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— Ses vêtements porteront son odeur longtemps.

— C’est vrai.

— C’est peut-être la troisième vierge. C’est peut-être pour cela qu’on nous l’a prise.

— J’y avais pensé. Auquel cas, ajouta Voisenet après un silence, vous pouvez arrêter vos recherches en Haute-Normandie.

— C’est déjà fait.

Mordent et Froissy rejoignaient Adamsberg, prêts au départ. Maurel portait La Boule sur son avant-bras.

— Il ne peut pas endommager l’émetteur avec ses griffes, Froissy ?

— Non. Je l’ai sécurisé.

— Maurel, tenez-vous prêt. Dès que l’hélico a pris de la hauteur, lâchez le chat. Et dès que le chat se met en route, donnez le signal aux véhicules.

Maurel regarda l’équipe s’éloigner, se plier sous les pales de l’hélicoptère qui lançait son moteur. L’appareil s’éleva en vacillant. Maurel posa La Boule à terre pour protéger ses oreilles du vacarme du décollage, et l’animal s’écrasa aussitôt au sol comme une flaque de poils. « Lâchez le chat », avait commandé Adamsberg comme on dit « Lâchez la bombe ». Le lieutenant, sceptique, récupéra la bête et la porta vers la sortie de la Brigade. Ce qu’il tenait sous le bras n’était pas exactement un missile de guerre.

XLVI

Francine ne se levait pas avant onze heures. Elle aimait rester un long moment éveillée sous les couvertures au matin, quand toutes les bestioles de la nuit avaient réintégré leurs trous.

Mais un bruit l’avait dérangée cette nuit, elle s’en souvenait. Elle repoussa le vieil édredon — dont elle se débarrasserait aussi, avec les acariens qui devaient l’infester sous la soie jaune — et examina sa chambre. Elle repéra aussitôt l’incident. Sous la fenêtre, la ligne de ciment qui obturait la fissure était tombée et gisait au sol en plusieurs morceaux. La lumière du jour brillait entre le mur et le châssis de bois.

Francine alla scruter les dégâts de plus près. Non seulement elle aurait à reboucher cette foutue fissure, mais elle aurait à réfléchir. Savoir pourquoi et comment le ciment était tombé. Est-ce qu’une bête avait pu pousser avec son mufle sur le mur extérieur, essayant de rentrer en force, jusqu’à démolir le comblement ? Et si oui, quelle sorte de bête ? Un sanglier ?

Francine se rassit sur son lit, les larmes aux yeux, les pieds relevés loin du sol. L’idéal aurait été de s’installer à l’hôtel jusqu’à ce que l’appartement soit prêt. Mais elle avait fait ses comptes et c’était bien trop cher.

Francine frotta ses yeux, et enfila ses chaussons. Elle avait tenu trente-cinq ans dans cette saleté de ferme, elle tiendrait bien encore deux mois. Elle n’avait pas le choix. Attendre et compter les jours. Tout à l’heure, se dit-elle pour se revigorer, elle serait à la pharmacie. Et ce soir, après avoir bouché le trou sous la fenêtre, elle monterait sur son lit avec le café au rhum pour regarder un film.

XLVII

Dans l’hélicoptère qui se maintenait en surplomb au-dessus des toits de la Brigade, Adamsberg retenait son souffle. Le point rouge que formait l’émetteur du chat était parfaitement visible sur l’écran, mais il ne se déplaçait pas d’un pouce.

— Merde, dit Froissy entre ses dents.

Adamsberg décrocha sa radio.

— Maurel ? Vous l’avez lâché ?

— Oui, commissaire. Il est assis sur le trottoir. Il a fait quatre mètres à droite de la porte, et puis il s’est posé là. Il regarde passer les voitures.

Adamsberg laissa tomber son micro sur ses genoux, mordant sa lèvre.

— Il bouge, annonça soudain le pilote, Bastien, un homme presque obèse qui maniait l’appareil avec la décontraction d’un pianiste.

Le commissaire se pencha vers l’écran, le regard rivé au petit point rouge qui commençait, en effet, à se mouvoir lentement.

— Il va vers l’avenue d’Italie. Suivez-le, Bastien. Maurel, donnez le signal aux voitures.

À dix heures dix, l’hélicoptère prenait son envol au-dessus de Paris, direction plein sud, énorme bête rivée aux mouvements d’un chat rond et mou, quasiment inapte à la vie extérieure.

— Il oblique sud-ouest, il va traverser le périphérique, dit Bastien. Et le périphérique est embouteillé à fond.

Faites que La Boule se démerde pour ne pas se faire écraser, pria rapidement Adamsberg, s’adressant à on ne sait qui, dès lors qu’il avait perdu de vue sa troisième vierge. Faites qu’il soit un animal.

— Il est passé, dit Bastien. Il est dans la zone. Il a pris son train, il court presque.

Adamsberg jeta un regard vaguement émerveillé à Mordent et Froissy, qui se penchaient par-dessus son épaule pour suivre le déplacement du point.

— Il court presque, répéta-t-il, comme pour se convaincre de l’improbable événement.

— Non, il s’est arrêté, dit Bastien.

— Les chats ne peuvent pas courir longtemps, dit Froissy. Il fera une pointe de temps à autre, mais pas plus.

— Il repart, petite vitesse de croisière.

— Combien ?

— Deux à trois kilomètres heure environ. Il va sur Fontenay-aux-Roses, au petit pas.

— Véhicules, rejoignez la D 77, Fontenay-aux-Roses, sud-ouest, toujours.

— Quelle heure est-il ? demanda Danglard en s’engageant sur la départementale 77.

— Onze heures un quart, dit Kernorkian. Peut-être qu’il cherche sa mère, tout simplement.

— Qui ?

— La Boule.

— Les chats adultes ne reconnaissent plus leur mère, ils s’en foutent.

— Je veux dire que La Boule va peut-être n’importe où. Peut-être va-t-il nous emmener en Laponie.

— Il n’en prend pas la direction.

— Bon, dit Kernorkian, je veux juste dire…

— Je sais, coupa Danglard. Tu veux juste dire qu’on ne sait pas où va ce foutu chat, qu’on ne sait pas s’il cherche Retancourt, qu’on ne sait pas si Retancourt est morte. Mais on n’a pas le choix, merde.

— Direction Sceaux, annonça la voix d’Adamsberg sur la radio de bord. Prenez la D 67 par la D 75.

— Il ralentit, dit Bastien, il s’arrête. Il se repose.

— Si Retancourt est à Narbonne, bougonna Mordent, on n’a pas fini.

— Ah merde, Mordent, dit Adamsberg. On ne sait pas si elle est à Narbonne.

— Pardon, dit Mordent. Je suis sur les nerfs.

— Je sais, commandant. Froissy, vous auriez quelque chose à manger ?

Le lieutenant fouilla dans son sac à dos noir.

— Qu’est-ce que vous voulez ? Du sucré, du salé ?

— Qu’est-ce qu’il y a, en salé ?

— Du pâté, devina Mordent.

— J’en veux bien.

— Il dort toujours, dit Bastien.

Dans l’habitacle de l’hélicoptère, qui décrivait des ronds dans le ciel en surveillant le sommeil du chat, Froissy prépara des tartines de pâté, foie de canard et poivre vert. Puis chacun mâcha en silence, le plus lentement possible pour suspendre le temps. Tant qu’on a quelque chose à faire, tout peut arriver.

— Il reprend son petit pas, dit Bastien.

Estalère, à l’arrêt, poings serrés sur le guidon de sa moto, écoutait les indications radio avec l’impression d’être pris dans un répugnant suspense. Mais l’avancée continue et entêtée du petit animal l’encourageait mieux que toute pensée. La Boule filait vers un but inconnu sans se poser de question et sans faiblir, traversant zones industrielles, ronciers, herbages, voies ferrées. Estalère admirait le chat. Cela faisait six heures à présent qu’il était lancé sur son erre, on avait parcouru dix-huit kilomètres. Les véhicules avançaient au ralenti, faisant de longues pauses sur les bas-côtés, avant de rejoindre les points annoncés par l’hélicoptère, se calant au plus proche des déplacements du chat.