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– Tout ce que vous voudrez !

– Mais je vous en préviens, je veux être libre de faire ce que bon me semblera, sans vous donner le moindre détail sur ma vie.

Il y a longtemps que je cherche un amant jeune, sans volonté, amoureux sans défiance, aimé sans droits. Je n'ai jamais pu en trouver un. Les hommes, au lieu d'être satisfaits qu'on leur accorde longtemps ce qu'ils eussent à peine espéré obtenir une fois, demandent à leur maîtresse compte du présent, du passé et de l'avenir même. À mesure qu'ils s'habituent à elle, ils veulent la dominer, et ils deviennent d'autant plus exigeants qu'on leur

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donne tout ce qu'ils veulent. Si je me décide à prendre un nouvel amant maintenant, je veux qu'il ait trois qualités bien rares, qu'il soit confiant, soumis et discret.

– Eh bien, je serai tout ce que vous voudrez.

– Nous verrons.

– Et quand verrons-nous ?

– Plus tard.

– Pourquoi ?

– Parce que, dit Marguerite en se dégageant de mes bras et en prenant dans un gros bouquet de camélias rouges apporté le matin un camélia qu'elle passa à ma boutonnière, parce qu'on ne peut pas toujours exécuter les traités le jour où on les signe. C'est facile à comprendre.

– Et quand vous reverrai-je ? dis-je en la pressant dans mes bras.

– Quand ce camélia changera de couleur.

– Et quand changera-t-il de couleur ?

– Demain, de onze heures à minuit. Êtes-vous content ?

– Vous me le demandez ?

– Pas un mot de tout cela ni à votre ami, ni à Prudence, ni à qui que ce soit.

– Je vous le promets.

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– Maintenant, embrassez-moi et rentrons dans la salle à manger.

Elle me tendit ses lèvres, lissa de nouveau ses cheveux, et nous sortîmes de cette chambre, elle en chantant, moi à moitié fou.

Dans le salon elle me dit tout bas, en s'arrêtant :

– Cela doit vous paraître étrange que j'aie l'air d'être prête à vous accepter ainsi tout de suite ; savez-vous d'où cela vient ?

Cela vient, continua-t-elle en prenant ma main et en la posant contre son cœur, dont je sentis les palpitations violentes et répétées, cela vient de ce que, devant vivre moins longtemps que les autres, je me suis promis de vivre plus vite.

– Ne me parlez plus de la sorte, je vous en supplie.

– Oh ! consolez-vous, continua-t-elle en riant. Si peu de temps que j'aie à vivre, je vivrai plus longtemps que vous ne m'aimerez.

Et elle entra en chantant dans la salle à manger.

– Où est Nanine ? dit-elle en voyant Gaston et Prudence seuls.

– Elle dort dans votre chambre, en attendant que vous vous couchiez, répondit Prudence.

– La malheureuse ! Je la tue ! Allons, messieurs, retirez-vous ; il est temps.

Dix minutes après, Gaston et moi nous sortions. Marguerite me serrait la main en me disant adieu et restait avec Prudence.

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– Eh bien, me demanda Gaston, quand nous fûmes dehors, que dites-vous de Marguerite ?

– C'est un ange, et j'en suis fou.

– Je m'en doutais ; le lui avez-vous dit ?

– Oui.

– Et vous a-t-elle promis de vous croire.

– Non.

– Ce n'est pas comme Prudence.

– Elle vous l'a promis ?

– Elle a fait mieux, mon cher ! On ne le croirait pas, elle est encore très bien, cette grosse Duvernoy !

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Chapitre XI

En cet endroit de son récit, Armand s'arrêta.

– Voulez-vous fermer la fenêtre ? me dit-il, je commence à avoir froid. Pendant ce temps, je vais me coucher.

Je fermai la fenêtre. Armand, qui était très faible encore, ôta sa robe de chambre et se mit au lit, laissant pendant quelques instants reposer sa tête sur l'oreiller comme un homme fatigué d'une longue course ou agité de pénibles souvenirs.

– Vous avez peut-être trop parlé, lui dis-je ; voulez-vous que je m'en aille et que je vous laisse dormir ? Vous me raconterez un autre jour la fin de cette histoire.

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– Est-ce qu'elle vous ennuie ?

– Au contraire.

– Je vais continuer alors ; si vous me laissiez seul, je ne dormirais pas.

– Quand je rentrai chez moi, reprit-il, sans avoir besoin de se recueillir, tant tous ces détails étaient encore présents à sa pensée, je ne me couchai pas ; je me mis à réfléchir sur l'aventure de la journée. La rencontre, la présentation, l'engagement de Marguerite vis-à-vis de moi, tout avait été si rapide, si inespéré, qu'il y avait des moments où je croyais avoir rêvé. Cependant ce n'était pas la première fois qu'une fille comme Marguerite se promettait à un homme pour le lendemain du jour où il le lui demandait.

J'avais beau me faire cette réflexion, la première impression produite par ma future maîtresse sur moi avait été si forte qu'elle subsistait toujours. Je m'entêtais encore à ne pas voir en elle une fille semblable aux autres, et, avec la vanité si commune à tous les hommes, j'étais prêt à croire qu'elle partageait invinciblement pour moi l'attraction que j'avais pour elle.

Cependant j'avais sous les yeux des exemples bien contradictoires, et j'avais entendu dire souvent que l'amour de Marguerite était passé à l'état de denrée plus ou moins chère, selon la saison.

Mais comment aussi, d'un autre côté, concilier cette réputation avec les refus continuels faits au jeune comte que nous avions trouvé chez elle ?

Vous me direz qu'il lui déplaisait et que, comme elle était splendidement entretenue par le duc, pour faire tant que de prendre un autre amant, elle aimait mieux un homme qui lui plût.

Alors, pourquoi ne voulait-elle pas de Gaston, charmant,

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spirituel, riche, et paraissait-elle vouloir de moi qu'elle avait trouvé si ridicule la première fois qu'elle m'avait vu ?

Il est vrai qu'il y a des incidents d'une minute qui font plus qu'une cour d'une année.

De ceux qui se trouvaient au souper, j'étais le seul qui se fût inquiété en la voyant quitter la table. Je l'avais suivie, j'avais été ému à ne pouvoir le cacher, j'avais pleuré en lui baisant la main.

Cette circonstance, réunie à mes visites quotidiennes pendant les deux mois de sa maladie, avait pu lui faire voir en moi un autre homme que ceux connus jusqu'alors, et peut-être s'était-elle dit qu'elle pouvait bien faire pour un amour exprimé de cette façon ce qu'elle avait fait tant de fois, que cela n'avait déjà plus de conséquence pour elle.

Toutes ces suppositions, comme vous le voyez, étaient assez vraisemblables ; mais quelle que fût la raison à son consentement, il y avait une chose certaine, c'est qu'elle avait consenti.

Or, j'étais amoureux de Marguerite, j'allais l'avoir, je ne pouvais rien lui demander de plus. Cependant, je vous le répète, quoique ce fût une fille entretenue, je m'étais tellement, peut-être pour la poétiser, fait de cet amour un amour sans espoir, que plus le moment approchait où je n'aurais même plus besoin d'espérer, plus je doutais.

Je ne fermai pas les yeux de la nuit.

Je ne me reconnaissais pas. J'étais à moitié fou. Tantôt je ne me trouvais ni assez beau, ni assez riche, ni assez élégant pour posséder une pareille femme, tantôt je me sentais plein de vanité à l'idée de cette possession : puis je me mettais à craindre que Marguerite n'eût pour moi qu'un caprice de quelques jours, et, pressentant un malheur dans une rupture prompte, je ferais peut-

être mieux, me disais-je, de ne pas aller le soir chez elle, et de partir en lui écrivant mes craintes. De là, je passais à des