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— Toi, tu t’es démené, affirma Angelbert en versant le vin blanc.

— Oui, j’ai eu des ennuis, des ennuis de flic.

— C’est la vie, dit Angelbert. Robert, il est couvreur, il a des ennuis de couvreur. Hilaire a des ennuis de charcutier, Oswald a des ennuis d’agriculteur, et moi, j’ai des ennuis de vieux. Crois-moi, c’est pas mieux. Bois un coup.

— Je sais pourquoi les deux femmes ont été tuées, dit Adamsberg en obéissant, et je sais pourquoi on a ouvert leurs tombes.

— Alors t’es content.

— Pas vraiment, dit Adamsberg avec une grimace. La meurtrière est une créature d’épouvante et elle n’a pas fini son boulot.

— Et elle va le finir, dit Oswald.

— Tu penses bien que oui, ponctua Achille.

— Oui, elle va le finir, dit Adamsberg. Elle va le finir en tuant une troisième vierge. Je la cherche. Et je veux bien un coup de main.

Adamsberg vit tous les visages se tourner vers lui, tous surpris par une réclamation aussi peu circonspecte.

— Sans t’offenser, Béarnais, dit Angelbert, c’est un peu tes oignons.

— C’est pas les nôtres, ponctua Achille.

— Si. Parce que c’est la même femme qui a massacré vos cerfs.

— Je l’avais dit, souffla Oswald.

— Et comment le sais-tu ? demanda Hilaire.

— C’est ses affaires, coupa Angelbert. S’il te dit qu’il le sait, c’est qu’il le sait, c’est tout.

— Exactement, dit Achille.

— À chacune des deux victimes a été associée la mort d’un cerf, reprit Adamsberg. Plus exactement le cœur d’un cerf.

— Pour en faire quoi, va savoir, demanda Robert.

— Pour y prendre l’os qui est dedans, l’os en forme de croix, dit Adamsberg, risquant son va-tout.

— C’est bien possible, dit Oswald. Et c’est ce que pensait Hermance. Elle a un os, Hermance.

— Dans le cœur ? demanda Achille, un peu étonné.

— Dans le tiroir du buffet. Un os de cœur de cerf.

— Faut être sacrément dérangé pour aller chercher la croix du cerf, dit Angelbert. C’est des trucs des temps anciens, ça.

— Il y avait des rois de France qui les collectionnaient, quand même, dit Robert. Pour se porter bonne santé.

— C’est bien ce que je dis, c’est de l’ancien temps. On ne les prend plus maintenant.

Adamsberg vida son verre à sa propre santé, fêtant intérieurement l’existence bien réelle d’un os en forme de croix dans le cœur des cerfs.

— Tu sais pourquoi il prend la croix, ton tueur, questionna Robert.

— Je t’ai dit que c’était une femme.

— Ouais, dit Robert avec une moue. Mais tu sais pourquoi.

— Pour mettre cette croix avec les cheveux des vierges.

— Bon, dit Oswald. C’est une dérangée. À quoi cela lui sert, va savoir.

— À fabriquer une mixture pour vivre éternellement.

— Ben merde, souffla Hilaire.

— D’un côté ce n’est pas mal, observa Angelbert, d’un autre ça se discute.

— En quoi cela se discute ?

— Tu te figures, mon pauvre Hilaire, si tu devais vivre toujours ? Qu’est-ce que tu ferais de tes jours ? On ne va quand même pas boire des coups pendant cent mille ans, si ?

— C’est vrai que ça fait beaucoup, observa Achille.

— Elle tuera la prochaine femme, reprit Adamsberg, quand elle aura tué le prochain cerf. Ou le contraire, je n’en sais rien. Mais je n’ai pas d’autre solution que de suivre la croix du cœur. Je voudrais que vous m’alertiez dès qu’un autre cerf sera massacré.

Il se fit un silence de plomb, un silence compact comme seuls savent en créer et en supporter les Normands. Angelbert versa la deuxième tournée, faisant tinter le goulot de la bouteille sur chaque verre.

— Ben c’est déjà fait, dit Robert.

Il y eut un nouveau silence, et chacun avala une gorgée, sauf Adamsberg qui regardait Robert, saisi.

— Quand ? demanda-t-il.

— Ça ne fait pas six jours.

— Pourquoi ne m’as-tu pas appelé ?

— Ça n’avait plus l’air de t’intéresser, dit Robert, renfrogné. Tu ne pensais qu’à l’ombre d’Oswald.

— Où cela s’est-il produit ?

— Au Bosc des Tourelles.

— Tué comme les autres ?

— Tout pareil. Le cœur à côté.

— Quels sont les villages les plus proches ?

— Campenille, Troimare et Louvelot. Plus loin, tu vas vers Longeney d’un côté, ou Coucy de l’autre. T’as le choix.

— Il n’y a eu aucune femme accidentée depuis ?

— Non.

Adamsberg respira, et but une gorgée.

— Il y a bien eu la vieille Yvonne qui s’est foutue par terre au vieux pont, dit Hilaire.

— Morte ?

— Avec toi, tout le monde serait mort, dit Robert. Elle s’est cassé le fémur.

— Tu peux m’emmener demain ?

— Voir Yvonne ?

— Voir le cerf.

— On l’a déjà enterré.

— Qui a les bois ?

— Personne. Il les avait déjà perdus.

— Je voudrais voir les lieux.

— Ça se pourrait, dit Robert en tendant son verre pour la troisième et dernière tournée. Où vas-tu dormir ? À l’hôtel ou chez Hermance ?

— Il vaudrait mieux qu’il dorme à l’hôtel, dit Oswald à voix basse.

— Vaudrait mieux, ponctua le ponctueur.

Et personne n’expliqua pourquoi on ne pouvait plus loger chez la sœur d’Oswald.

LV

Pendant que ses agents exploraient la région du Bosc des Tourelles, Adamsberg avait fait sa tournée des hôpitaux. Il avait été voir Veyrenc boitiller à Bichat et Retancourt dormir à Saint-Vincent-de-Paul. Veyrenc sortait le lendemain et le sommeil de Retancourt commençait à ressembler à un état plus naturel. Elle remonte à toute allure, avait dit Lavoisier, qui prenait des quantités de notes sur le cas de la déesse polyvalente. Veyrenc, une fois mis au courant du repêchage du lieutenant et de la croix du cerf, avait formulé un avis qu’Adamsberg remâchait en revenant à pied vers la Brigade.

« Tandis que par sa force l’une échappe au tombeau La faiblesse d’une autre la prépare au bourreau. Hâtez-vous, il est temps. Le grand cerf est blessé Et la vierge suivra si tantôt n’agissez. »

— Francine Bidault, trente-cinq ans, dit Mercadet en tendant sa fiche à Adamsberg. Elle habite à Clancy, deux cents âmes, à sept kilomètres de la lisière du Bosc des Tourelles. Les deux autres femmes les plus proches sont à quatorze et dix-neuf kilomètres, et chacune plus près de la grande Châtaigneraie, assez vaste pour abriter d’autres cervidés. Francine vit seule, sa ferme est isolée, à plus de huit cents mètres de ses voisins. Le mur de clôture s’escalade d’un bond. Quant à la maison, elle est ancienne, les portes en bois sont minces et les serrures s’ouvrent d’un coup de coude.

— Bien, dit Adamsberg. Elle travaille ? Elle a une voiture ?

— Elle fait le ménage à mi-temps dans une pharmacie d’Évreux. Elle s’y rend en car tous les jours, sauf le dimanche. Il est probable que l’agression aura lieu chez elle, entre dix-neuf heures et treize heures le lendemain, heure à laquelle elle quitte sa maison.