe qui pouvait se précipiter au sous-sol et constater qu’il était encore derrière les barreaux et sans arme, voilà qui n’en faisait pas partie. Sauf qu’il n’était pas du tout sûr que Junior allait respecter le scénario, car Junior était malade.

« Non, dit-il, j’ai fini. Désolé.

— Ouais, t’es désolé, d’accord. Un désolant sac de merde. » Junior, cependant, paraissait satisfait. Il rengaina son arme et reprit le verre d’eau. « Mon hypothèse, c’est que t’es revenu complètement cinglé après ce que tu as vu et fait là-bas. Tu sais ? PTSS, PTSD, STD[3] et tout le tremblement. Mon hypothèse, c’est que t’as pété les plombs. C’est pas ça ? »

Barbie garda le silence.

La réponse ne paraissait pas vraiment intéresser Junior, de toute façon. Il tendit le verre à travers les barreaux. « Prends-le. »

Barbie tendit la main, pensant que l’autre allait retirer le verre de nouveau, mais il le lui donna. Il prit une gorgée prudente. Ni fraîche ni buvable.

« Vas-y, l’encouragea Junior. Je n’y ai mis que la moitié de la salière, tu dois pouvoir faire avec, non ? Tu sales bien ta soupe, hein ? »

Barbie se contenta de regarder Junior.

« Tu sales pas ta soupe ? Tu la sales pas, espèce d’enfoiré ? »

Barbie tendit le verre à travers les barreaux.

« Garde-le, garde-le, dit Junior d’un ton magnanime. Et prends ça, aussi. » Il fit passer le papier et le stylo entre les barreaux. Barbie les prit et examina le papier. C’était à peu de chose près ce à quoi il s’était attendu. Il y avait, en bas, un emplacement réservé à sa signature.

Il voulut le lui rendre. Junior recula d’un pas presque dansant. Il souriait et secouait la tête. « Garde ça aussi. Mon père m’a dit que tu ne signerais pas tout de suite, mais que tu réfléchirais. Et que tu réfléchirais aussi à un verre d’eau bien fraîche sans sel dedans. Et à de la nourriture. Un bon vieux cheeseburger. Peut-être un Coca. Il y en a des bien froids dans le frigo. Et une bonne crème glacée, hein, ça te dirait pas ? »

Barbie garda le silence.

« Tu sales pas ta soupe ? Vas-y, fais pas ta timide. Réponds, tronche de cul. »

Barbie garda le silence.

« Tu vas changer d’avis. Quand tu auras assez faim et assez soif, tu changeras d’avis. C’est ce que mon père a dit, et il a presque toujours raison pour ce genre de choses. Hé-hé, Baaarbie. »

Il s’engagea dans le couloir puis se retourna.

« T’aurais jamais dû porter la main sur moi, tu sais. Ç’a été ta grande erreur. »

Quand il monta l’escalier, Barbie observa que Junior boitait un tout petit peu — qu’il traînait légèrement la jambe. Oui, il traînait la jambe gauche et compensait en s’agrippant de la main droite à la rampe. Il se demanda ce que Rusty Everett penserait de tels symptômes. Se demanda aussi s’il aurait jamais l’occasion de lui poser la question.

Barbie jeta un coup d’œil sur les aveux qu’il n’avait pas signés. Il aurait aimé déchirer la feuille en mille morceaux et les jeter par terre, devant sa cellule, mais cette provocation était inutile. Quand on est pris dans les griffes du chat, le mieux à faire est de garder le profil le plus bas possible. Il posa la feuille de papier sur la couchette et mit le stylo dessus. Puis prit le verre d’eau. Du sel. De l’eau noyée de sel. Il en sentait l’odeur. Ce qui lui fit penser à ce qu’était devenu Chester’s Mill… Mais Chester’s Mill n’avait-il pas toujours été ainsi ? Même avant le Dôme ? Big Jim et ses amis ne semaient-ils pas du sel partout ici depuis un moment ? Barbie pensait que oui. Il pensa aussi que s’il sortait vivant de ce poste de police, ce serait un miracle.

Malgré tout, à ce petit jeu, c’était des amateurs ; ils avaient oublié les toilettes. Il était probable qu’aucun d’eux n’avait été dans un pays où même un peu d’eau au fond d’un fossé pouvait vous faire envie quand vous portiez trente kilos de barda et que la température atteignait les quarante-six degrés. Barbie vida le verre d’eau salée dans un coin de sa cellule. Puis il pissa dans le verre et le plaça sous la couchette. Après quoi il s’agenouilla devant les toilettes, comme s’il allait prier, et but jusqu’à sentir son estomac dilaté.

13

À son arrivée, Rusty trouva Linda assise sur les marches du perron. Dans le jardin, Jackie Wettington poussait les deux J sur les balançoires, les filles l’incitant à les faire monter toujours plus haut.

Linda s’avança vers lui, bras tendus. Elle l’embrassa sur la bouche, se recula pour le regarder, puis l’embrassa de nouveau, le tenant par les joues, lèvres écartées. Il sentit le bref contact humide de la langue de sa femme et se mit aussitôt à bander. Elle s’en rendit compte et se pressa contre lui.

« Houlà, dit-il. On devrait se disputer plus souvent en public. Et si tu n’arrêtes pas, on fera quelque chose d’autre en public.

— On le fera, mais pas en public. Pour commencer… dois-je te répéter que je suis désolée ?

— Non. »

Elle le prit par la main et le conduisit jusqu’aux marches. « Bien. Parce qu’il y a des choses dont nous devons parler. Des choses sérieuses. »

Il posa sa main libre sur celle de sa femme. « Je t’écoute. »

Linda lui raconta alors ce qui s’était passé au poste de police — comment Julia s’était fait rembarrer, alors qu’Andy Sanders avait été autorisé à descendre voir le détenu ; comment elle s’était rendue à l’église avec Jackie et Julia pour qu’elles puissent parler tranquillement ; la discussion qu’elles avaient eue finalement avec Piper Libby et Rommie Burpee, dans le presbytère. Quand elle lui parla du début de rigidité cadavérique qu’elles avaient observé sur le corps de Brenda Perkins, Rusty tendit l’oreille.

« Jackie ! lança-t-il. Tu es bien certaine, pour la rigor ?

— Assez, oui ! répondit-elle sur le même ton.

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3

Respectivement : Syndrome de stress post-traumatique, Désordres et stress post-traumatique, Maladies sexuellement transmissibles.