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— Tu pourrais au moins faire semblant d’avoir peur, Harry.

— Désolé, Tut, je n’ai pas le temps.

— Le temps, le temps. Vous ne pensez donc qu’a ça, vous, les mortels ? Tout le monde parle de temps ! Toute la ville s’agite en geignant sur les retards et en écrasant les Klaxon. Ça n’a pas toujours été ainsi, tu sais ?

Je subis la leçon avec complaisance. De toute manière, Tut ne pouvait pas se concentrer suffisamment longtemps sur un sujet pour devenir pénible.

— Je me souviens des premiers habitants, avant que votre bande de pâlots renifleurs ne débarque. Eux, au moins, ils ne se plaignaient pas d’ulcères ou…

Tut porta son regard sur la nourriture et ses yeux étincelèrent. Il sautilla jusqu’au pain, racla le fond du miel et finit son festin comme un moineau avide.

— Tu m’as gâté, Harry. Pas une once de ces produits bizarres comme on nous en offre parfois.

— Des conservateurs.

— Si tu veux.

Tut finit le lait puis s’allongea sur le dos en se massant le ventre.

— Bien, dit-il. Relâche-moi maintenant.

— Pas encore, Tut. Avant, j’ai besoin de quelque chose.

— Les magiciens ! Toujours à vouloir des trucs ! cracha-t-il. Je peux te lancer le sortilège des excréments, tu sais ?

Il se releva et croisa les bras avant de me jeter un regard méprisant, comme si je n’étais pas une dizaine de fois plus grand que lui.

— Très bien, concéda-t-il. Je daigne t’octroyer une simple requête pour te remercier de ta cuisine si agréable.

— C’est très aimable de ta part, répondis-je en luttant pour garder mon sérieux.

Tut bomba le torse et parvint à me regarder de haut en continuant :

— Je suis bienveillant et sage de nature.

Je hochai la tête devant tant d’élévation d’esprit.

— Mouais, c’est ça… Bon, Tut, étais-tu dans le coin ces dernières nuits ? Ou connais-tu quelqu’un qui y était ? Je cherche une personne qui est peut-être venue ici.

— Si je te renseigne, je suppose que tu rompras le cercle qui s’est fortuitement refermé sur moi.

— Ça me semble normal.

Tut eut l’air de réfléchir comme s’il caressait l’idée de ne pas coopérer, puis il inclina la tête.

— Très bien, tu auras ton information, relâche-moi.

— C’est sûr ? me méfiai-je. Tu le promets ? Tut tapa de nouveau du pied et souleva un nouveau nuage argenté.

— Harry ! Tu sabotes l’atmosphère dramatique !

— Je veux une promesse, dis-je en croisant les bras.

— D’accord ! D’accord ! D’accord ! répondit Tut en levant les mains. (Et en vrombissant dans le cercle magique.) Je promets ! Je promets ! Je promets ! Je vais te renseigner ! Laisse-moi sortir ! Laisse-moi sortir !

Pour un fey, un serment prononcé trois fois est l’incarnation de la vérité absolue. J’approchai du cercle et brouillai le tracé, me concentrant sur sa rupture. Il se rompit avec un petit sifflement d’énergie.

Telle une comète miniature, Tut fila sur les eaux du lac Michigan et disparut avec un petit éclair, un peu comme le Père Noël. Bon, le Père Noël est un fey beaucoup plus gros et beaucoup plus puissant que Tut. En plus, je ne connais pas son Nom Véritable. D’ailleurs, je ne penserais jamais à coincer Papa Noël dans un cercle. Entre nous, je crois que personne n’a assez de couilles pour essayer…

Je fis les cent pas pour éviter de m’endormir. Tut n’enfreindrait aucune des règles des feys s’il tenait sa promesse en me donnant le renseignement pendant mon sommeil. En plus, je venais de le capturer et de l’humilier, et il aurait été bien content de me rendre la monnaie de ma pièce. Dans deux semaines, il ne se souviendrait plus de rien, mais, si je baissais ma garde ce soir, je risquais de me réveiller avec une tête d’âne – et je n’étais pas sûr que ça arrangerait mes affaires.

Je marchai et j’attendis. En général, il faut une demi-heure à Tut pour trouver les informations souhaitées.

Comme prévu, il revint trente minutes plus tard, tout en étincelles et en poussières lumineuses, et tourbillonna autour de ma tête en me saupoudrant les yeux d’argent.

— Harry ! J’ai réussi !

— Qu’as-tu trouvé, Tut ?

— Devine !

— Sûrement pas !

— Oh, allez ! Tu veux un indice ?

Je me rembrunis. J’étais fatigué et irrité, mais j’essayai de n’en rien laisser paraître. Tut ne pouvait pas aller contre sa nature.

— Tut, il est tard. Tu as promis de tout me dire.

— Pas marrant du tout, râla-t-il. Et après, tu t’étonnes de ne décrocher des rendez-vous qu’avec des gens qui veulent te tirer les vers du nez !

J’écarquillai les yeux et il hoqueta de plaisir.

— Haha ! J’adore ça ! On te surveille, Harry Dresden !

Voilà une vision étrange. Une dizaine de feys voyeurs voletant contre mes fenêtres pour m’espionner… J’allais devoir prendre des mesures pour les en empêcher. Je n’avais pas peur, non, mais on ne sait jamais…

— Dis-moi, Tut.

— Ça arrive, siffla-t-il alors que je lançais la main, les doigts tendus.

Il se posa au centre et je sentis à peine son poids. En revanche, son aura courut le long de ma peau comme un léger choc électrique. Il planta son regard dans le mien sans hésiter. Les feys n’ont pas d’âme à dénuder et ils n’ont aucune idée de ce que peut être celle d’un mortel.

— Bon, commença Tut en bombant le torse, j’ai parlé à Bleuet, qui a parlé à Nez-Rouge, qui a parlé à Meg O’Aspens, qui lui a dit qu’Yeux-d’Or a dit qu’il était avec le livreur de pizzas quand il est passé par ici la nuit dernière !

— Le livreur de pizzas ? m’exclamai-je.

— Pizza ! jubila Tut. Pizza ! Pizza ! Pizza !

Il reprit son vol erratique et je tentai de chasser cette satanée poudre enchantée avant de devoir éternuer.

— Les feys aiment la pizza ?

— Oh, Harry, dit Tut essoufflé, t’as jamais goûté de pizza ?

— Bien sûr que si.

— Et t’as même pas partagé avec moi ? souffla Tut, l’air blessé.

— Écoute, je peux vous ramener des pizzas dans pas longtemps, pour vous remercier de votre aide à tous.

Tut sautilla d’un de mes doigts à l’autre en exultant.

— Attends un peu que je leur dise ! On verra qui rira de Tut-Tut, après ça !

— Tut, dis-je en essayant de le calmer, il a vu autre chose ?

Tut s’immobilisa, soudain pensif.

— Il a dit que des mortels s’amusaient et qu’ils avaient besoin de la pizza pour reprendre des forces !

— D’où venait cette pizza, Tut ?

Le fey me regarda comme si j’étais totalement idiot.

— Mais enfin, Harry ! Du camion de pizzas !

Sur ces mots, il s’envola et disparut dans les arbres.

Je soupirai et hochai la tête. Tut ne ferait aucune différence entre Speed Rabbit et Pizza Hut. Il n’y connaissait rien et il ne savait pas lire. La plupart des feys ont l’écriture en horreur.

Bon, j’avais deux pistes. D’abord, on avait commandé une pizza. Cela signifiait deux choses. La première, la maison était occupée hier soir. La seconde, un livreur avait vu les occupants et leur avait parlé. Je pourrais peut-être retrouver le commis et lui demander s’il avait rencontré Victor Sells.

La deuxième piste tournait autour de l’amusement dont avait parlé Tut. Les feys ne s’intéressent pas trop aux divertissements des mortels, sauf quand ils impliquent beaucoup de nudité et de désir. Ces créatures adorent épier les adolescents qui se pelotent et elles aiment leur jouer des tours. Ainsi, Victor était venu avec quelqu’un d’autre, pour qu’il puisse y avoir « distraction »…