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— L’amour et ses prodiges, Danglard. Il est aussi possible que le chat ait beaucoup appris de Violette. Éc onomiser l’énergie grain par grain pour la lancer tout entière dans une seule mission, pulvérisant tous les obstacles sur son passage. Elle faisait équipe avec Veyrenc. C’est pour cela qu’elle a pigé avant nous ce foutu truc qu’on n’avait pas compris. Il savait qu’elle allait voir Romain. Il l’a attendue à la sortie. Elle le trouvait beau, elle l’a suivi tout de même. La seule fois de sa vie où Violette aura manqué de finesse.

— L’amour et ses calamités, Danglard.

— Et même Violette peut s’y fourvoyer. Pour un sourire, pour le son d’une voix.

— Je veux savoir ce qu’elle m’a dit, insista Adamsberg en repliant dans la voiture son bras trempé. À votre idée, capitaine, que croyez-vous qu’elle allait tenter, sitôt qu’elle allait pouvoir prononcer trois mots ?

— Vous parler.

— Pour me dire quoi ?

— La vérité. Et c’est ce qu’elle a fait. Elle a parlé des chaussures, elle a dit qu’il fallait s’en foutre. Elle a donc dit que ce n’était pas l’infirmière.

— Cela, Danglard, ce n’est pas la première chose qu’elle a dite. C’est la seconde.

— Elle n’a rien exprimé d’intelligible avant. Elle n’a fait que citer ces vers de Corneille.

— Et qui prononce ces vers, au juste ?

— C’est Camille, dans Horace.

— Vous voyez, Danglard, c’est une preuve. Retancourt ne révisait pas ses leçons d’école, elle m’adressait bien un message, par le truchement d’une Camille. Et je ne le comprends pas.

— Parce qu’il ne peut pas être clair. Retancourt était encore dans les songes. On ne peut déchiffrer sa phrase que comme on décode les rêves.

Danglard prit quelques instants pour réfléchir.

— Autour de Camille, dit-il, des frères ennemis, les Horaces d’un côté, les Curiaces de l’autre. Elle en aime un, qui veut tuer l’autre. Autour de la vraie Camille, même chose. Des cousins ennemis, vous d’un côté, Veyrenc de l’autre. Mais Veyrenc représente Racine. Quel était le grand rival et ennemi de Racine ? Corneille.

— Vrai ? demanda Adamsberg.

— Vrai. Le succès de Racine a fait tomber le trône du vieux dramaturge. Ils se haïssaient. Retancourt choisit Corneille et désigne son ennemi : Racine. Racine, donc Veyrenc. C’est aussi pourquoi elle a parlé en vers, pour que vous pensiez aussitôt à Veyrenc.

— J’y ai pensé en effet. Je me suis demandé si elle rêvait de lui ou s’il l’avait contaminée.

Adamsberg remonta la vitre et boucla sa ceinture.

— Laissez-moi le voir seul d’abord, dit-il en mettant le contact.

LIX

Veyrenc, convalescent, était assis sur son lit en short, adossé à deux oreillers, une jambe repliée, une jambe allongée. Il regardait Adamsberg qui allait et venait, bras croisés, au bout du lit.

— Vous avez du mal à vous tenir debout ? demanda Adamsberg.

— Cela tire, cela brûle, rien de plus.

— Vous pouvez marcher, conduire ?

— Je le crois.

— Bien.

— Allons parlez, Seigneur, je vois que sur vos traits Tremble dans le lointain la lueur d’un secret.

— C’est vrai, Veyrenc. L’assassin qui a massacré Élisabeth, Pascaline, Diala, La Paille, le brigadier Grimal, celui qui a ouvert les tombes, celui qui a manqué démolir Retancourt, qui a charcuté trois cerfs et un chat et vidé le reliquaire, ce n’est pas une femme. C’est un homme.

— Est-ce une simple intuition ? Ou avez-vous de nouveaux éléments ?

— Qu’entendez-vous par « éléments » ?

— Des preuves.

— Pas encore. Mais je sais que cet homme en savait assez sur l’ange de la mort pour nous coller à ses pas, pour orienter l’enquête et la conduire droit vers le naufrage, pendant qu’il agissait tranquillement ailleurs.

Veyrenc plissa les yeux, tendit la main vers son paquet de cigarettes.

— L’enquête sombrait, continua Adamsberg, les femmes mouraient, et je coulais avec elles. C’était une belle vengeance pour l’assassin. Je peux ? ajouta-t-il en désignant le paquet de cigarettes.

Veyrenc lui tendit le paquet et alluma les deux cigarettes. Adamsberg suivit le mouvement de sa main. Pas de tremblement, pas d’émotion.

— Et cet homme, dit Adamsberg, c’est un gars de la Brigade.

Veyrenc passa la main dans ses cheveux tigrés et souffla la fumée en levant vers Adamsberg un regard stupéfait.

— Mais je n’ai pas un seul élément tangible contre lui. Je suis mains liées. Qu’en dites-vous, Veyrenc ?

Le lieutenant fit tomber sa cendre dans le creux de sa main, et Adamsberg lui approcha un cendrier.

— Quand nous le cherchions loin, lançant tous nos vaisseaux Bien au-delà des mers dans un terrible assaut, Il était parmi nous et nous étions des sots.

— Oui. Quelle victoire, hein ? Un homme intelligent manipulant à lui seul vingt-sept imbéciles.

— Vous ne songez pas à Noël tout de même ? Je le connais peu mais je ne suis pas d’accord. Agressif, mais pas agresseur.

Adamsberg secoua la tête.

— À qui pensez-vous, en ce cas ?

— Je pense à ce qu’a dit Retancourt dès qu’elle est sortie des vapes.

— Enfin, dit Veyrenc en souriant. Vous parlez bien des deux vers d’Horace  ?

— Comment savez-vous qu’elle les a cités ?

— Parce que j’ai pris de ses nouvelles très souvent. Lavoisier me l’a dit.

— Vous êtes plein d’attentions, pour un nouveau.

— Retancourt est ma coéquipière.

— Je pense que Retancourt a tout fait pour essayer de m’indiquer l’assassin, avec le peu de forces dont elle disposait.

— En doutiez-vous, Seigneur ?

Pour accorder si tard à ses mots leur valeur ?

Pour négliger leur sens et risquer une erreur ?

— L’avez-vous trouvé, vous, Veyrenc ? Ce sens ?

— Non, dit Veyrenc en détournant les yeux pour laisser tomber sa cendre. Que comptez-vous faire, commissaire ?

— Quelque chose d’assez banal. Je compte attendre l’assassin là où il viendra. Les choses se précipitent, il sait que Retancourt va parler. Il a peu de temps, huit jours ou moins, au rythme où elle récupère. Il doit absolument achever sa mixture avant qu’on ne lui coupe la route. On va donc exposer Francine, sans protection apparente.

— Du très classique, commenta Veyrenc.

— Une course de vitesse n’a rien d’original, lieutenant. Deux gars cavalent côte à côte sur une piste, et c’est le plus rapide qui gagne. C’est tout. Et pourtant, cela fait des milliers d’années que des milliers de gars continuent à faire la course. Eh bien c’est pareil. Il court, je cours. Il ne s’agit pas de faire du neuf, il s’agit de l’empêcher d’arriver avant nous.

— Mais l’assassin se doute qu’on va lui tendre ce type de piège.

— Bien sûr. Mais il court tout de même, car il n’a pas plus le choix que moi. Il ne cherche pas non plus à être original, il cherche à réussir. Et plus le piège sera primaire, moins le meurtrier s’en méfiera.

— Pourquoi ?

— Parce que, comme vous, il pense que j’élabore quelque chose d’intelligent.

— D’accord, admit Veyrenc. Si vous choisissez la méthode primaire, vous ramenez donc Francine chez elle ? Discrètement entourée ?