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En revanche, pas un son du côté du placard qui servait de loge au flic. Le Nouveau mélancolique relativement beau s’était endormi. Au lieu de veiller sur la sûreté de Camille comme c’était sa mission. Adamsberg frappa, tenté par une semonce injuste, étant entendu que rester enfermé dans ce truc pendant des heures aurait aspiré n’importe quel homme dans le sommeil, et surtout un mélancolique.

Aucunement. Le Nouveau ouvrit aussitôt la porte, cigarette aux doigts, inclina brièvement la tête en signe de reconnaissance. Ni déférent ni anxieux, il tentait seulement de faire revenir ses pensées en grande vitesse, comme on ramène un troupeau au bercail. Adamsberg lui serra la main en l’observant sans discrétion. Doux, mais pas tant que cela. De l’énergie et des colères certaines en réserve sous le fond de ses yeux, en effet mélancoliques. Quant à la beauté, Danglard avait vu les choses en noir, en pessimiste professionnel qu’il était, déjà vaincu sans avoir combattu. Relativement beau, mais plus relatif que beau, et seulement si on le voulait. D’ailleurs, l’homme était à peine plus grand que lui. Plus massif aussi, le corps et le visage enveloppés d’une matière un peu tendre.

— Désolé, dit Adamsberg. J’ai manqué notre rendez-vous.

— C’est sans gravité. On m’a dit que vous aviez une urgence.

Voix très bien placée, légère, filtrée. Agréable, relativement. Le Nouveau éteignit sa cigarette dans un cendrier de poche.

— Une grosse urgence, c’est vrai.

— Un nouveau meurtre ?

— Non, l’arrivée du printemps.

— D’accord, répondit le Nouveau après une légère pause.

— Comment se passe cette surveillance ?

— Interminable et vide.

— Sans intérêt ?

— Aucun.

Parfait, conclut Adamsberg. Il avait eu de la veine, l’homme était aveugle, incapable de repérer Camille parmi mille autres.

— On la suspend. Une équipe du 13e arrondissement va vous relayer.

— Quand ?

— Maintenant.

Le Nouveau jeta un regard au cagibi, et Adamsberg se demanda s’il y regrettait quelque chose. Mais non, c’était seulement cette mélancolie qu’il avait dans l’œil qui donnait l’impression qu’il s’attardait plus que d’autres sur les choses. Il ramassa ses livres et sortit sans se retourner, sans une attention non plus pour la porte de Camille. Aveugle et presque mufle, au fond.

Adamsberg bloqua la minuterie puis s’installa sur la première marche de l’escalier, désignant d’un geste à son collègue la place à ses côtés. Ses années de vie tumultueuse avec Camille lui avaient donné une grande habitude de ce palier comme de cet escalier, chacune des marches ayant presque un nom propre, impatience, négligence, infidélité, chagrin, regret, infidélité, retour, remords et le tout sans fin en colimaçon.

— Combien croyez-vous que cet escalier a de marches ? demanda Adamsberg. Quatre-vingt-dix ?

— Cent huit.

— Vous faites cela ? Vous comptez les marches ?

— Je suis un homme organisé, c’est noté dans mon dossier.

— Asseyez-vous, j’ai à peine lu votre dossier. Vous savez que vous êtes affecté à cette brigade à l’essai et que cet entretien n’y change rien.

Le Nouveau hocha la tête et prit place sur la marche en bois, sans insolence mais sans s’en faire. Sous la clarté de l’ampoule, Adamsberg aperçut les mèches rousses qui zébraient ses cheveux sombres de toutes parts, y logeant d’étranges points de lumière. Une chevelure ondulée si dense qu’il semblait difficile d’y passer un peigne.

— Il y avait beaucoup de candidatures à ce poste, dit Adamsberg. Par quelles qualités êtes-vous parvenu finaliste ?

— Par un piston. Je connais très bien le divisionnaire Brézillon. J’ai dépanné son fils cadet, en un temps.

— Dans une affaire de police ?

— Dans une affaire de mœurs, dans l’internat où j’enseignais.

— Vous n’êtes donc pas flic de naissance ?

— J’étais parti pour l’enseignement.

— Par quel mauvais hasard avez-vous bifurqué ?

Le Nouveau alluma une cigarette. Mains carrées, denses. Séduisantes, relativement.

— Sentimental, suggéra Adamsberg.

— Elle était flic, j’ai cru bien faire en la suivant. Mais c’est en la suivant que je l’ai perdue, et c’est la police qui m’est restée sur les bras.

— Dommage.

— Oui.

— Pourquoi vouliez-vous ce poste ? Pour Paris ?

— Non.

— Pour la Brigade ?

— Oui. Je m’étais informé, et cela me convenait.

— Que donnaient vos informations ?

— Abondantes et contradictoires.

— Mais moi, je ne suis pas informé. Je ne sais même pas votre nom. On vous appelle encore le Nouveau.

— Veyrenc. Louis Veyrenc.

— Veyrenc, répéta studieusement Adamsberg. Et d’où tenez-vous ces cheveux roux, Veyrenc ? Cela m’intrigue.

— Moi aussi, commissaire.

Le Nouveau avait tourné le visage, fermant rapidement les yeux. Le Nouveau avait souffert, lut Adamsberg. Il soufflait la fumée vers le plafond, cherchant à compléter sa réponse, ne s’y décidant pas. Dans cette pose figée, sa lèvre supérieure se soulevait à droite comme tirée par un fil, et cette torsion lui donnait un charme particulier. Cela et ses yeux bruns abattus en triangle, se relevant à leurs bords en une virgule de cils. Dangereuse offrande du divisionnaire Brézillon.

— Je ne suis pas forcé de répondre, dit finalement Veyrenc.

— Non.

Adamsberg, qui était venu trouver son nouvel adjoint sans autre but que de l’extirper de la proximité de Camille, sentait que la conversation grinçait, sans en déceler la cause. Et pourtant, songeait-il, elle n’était pas loin, à portée de pensée. Il laissa flotter son regard sur la rampe, le mur, puis sur les marches, une à une, en descente, en montée.

Il connaissait ce visage.

— Quel nom avez-vous dit ?

— Veyrenc.

— Veyrenc de Bilhc, corrigea Adamsberg. Louis Veyrenc de Bilhc, c’est votre nom complet.

— En effet, c’est dans le dossier.

— Où êtes-vous né ?

— À Arras.

— Par un simple hasard de voyage, je suppose. Vous n’êtes pas un homme du Nord.

— Peut-être pas.

— Sûrement pas. Vous êtes un Gascon, un Béarnais.

— C’est vrai.

— Bien sûr que c’est vrai. Un Béarnais natif de la vallée d’Ossau.

Le Nouveau cligna à nouveau des yeux, comme pour un infime moment de recul.

— Comment pouvez-vous le savoir ?

— Quand on porte le nom d’un cru de vin, on risque de se faire repérer. Le cépage de Veyrenc de Bilhc pousse sur les coteaux de la vallée d’Ossau.

— Et c’est ennuyeux ?

— Peut-être. Les Gascons ne sont pas des types faciles. Mélancoliques, solitaires, doux à l’âme, durs à l’ouvrage, ironiques et obstinés. C’est un naturel qui a son intérêt, si on peut le supporter. J’en connais qui ne le peuvent pas.

— Vous, par exemple ? Vous avez un souci avec les Béarnais ?

— Évidemment. Réfléchissez, lieutenant.

Le Nouveau se recula un peu, comme l’animal prend ses distances pour examiner l’adversaire.

— Le Veyrenc de Bilhc est un cépage peu connu, dit-il.

— Et même inconnu.