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Il écoute à peine la patiente qui vient de s’asseoir en face de lui. Une femme de cinquante ans, anxieuse, coiffée en chignon pour masquer sa calvitie. Il l’invite à s’allonger sur la table d’examen et pose les mains sur son abdomen. « Là, c’est douloureux ? » Il ne remarque pas qu’elle est déçue quand il lui dit : « Tout va bien, rien de grave en tout cas. »

À quinze heures, il quitte la clinique. Il conduit très vite sur la route en lacets. À l’entrée de la maison, la voiture dérape sur les graviers. Il doit s’y prendre à deux fois. Il recule, prend son élan et accélère pour pénétrer dans le parc.

Adèle est couchée dans l’herbe. Lucien joue à côté d’elle.

« Je n’arrête pas de t’appeler. Pourquoi tu ne réponds pas ?

— On s’est endormis.

— Je croyais qu’il t’était arrivé quelque chose.

— Mais non. »

Il lui tend la main et l’aide à se lever.

« C’est ce soir qu’ils viennent dîner.

— Oh, tu ne veux pas annuler ? On reste tous les trois, nous serons tellement mieux.

— Non, on ne peut pas annuler au dernier moment. Ça ne se fait pas.

— Il faut que tu m’emmènes faire les courses alors. Je ne peux pas marcher jusque là-bas. C’est trop loin. »

Elle entre dans la maison. Il l’entend claquer une porte.

Richard s’approche de son fils. Il passe sa main dans ses cheveux bouclés, l’attrape par la taille. « Tu es resté avec maman aujourd’hui ? Qu’est-ce que vous avez fait, raconte-moi. » Lucien essaie d’échapper à son emprise, ne répond pas, mais Richard insiste. Il regarde tendrement le petit espion et lui repose la question. « Vous avez joué ? Vous avez fait des dessins ? Lucien, raconte-moi ce que vous avez fait. »

Adèle a installé la table dans le jardin, à l’ombre de l’arbre à mirabelles. Elle a changé deux fois de nappe et elle a mis un bouquet au centre, avec des fleurs du jardin. Les fenêtres de la cuisine sont ouvertes mais l’air est brûlant. Lucien est assis sur le sol, aux pieds de sa mère. Elle lui a donné une petite planche et un couteau en plastique et il coupe une courgette bouillie en tout petits morceaux.

« C’est comme ça que tu t’habilles ? »

Adèle porte une robe bleue, à imprimés fleuris, dont les fines bretelles se croisent dans le dos, dévoilant ses épaules et ses bras maigres.

« Tu as pensé à mes cigarettes ? »

Richard sort un paquet de sa poche. Il l’ouvre et tend une cigarette à Adèle.

« Je le garde là, dit-il en tapotant son pantalon. Ça t’incitera à moins fumer.

— Merci. »

Ils s’assoient sur le banc que Richard a fait installer contre le mur extérieur de la cuisine. Adèle fume sa cigarette en silence. Lucien replante consciencieusement la courgette bouillie dans la terre. Ils observent la maison des Verdon.

Au début du printemps, un couple est arrivé de leur côté de la colline. L’homme, d’abord, a fait plusieurs allers-retours pour visiter la maison. Depuis la fenêtre du petit bureau, Adèle pouvait le voir discuter avec Émile, le jardinier, avec M. Godet, l’agent immobilier, puis avec des entrepreneurs chargés d’éventuels travaux. C’est un homme d’une cinquantaine d’années, très bronzé, athlétique. Il portait un pull de couleur vive et s’était sans doute acheté ces bottes en plastique neuves pour l’occasion.

Un samedi, un camion s’est garé sur la petite route en pente que les Robinson étaient jusque-là les seuls à emprunter. Adèle et Richard, assis sur le banc, ont observé le couple s’installer dans la maison.

« Ce sont des Parisiens. Ils ne viennent que le week-end », a précisé Richard.

C’est lui qui est allé à leur rencontre, un dimanche après-midi. Il tenait Lucien par la main, il a traversé la rue et s’est présenté. Il leur a proposé de leur rendre service. De jeter un œil sur la maison de temps en temps. De les appeler en cas de problème. Et en partant, il les a invités à dîner. « Prévenez-moi dès que vous savez quel week-end vous serez là, ma femme et moi serons ravis de vous recevoir. »

« Et qu’est-ce qu’ils font dans la vie ?

— Il est opticien, je crois. »

Les Verdon traversent la rue. La femme tient une bouteille de champagne à la main. Richard se lève, passe son bras autour de la taille d’Adèle et les salue. Lucien s’est accroché à la jambe de sa mère. Il enfonce son nez dans sa cuisse.

« Bonjour, toi. » La femme se penche vers l’enfant. « Tu ne me dis pas bonjour ? Je m’appelle Isabelle. Et toi comment tu t’appelles ?

— Il est timide, s’excuse Adèle.

— Oh, ne vous en faites pas. J’en ai eu trois, je sais ce que c’est. Profitez ! Les miens refusent de quitter Paris. Passer le week-end avec leurs vieux parents ne les intéresse plus vraiment. »

Adèle rejoint la cuisine. Isabelle lui emboîte le pas mais Richard la retient. « Venez vous asseoir. Elle n’aime pas qu’on rentre dans sa cuisine. »

Adèle les entend parler de Paris, de la boutique de Nicolas Verdon dans le 17e et du travail d’Isabelle, dans une agence de publicité. Elle paraît plus âgée que son mari. Elle parle fort, rit beaucoup. On a beau être à la campagne, en plein été, elle porte une élégante blouse en soie noire. Elle a même mis des boucles d’oreilles. Quand Richard veut lui servir un verre de rosé, elle pose délicatement sa main sur son verre. « Ça ira pour moi. Je risque d’être pompette. »

Adèle revient s’asseoir avec eux, traînant Lucien dans son sillage.

« Richard nous racontait que vous aviez quitté Paris pour la campagne, s’enthousiasme Nicolas. Vous êtes bien ici. De la terre, des pierres, des arbres, que des choses vraies. Tout ce dont je rêve pour ma retraite.

— Oui. Cette maison est merveilleuse. »

Ils regardent tous en direction de l’allée de tilleuls que Richard a fait planter, deux par deux, face à face. Le soleil traverse les feuilles et répand sur le jardin une lumière phosphorescente, couleur menthe à l’eau.

Richard parle de son travail, de ce qu’il appelle « sa vision de la médecine ». Il raconte des histoires de patients, des histoires drôles et émouvantes qu’il ne raconte jamais à Adèle et qu’elle écoute, les yeux baissés. Elle voudrait que les invités s’en aillent et qu’ils restent là, tous les deux, dans la fraîcheur du soir. Qu’ils finissent, même en silence, même un peu fâchés, la bouteille de vin posée sur la table. Et qu’ils montent, l’un derrière l’autre, se coucher.

« Vous travaillez, Adèle ?

— Non. Mais j’étais journaliste à Paris.

— Et ça ne vous manque pas ?

— Travailler quarante heures par semaine pour gagner le même salaire que la nounou, je ne sais pas si c’est enviable, la coupe Richard.

— Tu me donnes une cigarette ? »

Richard sort le paquet de sa poche et le pose sur la table. Il a beaucoup bu.

Ils mangent sans appétit. Adèle est une mauvaise cuisinière. Les invités ont beau lui faire des compliments, elle sait que la viande est trop cuite, que les légumes n’ont aucun goût. Isabelle mâche lentement, le visage crispé, comme si elle avait peur de s’étouffer.

Adèle fume sans arrêt. Ses lèvres sont bleuies par le tabac. Elle soulève les sourcils quand Nicolas lui demande :

« Alors, Adèle, vous qui êtes dans le milieu, la situation en Égypte, vous en pensez quoi ? »