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Elle a fait le cours comme une pro – on voyait qu’elle l’avait bien préparé. De temps en temps, dans son dos, le rempart humain frémissait quand le prof essayait, en vain, de le franchir.

Elle a terminé à exactement dix heures moins dix. L’amphi avait bu ses moindres paroles. Au lieu de sortir mollement pour nous diriger vers notre prochain cours, mes mille huit cent quatre-vingt-dix-neuf camarades et moi-même nous sommes levés et, comme un seul homme, avons commencé à discuter avec nos voisins, brouhaha d’incrédules « t’as vu ça ? » qui nous a suivis jusqu’à la porte puis jusqu’à notre prochaine rencontre avec l’adhoc de la fac de sociologie.

C’était génial, ce jour-là. J’ai eu un autre cours de sociologie, Construction de la Déviance Sociale, où nous avons eu le droit au même exercice, à la même propagande vibrante, au même spectacle comique du professeur se heurtant à un rempart humain d’adhocs.

Les journalistes se sont jetés sur nous à la sortie, nous fourrant des micros sous le nez et nous inondant de questions. Je leur ai répondu en levant bien haut les pouces et en prononçant : « Bitchun ! » avec une éloquence classique d’étudiant de deuxième année.

Les profs ont contre-attaqué le lendemain matin. Je me brossais les dents quand le bulletin d’information m’a appris que le doyen de la faculté de sociologie avait indiqué à un journaliste que les cours des adhocs ne seraient pas pris en compte pour les UV, que lesdits adhocs étaient une bande de voyous dépourvus de toute qualification nécessaire pour enseigner. Un entretien avec un porte-parole des adhocs a ensuite établi que tous ces nouveaux « enseignants » écrivaient depuis des années des programmes et notes de cours pour les profs qu’ils remplaçaient, et qu’ils avaient aussi écrit la plupart de leurs publications académiques.

Les profs ont fait intervenir les services de sécurité de l’université pour les aider à récupérer leurs pupitres, mais ceux-ci ont été repoussés par leurs homologues des adhocs, vêtus d’uniformes maison. La sécurité de l’université a compris le message – personne n’est irremplaçable – et s’est tenue à l’écart.

Les profs ont mis en place des piquets de grève. Ils ont fait cours dehors pour les lèche-cul soucieux de leurs notes craignant que ceux des adhocs ne comptent pas pour leurs UV. Les idiots qui, comme moi, alternaient entre les cours à l’extérieur et à l’intérieur des locaux ne grappillaient guère de connaissances.

Personne ne progressait. Les profs passaient leurs heures de cours à se prostituer pour du whuffie, menant les travaux dirigés comme des séances de psychothérapie de groupe plutôt que comme des cours. Les adhocs passaient leur temps à dire du mal des profs et à dénigrer leur enseignement.

À la fin du semestre, tout le monde a eu son UV et le Conseil d’Université a dissous le programme de sociologie au profit d’une proposition d’enseignement à distance de l’université Concordia, à Montréal. Quarante ans plus tard, la hache de guerre était définitivement enterrée. Une fois qu’on avait adopté le système de sauvegarde/restauration, le reste de la Bitchunerie suivait automatiquement, vous imposant un système de valeurs.

Ceux qui n’avaient pas adopté la sauvegarde/ restauration auraient pu soulever une objection… mais, ah tiens ? Ils sont tous morts.

Les adhocs de Liberty Square sont partis au coude à coude dans les utilidors et, tous ensemble, ont repris la Haunted Mansion. Dan, Lil et moi marchions au premier rang, en prenant soin de ne pas nous toucher, quand nous avons rapidement franchi la porte des coulisses avant d’établir une chaîne pour déplacer le matériel entassé là par les gens de Debra, chacun passant un par un les objets à son voisin dans une file qui serpentait jusque devant l’entrée du Hall Of Presidents où on les lâchait sans cérémonie.

Une fois le gros du matériel évacué, nous nous sommes séparés pour parcourir toute l’attraction, ses couloirs de service et ses dioramas, sa salle de repos et ses passages secrets, ramassant la moindre saleté de Debra pour l’emporter à l’extérieur.

Dans le décor du grenier, je suis tombé sur Kim et trois de ses petits camarades qui n’arrêtaient pas de rire bêtement, les yeux luisant dans la pénombre. Ce troupeau de gamins transhumains m’a serré l’estomac, m’a fait penser à Zed, à Lil, à mon cerveau dépourvu de médiateur, et j’ai soudain ressenti le besoin de les réduire verbalement en pièces.

Non.

Non. Ce genre de réaction conduisait à la folie et à la guerre. Il s’agissait de reprendre ce qui nous appartenait, pas de punir les intrus. « Kim, je pense que tu devrais partir », ai-je déclaré d’un ton posé.

Elle a ricané en me décochant un regard noir. « Le chef est mort et tu as pris sa place ? » a-t-elle demandé. Ses copains ont trouvé ça très courageux, ce qu’ils ont montré sans ambiguïté par des mouvements de hanche à double jointure et des regards furieux.

« Kim, tu peux partir tout de suite ou plus tard. Plus tu attends, plus ton whuffie et toi en souffrirez. Tu as merdé et tu ne fais plus partie de la Mansion. Rentre chez toi, va retrouver Debra. Ne reste pas là, ne reviens pas. Ne reviens plus jamais. »

Plus jamais. Sois bannie de cette chose que tu adores, qui t’obsède, sur laquelle tu as travaillé. « Tout de suite », ai-je dit, calme, dangereux, me contrôlant à peine.

Ils sont partis dans le cimetière en me lançant des phrases au vitriol. Oh, ils ne manquaient pas de nouveau matériel pour alimenter les sites antimoi de messages qui leur rapporteraient du whuffie de la part de gens me prenant pour le rebut de l’humanité. Une opinion assez répandue à ce moment-là.

Je suis sorti de la Mansion regarder la chaîne que j’ai suivie jusque devant le Hall. Le Parc avait ouvert une heure auparavant et une troupe de visiteurs observait nos activités sans les comprendre. Les adhocs de Liberty Square se passaient les objets avec un embarras manifeste, sachant qu’ils violaient tous les principes auxquels ils tenaient.

J’ai vu des trous se former dans la chaîne au fur et à mesure que des castmembers s’éclipsaient, le visage écarlate de honte. Devant le Hall Of Presidents, Debra dirigeait avec méthode un transfert de son matériel qu’un joyeux groupe de ses castmembers transportait rapidement hors scène. Je n’ai pas eu besoin de consulter mon mobile pour savoir ce qui arrivait à notre whuffie.

Le soir venu, nous étions à nouveau dans les temps. Suneep a supervisé l’installation de ses équipements de téléprésence et Lil a soigneusement passé en revue tous les systèmes, dirigeant à cet effet une équipe d’adhocs qui s’étirait derrière elle pour tout vérifier deux ou trois fois.

Suneep m’a souri quand il m’a aperçu en train de répandre à la main de la poussière dans le salon.

« Félicitations, chef, m’a-t-il dit en me serrant la main. C’était magistralement mené.

— Merci, Suneep. Je ne sais pas trop à quel point c’était magistral, mais l’important est qu’on l’ait fait.

— Dis, tes associés, je ne les ai jamais vus aussi heureux depuis que toute cette histoire a commencé. Et je les comprends ! »

Mes associés ? Ah oui, Dan et Lil. Je me suis demandé s’ils étaient vraiment heureux. Assez pour se remettre en ménage ? Mon moral a fondu, même si une partie de moi m’affirmait que Dan ne ferait jamais ça, pas après tout ce que nous avions traversé ensemble.

« Je suis content que tu le sois. On n’aurait pas pu y arriver sans ton aide et, apparemment, on sera prêts à rouvrir dans une semaine.

— Il me semble, oui. Tu viens à la fête, ce soir ? »