Je commençai à me demander si Monica Sells ne se voilait pas la face. En dépit de cet horrible talisman scorpion, son mari ne s’isolait pas pour apprendre la sorcellerie. Il se délassait dans son petit nid d’amour avec sa maîtresse, comme beaucoup de maris stressés qui s’ennuient auprès d’une épouse timide. Ce n’était pas très joli, mais je pouvais imaginer son état d’esprit.
Le problème restait de l’annoncer à Monica. À mon avis, elle n’allait pas vouloir entendre ce que j’avais découvert.
Je rangeai la vaisselle et le couteau dans mon sac. J’avais mal aux jambes à force de me tenir debout et de marcher. Vivement la maison et un bon lit douillet !
L’homme apparut sans un bruit ni un frémissement magique qui aurait trahi sa présence. Aussi grand que moi, il était beaucoup plus costaud et il brandissait une épée. Sa stature imposante n’était pas dénuée de dignité. La cinquantaine, ses cheveux bruns et plats grisonnant par endroits, il était tout de noir vêtu, un peu comme moi, mais sans le manteau. Seule sa chemise blanche tranchait, un vêtement plus souvent associé aux smokings. Ses yeux gris et perçants cernés de pattes-d’oie reflétaient la lumière de la lune en produisant le même éclat argenté que son épée. Il s’approcha de moi en parlant calmement.
— Harry Blackstone Copperfield Dresden, l’usage irréfléchi d’un Vrai Nom dans l’invocation et le lien d’un tiers viole la Quatrième Loi de la Magie. Je vous rappelle que vous êtes sous le coup de la Malédiction de Damoclès. Plus aucun écart ne sera toléré. À la prochaine infraction, la sentence sera appliquée sur-le-champ. La mort. Par l’épée.
Chapitre 7
Si un type sinistre ne s’est jamais approché de vous en pleine nuit avec une épée longue de deux kilomètres dans les mains, tout ça sous le ciel étoilé du lac Michigan, croyez-moi sur parole, ça fout une trouille atomique. Et si ça vous est déjà arrivé, allez voir un psychiatre.
Mon pouls s’accéléra et j’eus toutes les peines du monde à ne pas lâcher une phrase en pseudo-latin – du genre qui aurait réduit ce mec en un petit tas de cendres incandescentes.
Je fais n’importe quoi quand j’ai peur. Sans avoir la bonne idée de fuir ou de me cacher, j’essaie de détruire ce qui m’effraie. Un réflexe primitif, que je ne veux pas vraiment contrôler.
Le meurtre réflexe est une réaction un peu extrême. Au lieu de carboniser cet homme, je me contentai de hocher la tête.
— Bonsoir, Morgan. Vous savez aussi bien que moi que ces lois s’appliquent aux mortels, pas aux feys. Et encore moins quand il s’agit d’un sort aussi insignifiant. De plus, je n’ai pas violé la Quatrième Loi, puisque Tut avait tout à fait le droit de refuser le marché.
La moue réprobatrice de Morgan vira au rictus méprisant.
— Des points de détail, Dresden. Pas plus.
Ses mains serrèrent plus fort la garde de l’épée. Avec ses cheveux grisonnants coiffés en catogan, il ressemblait à Sean Connery, dans certains films, mais son visage maigre était trop pincé pour avoir autant de classe.
— Ce qui veut dire ?
Je fis de mon mieux pour rester impassible, mais pour être franc, j’étais plutôt nerveux et impressionné. Morgan était le gardien que la Blanche Confrérie m’avait affecté pour s’assurer que je ne violais pas les Lois de la Magie. En général, il ne traînait jamais bien loin, toujours prêt à m’espionner et à passer derrière moi quand j’avais lancé un sort. Mais du diable si j’allais montrer ma peur au chien de garde de la Confrérie ! En bon fanatique paranoïaque, Morgan aurait pris ça pour un signe de culpabilité. Maintenant, il fallait que je m’éclipse avant que la fatigue me pousse à dire ou à faire quelque chose dont il se servirait contre moi.
Morgan était un des plus puissants invocateurs du monde. Pas assez intelligent pour se poser des questions au sujet du bien-fondé de la Confrérie, il enchaînait les sortilèges dévastateurs comme personne.
Des sortilèges assez puissants pour arracher les cœurs de Tommy Tomm et de Jennifer Stanton, d’ailleurs, s’il lui en prenait l’envie…
— Ce qui veut dire, grogna-t-il, qu’il est de mon devoir de vérifier que vous n’abusez pas de vos pouvoirs.
— Je travaille sur une affaire de disparition. Je me suis contenté d’appeler un fey de bas niveau pour obtenir quelques informations. Morgan, tout le monde se sert des feys de temps en temps. Il n’y a rien de mal à ça. Ce n’est pas comme si je les contrôlais – je me contente de les impressionner un peu.
— Un point de détail…
Je me redressai de toute ma taille. J’étais aussi grand que lui, mais il me rendait une cinquantaine de kilos. J’aurais pu trouver de meilleures personnes avec qui m’engueuler, mais il m’avait poussé à bout.
— Un point de détail derrière lequel je vais me planquer ! Alors, à moins que vous désiriez réunir la Confrérie pour juger de sa pertinence, je propose qu’on laisse tomber la discussion. Je suis certain qu’il ne faudra pas plus de deux jours aux membres pour modifier leur programme et se débrouiller pour venir. Si vous voulez, je peux vous héberger en attendant. Après tout, on va simplement déranger une bande de vieillards pointilleux en plein milieu de leurs expériences, pour rien du tout. Mais si vous pensez que c’est justifié…
— Non. Ce n’est pas nécessaire, lâcha Morgan.
Il rangea l’épée dans le fourreau caché sous son manteau. Je me détendis un peu. Cette arme n’était pas son atout le plus puissant, loin de là, mais elle restait un symbole de l’autorité de la Confrérie. Et si on en croyait la rumeur, elle pouvait annuler tous les sorts de quiconque résistait à Morgan.
Je n’avais aucune envie de vérifier cette rumeur…
— Je suis content que nous soyons tombés d’accord. Bon, il n’est point de bonne compagnie qui ne se quitte…
Je fis mine de filer, mais Morgan m’agrippa le bras.
— Je n’en ai pas fini avec vous, Dresden. J’évitais toujours de faire le malin quand Morgan agissait dans le cadre de sa charge de gardien de la Blanche Confrérie. Ce n’était plus le cas, à présent. À partir du moment où il avait rangé son épée, il était responsable de ses actes, sans plus d’autorité que n’importe qui – enfin, en théorie. Il m’avait effrayé et irrité, tout ça à la suite, et maintenant, il voulait m’imposer sa volonté. Je déteste les abus de pouvoir !
Je pris un risque calculé. De ma main libre, je le frappai aussi fort que possible à la bouche.
À mon avis, le coup le surprit plus qu’il lui fit mal. Il recula d’un pas, me libérant le bras, et me fixa, stupéfait. Se tâtant la bouche, il découvrit du sang sur ses doigts.
Je me plantai sur mes pieds et lui fis face – sans le regarder.
— Ne me touchez pas !
Morgan continuait de me fixer. Je vis la colère monter, sa mâchoire se contracter et la veine de sa tempe se mettre à palpiter.
— Comment oses-tu ? Comment oses-tu me frapper !
— C’est pas dur à piger, répondis-je. Quand vous agissez au nom de la Confrérie, je suis prêt à vous manifester tout le respect qui vous est dû. Mais, lorsque vous essayez de jouer les durs pour votre propre compte, rien ne m’oblige à vous supporter.
Je voyais la vapeur sortir des oreilles de Morgan pendant qu’il réfléchissait. Il cherchait une raison de s’en prendre à moi… Et dut conclure qu’il n’en avait aucune. Merci la Quatrième Loi ! Ce type n’est pas très intelligent – je vous en ai déjà parlé ? – et il marche à fond dans cette histoire de Lois.