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— Mauvaise blessure, dit Adamsberg en se penchant vers Veyrenc. Il pisse le sang. Passez-moi votre chemise, Mordent, qu’on essaie de garrotter cela. Maurel, occupez-vous de Roland, le plus grand, immobilisez le genou.

Adamsberg déchira le pantalon de Veyrenc et banda la blessure avec la chemise, qu’il noua serrée sur la cuisse.

— Au moins, cela le réveille, dit Maurel.

— Oui, il est toujours tombé dans les pommes, et il s’est toujours réveillé. C’est sa manière. Vous m’entendez, Veyrenc ? Serrez ma main si vous m’entendez.

Adamsberg répéta trois fois sa phrase avant de sentir se crisper les doigts du lieutenant.

— C’est bon, Veyrenc, ouvrez les yeux maintenant, dit Adamsberg en lui frappant les joues. Revenez. Ouvrez les yeux. Dites oui si vous m’entendez.

— Oui.

— Dites autre chose.

Veyrenc ouvrit tout à fait les yeux. Son regard se posa sur Maurel, puis sur Adamsberg, incompréhensif, comme s’il s’attendait à voir son père l’emmener à l’hôpital de Pau.

— Ils sont venus, dit-il, les gars de Caldhez.

— Oui, Roland et Pierrot.

— À la chapelle de Camalès par le chemin des rocailles, ils sont venus sur le Haut Pré.

— On est à Saint-Denis, intervint Maurel, inquiet, on est dans la rue des Écrouelles.

— Ne vous en faites pas, Maurel, dit Adamsberg, c’est personnel. Ensuite, Veyrenc, continua-t-il en lui secouant l’épaule. Vous voyez le Haut Pré ? C’était bien là ? Cela vous est revenu ?

— Oui.

— Il y avait quatre gars. Et le cinquième ? Où est-il ?

— Debout sous l’arbre. C’est le chef.

— Ouais, dit Pierrot en ricanant. C’est le chef.

Adamsberg s’éloigna de Veyrenc pour s’approcher des deux gars, allongés et menottés à deux mètres du lieutenant.

— Comme on se retrouve, dit Roland.

— Ça t’épate ?

— Penses-tu. Il a toujours fallu que tu sois fourré dans nos jambes.

— Dis-lui la vérité sur le Haut Pré. À Veyrenc. Dis-lui ce que je foutais sous l’arbre.

— Il le sait, pas vrai ? Sinon, il serait pas là.

— Tu as toujours été un petit salopard, Roland. Ça, c’est la vérité.

Adamsberg vit les lueurs bleues des ambulances éclairer la palissade du chantier. Les ambulanciers chargèrent les hommes sur les brancards.

— Mordent, je suis Veyrenc. Accompagnez les deux autres, sous surveillance serrée.

— Commissaire, je n’ai pas de chemise.

— Prenez celle de Maurel. Maurel, ramenez la voiture à la Brigade.

Avant le départ des ambulances, Adamsberg prit le temps d’appeler Hélène Froissy.

— Froissy, désolé de vous tirer du lit. Allez démonter tout le matériel, d’abord à la Brigade, ensuite chez moi. Puis rendez-vous directement à Saint-Denis, rue des Écrouelles. Vous y trouverez la voiture de Veyrenc. Nettoyez tout.

— Cela ne peut pas attendre quelques heures ?

— Je ne vous appellerais pas à trois heures vingt du matin si cela pouvait attendre une seule minute. Faites tout disparaître.

XL

Le chirurgien entra dans la salle d’attente et chercha du regard qui pouvait être le commissaire attendant des nouvelles des trois patients blessés par balle.

— Où est-il ?

— Là, dit l’anesthésiste en désignant un petit homme brun qui dormait profondément, étendu sur la longueur de deux chaises, la tête calée sur sa veste aménagée en oreiller.

— Admettons, dit le chirurgien, en secouant Adamsberg par l’épaule.

Le commissaire se redressa, le dos noué, frotta plusieurs fois son visage, passa ses mains dans ses cheveux. Toilette faite, pensa le chirurgien. Mais lui non plus n’avait pas eu le temps de se raser.

— Ils vont bien, tous les trois. La blessure au genou demandera une rééducation, mais la rotule n’a pas été touchée. Le bras n’est presque rien, il pourra sortir dans deux jours. La cuisse a eu de la chance, ce n’est pas passé loin de l’artère. Il a de la fièvre, il parle en vers.

— Les balles ? demanda Adamsberg en secouant sa veste. Elles n’ont pas été mélangées ?

— Chacune dans sa boîte, étiquetée avec le numéro du lit. Que s’est-il passé ?

— Une attaque de distributeur de billets.

— Ah, dit le chirurgien, déçu. L’argent mène le monde.

— Où est la blessure au genou ?

— Chambre 435, avec le bras.

— Et la cuisse ?

— Chambre 441. Qu’est-ce qu’il a eu ?

— C’est la blessure au genou qui lui a tiré dessus.

— Non, je parle de ses cheveux.

— C’est naturel. Enfin, c’est de l’accidentel naturel.

— Moi, j’appelle cela une perturbation intradermique de la kératine. Très rare, exceptionnel même. Vous voulez un café ? Un petit déjeuner ? On est un peu pâle.

— Je vais trouver un distributeur, dit Adamsberg en se mettant debout.

— Le café du distributeur, c’est de la pisse d’âne. Venez avec moi. On va arranger tout cela.

Les médecins avaient toujours le dernier mot, et Adamsberg suivit l’homme en blanc docilement. On allait manger. On allait boire. On allait aller mieux. En titubant un peu, Adamsberg adressa une courte pensée à la troisième vierge. Il était midi, on devait s’apprêter à déjeuner. On ne devait pas avoir peur, tout irait bien.

Le commissaire entra dans la chambre de Veyrenc à l’heure de son repas. Une tasse de bouillon et un yaourt étaient posés sur ses genoux, qu’il considérait avec mélancolie.

— On doit le manger, dit Adamsberg en s’asseyant près du lit. On n’a pas le choix.

Veyrenc acquiesça, et prit la cuiller.

— À remuer les vieux souvenirs, Veyrenc, on prend des risques. Tous. Ce n’est pas passé loin.

Veyrenc leva sa cuiller, puis la reposa, fixant son bol de bouillon.

— Un sort cruel se plaît à diviser mon âme. Mon honneur me presse de bénir le guerrier Qui me sauva des coups de ces soldats infâmes. Mais mon cœur se révolte contre ce cavalier Par qui vint mon malheur et qu’on veut que j’acclame.

— Oui, c’est le problème. Mais je ne vous demande rien, Veyrenc. Et je ne suis pas dans une position tellement plus simple que vous. Je sauve la vie d’un homme qui peut défaire la mienne.

— Comment cela ?

— Parce que vous m’avez pris ce que j’ai de plus précieux.

Veyrenc se redressa sur un coude, grimaçant, soulevant sa lèvre en biais.

— Votre réputation ? Je n’y ai pas encore touché.

— Mais à ma femme, oui. Palier du septième étage, face à l’escalier.

Veyrenc se laissa tomber sur l’oreiller, bouche ouverte.

— Je ne pouvais pas savoir, dit-il à voix basse.

— Non. On ne sait jamais tout, souvenez-vous bien de cela.

— C’est comme dans l’histoire, dit Veyrenc après un silence.

— Laquelle ?

— Celle du roi qui envoya à la bataille et à une mort qu’il savait certaine un de ses généraux dont il aimait la femme.

— Je n’ai pas compris, dit sincèrement Adamsberg. Je suis fatigué. Qui aime qui ?

— Il était une fois un roi, reprit Veyrenc.

— Oui.

— Qui aimait la femme d’un gars.

— D’accord.

— Le roi envoya le gars à la guerre.