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Lil a eu la bonne grâce de manifester une vague honte. « Je vais lui trouver une chambre, a-t-elle promis. Pour un mois. À Kissimmee. Un motel. Je rétablirai son accès au réseau. C’est honnête ?

— Plus qu’honnête », a estimé Rita. Pourquoi me détestait-elle autant ? J’avais été là pour sa fille pendant son absence… Ah. C’était peut-être bien pour ça. « Je ne pense pas que ce soit justifié. Si vous voulez prendre soin de lui, monsieur, faites donc. Ça ne regarde pas ma famille. »

Le regard de Lil a flamboyé. « Laisse-moi m’occuper de ça, d’accord ? » a-t-elle dit.

Rita s’est brusquement levée. « Fais comme tu veux », a-t-elle lancé en sortant comme un ouragan.

« Pourquoi êtes-vous venu chercher de l’aide ici ? » a demandé Tom, toujours la voix de la raison. « Vous semblez plutôt capable de l’aider vous-même.

— Je me fais administrer une injection létale à la fin de la semaine, a répondu Dan. Dans trois jours. C’est personnel, mais vous avez posé la question. »

Tom a secoué la tête. Tu as de drôles d’amis. Je voyais bien qu’il le pensait. « Si vite ? » s’est enquis Lil, la voix tremblante. Dan a hoché la tête.

Au milieu d’un bourdonnement irréel, je me suis levé et suis sorti dans l’utilidor avant de m’éloigner par le parking ouest des castmembers.

J’ai flâné le long de Walk Around the World, une attraction pavée et désaffectée où chaque dalle portait le nom d’une famille ayant visité le Parc un siècle auparavant. Les noms devant lesquels je suis passé me semblaient des épitaphes.

Le soleil a atteint son zénith au moment où j’atteignais la plage courbe et désertée située entre les hôtels Grand Floridian et Polynesian. Lil et moi y étions souvent venus observer le coucher de soleil, installés dans un hamac et dans les bras l’un de l’autre, le Parc étalé devant nous comme un village miniature illuminé.

Il n’y avait plus personne sur la plage et le silence régnait dans le pavillon des mariages. J’ai soudain eu froid, alors que je suais abondamment. Très froid.

Comme dans un rêve, je suis entré dans le lac, l’eau a envahi mes chaussures, infiltré mon pantalon, chaude comme du sang, chaude sur ma poitrine, sur mon menton, ma bouche et mes yeux.

J’ai ouvert les lèvres et inspiré à fond, l’eau m’a rempli les poumons, chaude, étouffante. J’ai d’abord toussé et craché, mais je me contrôlais, maintenant, et j’ai inspiré à nouveau. L’eau a miroité au-dessus de mes yeux, puis l’obscurité est venue.

Je me suis réveillé sur le lit de camp du docteur Pete, au Royaume Enchanté, chevilles et poignets immobilisés par des sangles, un tube dans le nez. J’ai fermé les yeux, croyant un instant avoir été restauré d’une sauvegarde, que mes problèmes étaient résolus, mes souvenirs derrière moi.

Le chagrin m’a transpercé quand j’ai réalisé que Dan devait être mort, maintenant, et que mes souvenirs de lui avaient disparu à jamais.

Petit à petit, j’ai compris que je raisonnais de travers. Le fait que je me souvienne de Dan signifiait qu’on ne m’avait pas restauré, que mon cerveau malade était toujours là, à mijoter dans un isolement dépourvu de médiateur.

J’ai toussé à nouveau. J’avais mal aux côtes, lancinement qui s’ajoutait à ma migraine. Dan m’a pris la main.

« T’es vraiment casse-couilles, tu sais ? a-t-il lancé avec un sourire.

— Désolé, ai-je répondu d’une voix étranglée.

— Non, vraiment. Heureusement pour toi que quelqu’un t’a trouvé… Une ou deux minutes de plus et je serais en train de t’enterrer. »

Non, ai-je confusément pensé : on me restaurerait une sauvegarde. Puis je me suis souvenu : j’avais signé un refus de restauration de sauvegarde recommandée par un professionnel de la médecine Personne ne m’aurait restauré après cela. J’aurais été vraiment et définitivement mort. Je me suis mis à trembler.

« Doucement, a conseillé Dan. Doucement. Tout va bien, maintenant. D’après le toubib, tu as quelques côtes fêlées à cause du massage cardiaque, mais pas le moindre dommage cérébral.

— Pas le moindre dommage cérébral supplémentaire », a précisé le docteur Pete en entrant dans mon champ de vision.

Son apparence de calme professionnel m’a rassuré malgré moi.

Il a chassé Dan et pris sa chaise. Une fois Dan sorti, il m’a projeté de la lumière dans les yeux avant de jeter un coup d’œil dans mes oreilles, puis de se reculer pour me regarder bien en face. « Eh bien, Julius, quel est le problème, au juste ? On peut te faire une injection létale, si c’est ce que tu veux, mais te buter dans le Seven Seas Lagoon, ce n’est vraiment pas un spectacle intéressant. En attendant, veux-tu qu’on en discute ? »

Une partie de moi a eu envie de lui cracher dans l’œil. Quand j’avais essayé d’en discuter avec lui, il m’avait envoyé paître, et voilà qu’il changeait d’avis ? Mais je voulais qu’on en discute.

« Je ne cherchais pas à mourir, ai-je commencé.

— Ah bon ? Il me semble que nous avons la preuve du contraire.

— Je n’essayais pas de mourir, ai-je protesté. J’essayais de… »

De quoi ? J’essayais de… de renoncer. De me faire restaurer sans l’avoir choisi, sans dire adieu à la dernière année de la vie de mon meilleur ami. De me sauver de la fosse puante dans laquelle je m’étais enfoncé sans jeter Dan aux toilettes par la même occasion. C’est tout, rien de plus.

« Je ne pensais pas… je faisais juste du cinéma. C’était une crise ou je ne sais quoi. Ça veut dire que je suis cinglé ?

— Oh, sans doute, a répondu avec désinvolture le docteur Pete. Mais laissons ça de côté pour le moment. Tu peux mourir si tu le souhaites, c’est ton droit. Je préférerais que tu vives, si tu veux mon avis, et je ne pense pas être le seul, nom d’un whuffie. Si tu veux vivre, j’aimerais t’enregistrer en train de le dire, juste au cas où. On a une sauvegarde de toi quelque part… je n’aimerais pas du tout avoir à la détruire.

— Oui, ai-je affirmé. Oui, j’aimerais être restauré si c’est la seule solution. »

Je disais la vérité : je ne voulais pas mourir.

« Très bien, a dit le docteur Pete. C’est enregistré et j’en suis heureux. Bon, maintenant, es-tu cinglé ? Sans doute. Un peu. Rien dont une assistance psychologique et du repos ne puissent venir à bout, à mon avis. Je peux te trouver un endroit, si tu veux.

— Pas tout de suite. Merci, mais j’ai quelque chose à faire d’abord. »

Dan m’a ramené dans sa chambre et mis au lit avec un transdermique somnifère qui m’a assommé pour le reste de la journée. À mon réveil, la lune brillait au-dessus du Seven Seas Lagoon et on n’entendait aucun bruit de monorail.

J’ai passé un moment sur le balcon à penser à tout ce que le Parc avait signifié pour moi pendant plus d’un siècle : le bonheur, la sécurité, l’efficacité, la fantaisie. Tout cela avait disparu. Il était temps que je m’en aille. Que je retourne dans l’espace, peut-être, retrouver Zed et voir si je pouvais à nouveau la rendre heureuse. N’importe où, mais ailleurs qu’ici. Une fois Dan mort – mon Dieu, je finissais par l’assimiler –, je pourrais descendre à Cap Canaveral trouver un lancement.

« À quoi tu penses ? » a demandé Dan dans mon dos, ce qui m’a fait sursauter. Il était en caleçon, mince, grand, élancé, poilu.

« À poursuivre mon chemin », ai-je répondu.

Il a gloussé. « J’y pense aussi. »

J’ai souri. « Pas de cette manière. Juste partir ailleurs, recommencer. M’éloigner de tout ça.