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Pendant qu'il rêve à tout ce qu'il ferait pour posséder cette

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femme, elle l'arrête au coin d'une rue et lui demande s'il veut monter chez elle.

Il détourne la tête, traverse la rue et rentre tout triste chez lui.

Je me rappelais cette étude, et moi qui aurais voulu souffrir pour cette femme, je craignais qu'elle ne m'acceptât trop vite et ne me donnât trop promptement un amour que j'eusse voulu payer d'une longue attente ou d'un grand sacrifice. Nous sommes ainsi, nous autres hommes ; et il est bien heureux que l'imagination laisse cette poésie aux sens, et que les désirs du corps fassent cette concession aux rêves de l'âme.

Enfin, on m'eût dit : vous aurez cette femme ce soir, et vous serez tué demain, j'eusse accepté. On m'eût dit : donnez dix louis, et vous serez son amant, j'eusse refusé et pleuré, comme un enfant qui voit s'évanouir au réveil le château entrevu la nuit.

Cependant, je voulais la connaître ; c'était un moyen, et même le seul, de savoir à quoi m'en tenir sur son compte.

Je dis donc à mon ami que je tenais à ce qu'elle lui accordât la permission de me présenter, et je rôdai dans les corridors, me figurant qu'à partir de ce moment elle allait me voir, et que je ne saurais quelle contenance prendre sous son regard.

Je tâchais de lier à l'avance les paroles que j'allais lui dire.

Quel sublime enfantillage que l'amour !

Un instant après mon ami redescendit.

– Elle nous attend, me dit-il.

– Est-elle seule ? Demandai-je.

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– Avec une autre femme.

– Il n'y a pas d'hommes ?

– Non.

– Allons.

Mon ami se dirigea vers la porte du théâtre.

– Eh bien, ce n'est pas par là, lui dis-je.

– Nous allons chercher des bonbons. Elle m'en a demandé.

Nous entrâmes chez un confiseur du passage de l'Opéra.

J'aurais voulu acheter toute la boutique, et je regardais même de quoi l'on pouvait composer le sac, quand mon ami demanda :

– Une livre de raisins glacés.

– Savez-vous si elle les aime ?

– Elle ne mange jamais d'autres bonbons, c'est connu.

« Ah ! continua-t-il quand nous fûmes sortis, savez-vous à quelle femme je vous présente ? Ne vous figurez pas que c'est à une duchesse, c'est tout simplement à une femme entretenue, tout ce qu'il y a de plus entretenue, mon cher ; ne vous gênez donc pas, et dites tout ce qui vous passera par la tête.

– Bien, bien, balbutiai-je, et je le suivis, en me disant que j'allais me guérir de ma passion.

Quand j'entrai dans la loge, Marguerite riait aux éclats.

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J'aurais voulu qu'elle fût triste.

Mon ami me présenta. Marguerite me fit une légère inclination de tête, et dit :

– Et mes bonbons ?

– Les voici.

En les prenant, elle me regarda. Je baissai les yeux, je rougis.

Elle se pencha à l'oreille de sa voisine, lui dit quelques mots tout bas, et toutes deux éclatèrent de rire.

Bien certainement j'étais la cause de cette hilarité ; mon embarras en redoubla. À cette époque, j'avais pour maîtresse une petite bourgeoise fort tendre et fort sentimentale, dont le sentiment et les lettres mélancoliques me faisaient rire. Je compris le mal que j'avais dû lui faire par celui que j'éprouvais, et, pendant cinq minutes, je l'aimai comme jamais on n'aima une femme.

Marguerite mangeait ses raisins sans plus s'occuper de moi.

Mon introducteur ne voulut pas me laisser dans cette position ridicule.

– Marguerite, fit-il, il ne faut pas vous étonner si M. Duval ne vous dit rien, vous le bouleversez tellement qu'il ne trouve pas un mot.

– Je crois plutôt que monsieur vous a accompagné ici parce que cela vous ennuyait d'y venir seul.

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– Si cela était vrai, dis-je à mon tour, je n'aurais pas prié Ernest de vous demander la permission de me présenter.

– Ce n'était peut-être qu'un moyen de retarder le moment fatal.

Pour peu que l'on ait vécu avec les filles du genre de Marguerite, on sait le plaisir qu'elles prennent à faire de l'esprit à faux et à taquiner les gens qu'elles voient pour la première fois.

C'est sans doute une revanche des humiliations qu'elles sont souvent forcées de subir de la part de ceux qu'elles voient tous les jours.

Aussi faut-il pour leur répondre une certaine habitude de leur monde, habitude que je n'avais pas ; puis, l'idée que je m'étais faite de Marguerite m'exagéra sa plaisanterie. Rien ne m'était indifférent de la part de cette femme. Aussi je me levai en lui disant, avec une altération de voix qu'il me fut impossible de cacher complètement :

– Si c'est là ce que vous pensez de moi, madame, il ne me reste plus qu'à vous demander pardon de mon indiscrétion, et à prendre congé de vous en vous assurant qu'elle ne se renouvellera pas.

Là-dessus, je saluai et je sortis.

À peine eus-je fermé la porte, que j'entendis un troisième éclat de rire. J'aurais bien voulu que quelqu'un me coudoyât en ce moment.

Je retournai à ma stalle.

On frappa le lever de la toile.

Ernest revint auprès de moi.

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– Comme vous y allez ! me dit-il en s'asseyant ; elles vous croient fou.

– Qu'a dit Marguerite, quand j'ai été parti ?

– Elle a ri et m'a assuré qu'elle n'avait jamais rien vu d'aussi drôle que vous. Mais il ne faut pas vous tenir pour battu ; seulement ne faites pas à ces filles-là l'honneur de les prendre au sérieux. Elles ne savent pas ce que c'est que l'élégance et la politesse ; c'est comme les chiens auxquels on met des parfums, ils trouvent que cela sent mauvais et vont se rouler dans le ruisseau.

– Après tout, que m'importe ? dis-je en essayant de prendre un ton dégagé, je ne reverrai jamais cette femme, et si elle me plaisait avant que je la connusse, c'est bien changé maintenant que je la connais.

– Bah ! je ne désespère pas de vous voir un jour dans le fond de sa loge, et d'entendre dire que vous vous ruinez pour elle. Du reste, vous aurez raison, elle est mal élevée, mais c'est une jolie maîtresse à avoir.

Heureusement, on leva le rideau et mon ami se tut. Vous dire ce que l'on jouait me serait impossible. Tout ce que je me rappelle, c'est que de temps en temps je levais les yeux sur la loge que j'avais si brusquement quittée, et que des figures de visiteurs nouveaux s'y succédaient à chaque instant.

Cependant, j'étais loin de ne plus penser à Marguerite. Un autre sentiment s'emparait de moi. Il me semblait que j'avais son insulte et mon ridicule à faire oublier ; je me disais que, dussé-je y dépenser ce que je possédais, j'aurais cette fille et prendrais de droit la place que j'avais abandonnée si vite.

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Avant que le spectacle fût terminé, Marguerite et son amie quittèrent leur loge.

Malgré moi, je quittai ma stalle.

– Vous vous en allez ? me dit Ernest.

– Oui.

– Pourquoi ?

En ce moment, il s'aperçut que la loge était vide.

– Allez, allez, dit-il, et bonne chance, ou plutôt meilleure chance.

Je sortis.

J'entendis dans l'escalier des frôlements de robes et des bruits de voix. Je me mis à l'écart et je vis passer, sans être vu, les deux femmes et les deux jeunes gens qui les accompagnaient.

Sous le péristyle du théâtre se présenta à elles un petit domestique.