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Pour s’endormir, Francine reprit son décompte des jours qui la séparaient de son départ, le 1er juin. On lui avait dit et redit qu’elle faisait une mauvaise affaire en troquant sa très grande ferme du XVIIIe siècle contre un deux-pièces balcon à Évreux. Mais pour Francine, c’était la meilleure affaire de sa vie. Dans deux mois, elle serait en sécurité, avec ses huit cent douze films dans un appartement net et blanc, à soixante mètres de la pharmacie. Elle serait assise sur un coussin neuf, bleu, posé sur un lino neuf, devant sa télévision, avec le café au rhum, sans la moindre vrillette pour la terrifier. Plus que deux mois. Elle aurait un lit en hauteur, décollé du mur, avec une échelle vernie pour monter dedans. Elle aurait des draps pastel qui resteraient propres, sans que les mouches viennent déféquer dessus. Enfant ou pas, elle serait bien, enfin. Francine se contracta sous la chaleur de sa cape de couvertures, et enfonça l’index dans son oreille. Elle ne voulait pas entendre le hérisson.

XXXIX

Dès qu’il eut fermé la porte de sa maison, Adamsberg fila sous la douche. Il se lava les cheveux en frottant dur, puis s’adossa au mur carrelé et laissa couler l’eau tiède les yeux fermés, les bras ballants. À force de rester dans la rivière, disait sa mère, ça va te délaver, tu vas devenir blanc.

L’image d’Ariane traversa son esprit, vivifiante. Bonne idée, se dit-il en fermant les robinets. Il pourrait l’inviter à dîner, et on verrait bien, si oui ou si non. Il se sécha à la va-vite, enfila ses habits sur sa peau encore humide, passa devant la console d’écoute, installée au bout de son lit. Demain, il demanderait à Froissy de venir débrancher cette machine infernale et d’emporter dans ses fils ce foutu salopard de Béarnais au sourire en biais. Il attrapa la pile des enregistrements de Veyrenc et cassa les disques un à un, projetant des éclats brillants dans toute la pièce. Il rassembla le tout dans un sac qu’il ferma solidement. Puis il avala des sardines, des tomates et du fromage et, ainsi calé et purifié, il décida d’appeler Camille en témoignage de sa bonne volonté, et de demander des nouvelles du rhume de Tom.

Ligne occupée. Il s’assit sur le bord du lit, mâchant son reste de pain, et réessaya dix minutes plus tard. Occupé. Bavardage avec Veyrenc, peut-être. La table d’écoute, qui émettait un clignotement rouge régulier, lui offrait une dernière tentation. Il enclencha le bouton d’un geste brusque.

Rien, sauf le bruit de la télévision. Adamsberg monta le son. Veyrenc écoutait un débat sur la jalousie, ironie du sort, tout en passant l’aspirateur dans son studio. Entendre cette émission chez lui depuis le poste de Veyrenc, et en sa compagnie indirecte, lui parut un peu pernicieux. Un psychiatre était en train d’exposer les causes et les effets de la compulsion possessive et Adamsberg s’étendit sur son lit, soulagé de constater que, malgré sa récente embardée, il ne présentait aucun des symptômes décrits.

L’éclat de voix le réveilla instantanément. Il se redressa d’un bond pour aller couper cette télévision qui braillait dans sa chambre.

— Tu t’avises pas de bouger, connard.

Adamsberg fit trois pas jusqu’au bout de la pièce, ayant déjà rectifié l’erreur. Ce n’était pas la télévision, mais l’émetteur qui lui transmettait un film en direct depuis chez Veyrenc. Il chercha le bouton d’une main endormie et arrêta son geste en entendant la voix du lieutenant qui répondait au protagoniste. Et la voix de Veyrenc était trop particulière pour sortir d’un téléviseur. Adamsberg regarda ses montres, presque deux heures du matin. Veyrenc avait une visite nocturne.

— T’as un flingue ?

— Mon arme de service.

— Où ?

— Sur la chaise.

— On te l’embarque, ça te va ?

— C’est cela que vous voulez ? Des armes ?

— À ton avis ?

— Je n’ai pas d’avis.

Adamsberg composait en hâte le numéro de la Brigade.

— Maurel, qui est avec vous ?

— Mordent.

— Foncez au domicile de Veyrenc, agression armée. Ils sont deux. Ventre à terre, Maurel, il est en joue.

Adamsberg raccrocha et appela Danglard tout en laçant ses chaussures d’une main.

— Ben creuse-toi la tête, mon gars.

— Ça te revient pas ?

— Désolé, je ne vous connais pas.

— Ben viens, on va te remettre la cervelle en place. Passe un froc quand même, tu seras plus correct.

— Où va-t-on ?

— En balade. Et c’est toi qui vas conduire, comme on va te dire.

— Danglard ? Deux mecs braquent Veyrenc chez lui. Filez à la Brigade et prenez le relais de l’écoute. Ne le lâchez pas surtout, j’arrive.

— Quelle écoute ?

— Merde, l’écoute de Veyrenc !

— Je n’ai pas son numéro de portable. Comment voulez-vous que je lance une écoute ?

— Je ne vous demande pas de lancer quoi que ce soit mais de prendre le relais. La bécane est dans l’armoire de Froissy, celle de gauche. Grouillez-vous nom de Dieu, et prévenez Retancourt.

— L’armoire de Froissy est fermée, commissaire.

— Mais prenez son double dans mon tiroir, bon sang ! cria Adamsberg en dévalant ses escaliers.

— OK, dit Danglard.

Il y avait des écoutes, il y avait un braquage et, en passant sa chemise en hâte, Danglard tremblait de comprendre pourquoi. Vingt minutes plus tard, il branchait le récepteur, à genoux devant l’armoire de Froissy. Il entendit un pas de course, Adamsberg arrivait dans son dos.

— Où en sont-ils ? demanda le commissaire. Partis ?

— Pas encore. Veyrenc les a fait lanterner pour s’habiller, puis pour chercher ses clefs de voiture.

— Ils prennent sa voiture ?

— Oui. Il vient de trouver les clefs, les gars devenaient…

— Fermez-la, Danglard.

À genoux, les deux hommes penchaient le front vers l’émetteur.

— Non, mec, tu laisses ton téléphone ici. Tu nous prends pour des connards ?

— Ils balancent son portable, dit Danglard. On va perdre l’écoute.

— Branchez le micro, vite.

— Quel micro ?

— Celui de sa bagnole, bon sang ! Allumez l’écran, on va suivre le GPS.

— On ne capte plus rien. Ils doivent être entre l’appartement et la voiture.

— Mordent ? appela Adamsberg. Ils sont dans la rue, près de chez lui.

— On arrive seulement à son carrefour, commissaire.

— Merde.

— Il y avait un accident à la Bastille et des embouteillages. On a mis la sirène mais c’était le foutoir.

— Mordent, ils vont monter dans sa voiture avec lui. Vous allez suivre par GPS.