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– En voulez-vous ?

– Non, fit Prudence.

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Marguerite reprit le sac et, se retournant, se mit à causer avec le duc.

Le récit de tous ces détails ressemble à de l'enfantillage, mais tout ce qui avait rapport à cette fille est si présent à ma mémoire, que je ne puis m'empêcher de le rappeler aujourd'hui.

Je descendis prévenir Gaston de ce que je venais d'arranger pour lui et pour moi.

Il accepta.

Nous quittâmes nos stalles pour monter dans la loge de Madame Duvernoy.

À peine avions-nous ouvert la porte des orchestres que nous fûmes forcés de nous arrêter pour laisser passer Marguerite et le duc qui s'en allaient.

J'aurais donné dix ans de ma vie pour être à la place de ce vieux bonhomme.

Arrivé sur le boulevard, il lui fit prendre place dans un phaéton qu'il conduisait lui-même, et ils disparurent emportés au trot de deux superbes chevaux.

Nous entrâmes dans la loge de Prudence.

Quand la pièce fut finie, nous descendîmes prendre un simple fiacre qui nous conduisit rue d'Antin, n° 7. À la porte de sa maison, Prudence nous offrit de monter chez elle pour nous faire voir ses magasins que nous ne connaissions pas et dont elle paraissait être très fière. Vous jugez avec quel empressement j'acceptai.

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Il me semblait que je me rapprochais peu à peu de Marguerite. J'eus bientôt fait retomber la conversation sur elle.

– Le vieux duc est chez votre voisine ? dis-je à Prudence.

– Non pas ; elle doit être seule.

– Mais elle va s'ennuyer horriblement, dit Gaston.

– Nous passons presque toutes nos soirées ensemble, ou, lorsqu'elle rentre, elle m'appelle. Elle ne se couche jamais avant deux heures du matin. Elle ne peut pas dormir plus tôt.

– Pourquoi ?

– Parce qu'elle est malade de la poitrine et qu'elle a presque toujours la fièvre.

– Elle n'a pas d'amants ? demandai-je.

– Je ne vois jamais personne rester quand je m'en vais ; mais je ne réponds pas qu'il ne vient personne quand je suis partie ; souvent je rencontre chez elle, le soir, un certain comte de N… qui croit avancer ses affaires en faisant ses visites à onze heures, en lui envoyant des bijoux tant qu'elle en veut ; mais elle ne peut pas le voir en peinture. Elle a tort, c'est un garçon très riche. J'ai beau lui dire de temps en temps : ma chère enfant, c'est l'homme qu'il vous faut ! Elle qui m'écoute assez ordinairement, elle me tourne le dos et me répond qu'il est trop bête. Qu'il soit bête, j'en conviens ; mais ce serait pour elle une position, tandis que ce vieux duc peut mourir d'un jour à l'autre. Les vieillards sont égoïstes ; sa famille lui reproche sans cesse son affection pour Marguerite : voilà deux raisons pour qu'il ne lui laisse rien. Je lui fais de la morale, à laquelle elle répond qu'il sera toujours temps de prendre le comte à la mort du duc.

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« Cela n'est pas toujours drôle, continua Prudence, de vivre comme elle vit. Je sais bien, moi, que cela ne m'irait pas et que j'enverrais bien vite promener le bonhomme. Il est insipide, ce vieux ; il l'appelle sa fille, il a soin d'elle comme d'un enfant, il est toujours sur son dos. Je suis sûre qu'à cette heure un de ses domestiques rôde dans la rue pour voir qui sort, et surtout qui entre.

– Ah ! cette pauvre Marguerite ! dit Gaston en se mettant au piano et en jouant une valse, je ne savais pas cela, moi. Cependant je lui trouvais l'air moins gai depuis quelque temps.

– Chut ! dit Prudence en prêtant l'oreille.

Gaston s'arrêta.

– Elle m'appelle, je crois.

Nous écoutâmes.

En effet, une voix appelait Prudence.

– Allons, messieurs, allez-vous-en, nous dit madame Duvernoy.

– Ah ! c'est comme cela que vous entendez l'hospitalité, dit Gaston en riant, nous nous en irons quand bon nous semblera.

– Pourquoi nous en irions-nous ?

– Je vais chez Marguerite.

– Nous attendrons ici.

– Cela ne se peut pas.

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– Alors, nous irons avec vous.

– Encore moins.

– Je connais Marguerite, moi, fit Gaston, je puis bien aller lui faire une visite.

– Mais Armand ne la connaît pas.

– Je le présenterai.

– C'est impossible.

Nous entendîmes de nouveau la voix de Marguerite appelant toujours Prudence. Celle-ci courut à son cabinet de toilette. Je l'y suivis avec Gaston. Elle ouvrit la fenêtre.

Nous nous cachâmes de façon à ne pas être vus du dehors.

– Il y a dix minutes que je vous appelle, dit Marguerite de sa fenêtre et d'un ton presque impérieux.

– Que me voulez-vous ?

– Je veux que vous veniez tout de suite.

– Pourquoi ?

– Parce que le comte de N… est encore là et qu'il m'ennuie à périr.

– Je ne peux pas maintenant.

– Qui vous en empêche ?

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– J'ai chez moi deux jeunes gens qui ne veulent pas s'en aller.

– Dites-leur qu'il faut que vous sortiez.

– Je le leur ai dit.

– Eh bien, laissez-les chez vous ; quand ils vous verront sortie, ils s'en iront.

– Après avoir mis tout sens dessus dessous !

– Mais qu'est-ce qu'ils veulent ?

– Ils veulent vous voir.

– Comment se nomment-ils ?

– Vous en connaissez un, M. Gaston R…

– Ah ! oui, je le connais ; et l'autre ?

– M Armand Duval. Vous ne le connaissez pas ?

– Non ; mais amenez-les toujours, j'aime mieux tout que le comte. Je vous attends, venez vite.

Marguerite referma sa fenêtre, Prudence la sienne.

Marguerite, qui s'était un instant rappelé mon visage, ne se rappelait pas mon nom. J'aurais mieux aimé un souvenir à mon désavantage que cet oubli.

– Je savais bien, dit Gaston, qu'elle serait enchantée de nous voir.

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– Enchantée n'est pas le mot, répondit Prudence en mettant son châle et son chapeau, elle vous reçoit pour faire partir le comte. Tâchez d'être plus aimables que lui, ou, je connais Marguerite, elle se brouillera avec moi.

Nous suivîmes Prudence qui descendait.

Je tremblais ; il me semblait que cette visite allait avoir une grande influence sur ma vie.

J'étais encore plus ému que le soir de ma présentation dans la loge de l'Opéra-Comique.

En arrivant à la porte de l'appartement que vous connaissez, le cœur me battait si fort que la pensée m'échappait.

Quelques accords de piano arrivaient jusqu'à nous.

Prudence sonna.

Le piano se tut.

Une femme qui avait plutôt l'air d'une dame de compagnie que d'une femme de chambre vint nous ouvrir.

Nous passâmes dans le salon, du salon dans le boudoir, qui était à cette époque ce que vous l'avez vu depuis.

Un jeune homme était appuyé contre la cheminée.

Marguerite, assise devant son piano, laissait courir ses doigts sur les touches, et commençait des morceaux qu'elle n'achevait pas.

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L'aspect de cette scène était l'ennui, résultant pour l'homme de l'embarras de sa nullité, pour la femme de la visite de ce lugubre personnage.

À la voix de Prudence, Marguerite se leva, et, venant à nous après avoir échangé un regard de remerciements avec madame Duvernoy, elle nous dit :

– Entrez, messieurs, et soyez les bienvenus.

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Chapitre IX

– Bonsoir, mon cher Gaston, dit Marguerite à mon compagnon, je suis bien aise de vous voir. Pourquoi n'êtes-vous pas entré dans ma loge aux Variétés ?

– Je craignais d'être indiscret.