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Elle se frotta les mains contre son jean, comme pour se débarrasser d’une crasse ignominieuse.

— Mais ce n’était pas suffisant. Il a donc approché Jennifer. Il savait ce qu’elle faisait et connaissait ses contacts. Des gens comme elle, comme Linda, qui lui présenta l’homme de main de Marcone. Je ne connais pas son nom, ni ce que Victor lui a promis, mais il a accepté de nous rejoindre.

» À l’époque, je n’étais pas obligée d’assister à toutes les séances. Jenny ou moi restions avec les enfants. Victor fabriquait la drogue et l’argent commença à affluer. Les choses s’arrangèrent un temps. Il fallait juste que je n’y pense pas trop. Mais Victor est devenu encore plus étrange. Il invoquait des démons. Je les ai vus ! Il réclamait toujours plus de pouvoir. Il était insatiable. C’était horrible ! Il ressemblait à un animal rendu fou par la faim. Il s’est mis à observer… les enfants. Sa manière de les guetter m’épouvanta. Je savais… Oh, mon Dieu ! Mes bébés ! Mes bébés !

Cette fois, Monica s’effondra sur le sol en sanglotant.

Je voulus m’agenouiller pour la prendre dans mes bras et la réconforter. Mais je la connaissais, à présent. J’avais vu son âme et je savais qu’elle se serait mise à hurler. Bon sang, Harry, tu n’as pas assez torturé cette pauvre femme ?

Je fouillai dans les placards pour trouver un verre, le remplis d’eau fraîche et le posai près d’elle. Elle se releva et but un peu en tremblant. Un filet d’eau coula le long de son menton.

— Je suis désolé, dis-je.

Je ne trouvai rien de mieux, et si elle m’entendit, elle ne le montra pas. Elle but encore un peu d’eau, puis reprit son récit, comme si elle voulait se débarrasser du goût infâme de ses mots.

— Je voulais le quitter. Il aurait été furieux, mais je ne pouvais pas le laisser s’approcher des enfants. J’en ai parlé à Jenny, qui a décidé de prendre les choses en main. Ma petite sœur a essayé de me protéger, elle a menacé d’appeler la police et Johnny Marcone s’il ne me laissait pas partir. Elle allait tout raconter, et… et…

— Il l’a tuée, dis-je.

Par les mânes de Robert-Houdin ! Victor n’avait même pas eu besoin de cheveux. N’importe quel fluide corporel aurait fait l’affaire et, avec les cérémonies de chair qu’il organisait, il avait eu tout loisir de récolter ceux de Jennifer. Il lui avait peut-être même demandé de lui ramener des sécrétions du truand. Ou alors, puisqu’ils faisaient l’amour quand le sort a frappé, ils étaient trop proches et ont été tous les deux victimes du sortilège.

— Oui, il l’a tuée, confirma Monica. Je suis venue vous voir juste après. Je pensais que vous pourriez l’empêcher de toucher à mes bébés ou de tuer quelqu’un d’autre. Linda est morte, maintenant. Ce sera votre tour et vous ne pouvez pas l’arrêter. Personne ne le peut.

— Monica, murmurai-je.

— Allez-vous-en ! Partez, je vous en supplie, monsieur Dresden. Je ne veux pas assister à votre mort…

Mon cœur était comme un morceau de cire. J’avais tellement envie de la rassurer. Je voulais sécher ses larmes, et la persuader qu’il restait de la joie, du bonheur et de la lumière dans le monde. Mais je crois qu’elle ne m’aurait pas entendu. Elle était partie dans un lieu où seules les ténèbres, la souffrance et la peur faisaient loi.

Je n’avais qu’une solution : sortir en silence et la laisser pleurer. Peut-être que ça l’aiderait à guérir.

Selon moi, ses pleurs ressemblaient plus à des morceaux de verre tombant d’une vitre brisée.

En allant vers la porte, je remarquai un petit mouvement sur la gauche. Discrète comme un spectre, Jenny Sells était tapie dans le couloir. Ses grands yeux verts me dévoraient, en tout point semblables à ceux de sa mère et de la tante dont elle portait le prénom. Je me tournai vers elle.

— Vous êtes le magicien, déclara-t-elle. Harry Dresden. J’ai vu votre photo dans Les Arcanes de Chicago.

Je hochai la tête.

La petite m’inspecta encore une minute avant de reprendre :

— Vous allez aider ma maman ?

La question était simple, mais comment répondre à une enfant que tout n’est pas aussi facile que ça.

Que toutes les réponses ne sont pas aussi limpides ? Voire qu’il n’y a pas de réponse du tout ?

Je lui rendis son regard si éveillé, puis détournai rapidement la tête. Je ne voulais pas qu’elle voie ma vraie nature et les choses que j’avais dû faire. Elle n’avait pas besoin de ça.

— Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir.

— Vous promettez ?

Je lui en fis le serment.

Jenny m’étudia encore un peu, réfléchit un instant, puis sembla approuver d’un air triste.

— Avant, mon père était gentil, mais je crois qu’il a changé. Vous allez le tuer ?

Encore une question simple.

— Je n’en ai pas envie, mais s’il essaie de m’assassiner, je n’aurai pas le choix.

— J’adorai tante Jenny, dit la gamine, au bord des larmes. Maman ne m’a rien raconté et Billy est trop petit, mais je sais ce qui est arrivé. J’espère que vous êtes gentil, monsieur Dresden. Ça nous manque, en ce moment. Bonne chance.

Elle se retourna avec plus de grâce et de dignité que j’en aurai jamais, et disparut dans le salon.

Je filai à toute vitesse pour retrouver le taxi qui m’attendait patiemment pendant que son compteur tournait.

Je lui demandai de me trouver une cabine téléphonique, puis fermai les yeux pour cogiter. C’était difficile avec cette douleur. Ça peut avoir l’air bête, mais je déteste voir des gens comme Monica ou la petite Jenny souffrir ainsi. On n’a pas le droit de torturer les autres de cette façon. Chaque fois que je tombe sur un cas pareil, je deviens fou de rage.

Hors de moi, je ne savais plus si je voulais hurler ou pleurer. J’avais envie de défoncer le crâne de Victor Sells, mais aussi de ramper sous les couvertures et de me cacher dans mon lit. J’aurais aimé réconforter Monica, mais j’étais encore trop tendu, trop choqué, et j’avais trop peur. Par les ombres et les démons, Victor Sells me tuerait dès que l’orage éclaterait.

— Concentre-toi, Harry ! dis-je tout haut. Concentre-toi !

Le chauffeur me jeta un coup d’œil dans le rétroviseur.

Je rangeai dans un petit sac toute ma frayeur, ma rage et mes autres émotions. Je n’avais pas le temps de me laisser aveugler par mes sentiments, il fallait que je me concentre sur mon but, il me fallait un plan. Murphy !

Murphy pourrait m’aider ! Je n’avais qu’à lui communiquer l’adresse de la résidence secondaire et la cavalerie donnerait l’assaut. Il y avait peut-être une réserve de Troisième Œil et Victor serait arrêté comme n’importe quel trafiquant de drogue.

Ce plan prenait l’eau. Et si Victor cachait sa came ailleurs ? Et s’il parvenait à s’enfuir ? Monica et les enfants seraient en danger. Et de plus, je n’étais même pas sûr que Karrin m’écoute. De toute façon, le juge ne signerait sans doute aucun mandat de perquisition sur la seule bonne foi d’un individu qui était peut-être déjà recherché à cette heure. Et même dans le cas contraire, la chaîne administrative requise pour travailler avec les autorités de Lake Providence un dimanche ralentirait considérablement le processus. Mon pauvre cœur n’avait pas une telle marge de manœuvre.

La police ne pouvait rien pour moi.

Si les choses avaient été différentes, par exemple si j’avais été en meilleurs termes avec la Blanche Confrérie, il m’aurait suffi d’exposer le cas Victor à ses membres, et ils se seraient chargés de lui. Ils ne sont pas trop fans des rigolos qui se servent de la magie pour invoquer des démons, tuer des gens et fabriquer de la drogue. Il avait violé toutes les Lois de la Magie, et Morgan se serait fait un plaisir de le traquer.