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Perdant l’équilibre, il tomba dans un hurlement. La colonie fut aussitôt sur lui, linceul bouillonnant, et sur plusieurs de ses compagnons, dont les cris ne tardèrent pas à noyer les siens.

« Tirez sur les derniers. Maintenant », lança Tom Compton.

Guilford fit feu aussi souvent que les autres, mais le fusil du broussard se révéla le plus précis. Trois autres partisans s’écroulèrent ; les survivants s’enfuirent pour échapper aux cris.

Heureusement, les clameurs s’interrompirent bientôt. Le corps de l’homme de tête, rigidifié par le poison, pointait encore vers le ciel telle la proue d’un navire s’abîmant dans les flots. Un os brilla brièvement à travers la masse noire, puis le cadavre entier disparut sous la terre meuble bouillonnante.

Guilford restait pétrifié. Les partisans allaient devenir partie du cercle d’ossements. Combien de temps s’écoulerait-il avant que leurs crânes et leurs côtes ne fussent rejetés tel du corail brisé sur une plage ? Des heures, des jours ? Il avait envie de vomir.

« Guilford », murmura Keck d’un ton pressant.

La cuisse du scientifique saignait d’abondance. Il vaudrait mieux poser un bandage, songea le jeune homme. Étancher le sang. Où est la trousse de premiers secours ?

Mais Keck avait bien d’autres préoccupations.

« Guilford ! » Il grimaçait, les yeux écarquillés. « Votre jambe ! »

Quelque chose y grimpait.

Peut-être un partisan, en se débattant, avait-il projeté l’insecte hors du nid. Il dépassa la botte du photographe sans lui laisser le temps de réagir puis planta les mandibules dans le tissu de son pantalon.

Guilford eut un hoquet, vacilla. Keck l’attrapa par les aisselles, puis écrasa d’un coup de talon l’insecte que Sullivan venait de balayer avec la crosse de son pistolet.

« Nom d’un chien », lâcha Guilford, très calme.

Le venin atteignit alors une artère, y versant sa dose de feu hypodermique. Le jeune homme ferma les yeux et s’évanouit.

Interlude

La fin des temps était proche, car la Galaxie s’effondrait sur sa propre singularité – les étoiles devenaient aussi rares que stériles, tandis que les systèmes stellaires s’étaient à ce point éloignés les uns des autres que même les distorsions du champ de Higgs ne se propageaient plus instantanément.

Dans le reste de l’Univers, les noosphères galactiques, dont les voix s’affaiblissaient, se résignaient à la dissolution ou construisaient rageusement de vastes redoutes épigalactiques, des forteresses qui endureraient à la fois le chant de sirène des trous noirs et le refroidissement du cosmos. Plus tard, quand les naines blanches et les étoiles à neutrons elles-mêmes se dégraderaient puis mourraient, il ne resterait rien de la matière cohérente que ces places fortes de conscience.

Un automne d’un billion d’années tirait à sa fin. Les noosphères, énormes édifices abritant les ruines des civilisations planétaires, dérivaient depuis des lustres sans nombre parmi les étoiles fossiles des bras galactiques spiralés. Après s’être complexifiées, segmentées, elles se rencontraient régulièrement tous les quelques millions d’années afin de transmettre leur savoir et de donner naissance à des hybrides – des métacultures imprimées au sein de noosphères nouveau-nées aussi denses que des étoiles à neutrons. Elles se propulsaient dans l’espace le long des lignes de distorsion induites par le champ de Higgs, lançant des signaux au-delà de leur propre horizon événementiel, scandant leur nom. Toutes se connaissaient intimement. Il n’y avait pas eu de guerre depuis d’innombrables lustres – depuis l’auto-immolation de l’Empire violet, la dernière Préfecture biotique, 109 ans auparavant.

L’automne tirait cependant à sa fin. La cruelle réalité de l’hiver universel se profilait à l’horizon.

Il était temps de se réunir. De construire, de réparer, de protéger et de se rappeler. D’engranger la moisson de l’été ; de préserver la chaleur.

Les noosphères de la Galaxie partageaient des souvenirs remontant à l’Ère éclectique, où la mort avait été abolie, alors que la Terre et son astre père n’existaient pas encore. Il était temps de rassembler ces souvenirs – de fabriquer des Archives qui survivraient même à la disparition de l’énergie libre. Reliées isostatiquement aux autres Archives de l’Univers, abritant une conscience malgré la mort de toute chaleur, peut-être parviendraient-elles à créer un environnement artificiel au sein duquel de nouvelles consciences finiraient par fleurir.

Les noosphères se rassemblèrent donc au-dessus de l’écliptique du système stellaire agonisant afin de nourrir leur tâche titanesque des panaches d’antimatière qui jaillissaient, bouillonnants, du pôle de l’anomalie centrale. Une fois terminées, les Archives renfermeraient tout ce qu’avait été la Galaxie depuis l’Ère éclectique.

Siècle après siècle, elles grandirent jusqu’à atteindre la taille d’une douzaine de systèmes solaires réunis, supportant leur masse propre grâce à des distorsions méthodiques de l’espace environnant. Il s’agissait d’une machine opérant à des températures stellaires, irradiant une lumière d’ambre brun dans un vide de moins en moins illuminé – où ces radiations éparses elles-mêmes, résidus inefficaces, disparaîtraient au cours des quelques millions d’années suivantes.

Il s’agissait d’un télescope temporel, d’un enregistrement, d’une mémoire – d’un livre, par essence. Le livre d’histoire absolu, nourri et abreuvé des discontinuités temporelles intégrées à sa matrice, renfermant le moindre acte conscient et la moindre pensée survenus depuis l’aube de l’Ère éclectique. Quoique inaltérable, il restait accessible à l’infini, détaché de tout, anti-entropique.

Il représentait la création d’ingénierie la plus importante jamais entreprise par une conscience galactique. Les noosphères en furent poussées dans leurs derniers retranchements technologiques, voire, souvent, au-delà. Sa construction les contraignit à un travail sans fin – elles, leurs modules pensants, leurs outils de Turing, petits et grands, leurs machines virtuelles installées dans le lacis isostatique de la réalité même ; un labeur de plus de dix millions d’années.

Enfin, les Archives furent prêtes, bibliothèque holistique d’histoire galactique, forteresse dressée contre l’évaporation de la matière. Les noosphères s’élancèrent autour de leur œuvre en une joyeuse ronde orbitale. Peut-être, par-delà les frontières encore inviolables des anomalies, de nouveaux Univers naissaient-ils des cendres des anciens. Elles étudiaient cette possibilité ; de faibles signaux circulaient entre les diverses Archives, lançant un défi à la Conscience même : construire des Univers. Un jour, peut-être…

Mais ce n’était que spéculation. Pour l’heure, la conscience galactique jouissait de ses accomplissements.

Des monofilaments de distorsion de Higgs balayaient son œuvre, bobinant l’histoire en un ordre séquentiel. Des noyaux et sous-noyaux conscients exploraient le passé avec délice – une, deux, trois fois, lisant et relisant les Archives. Le savoir se spiralait, en arrivait à se savoir lui-même ; les noosphères philosophes débattaient de la différence entre Connaissance et Connu.

La tragédie frappa sans avertissement comme sans raison, quelque 103 ans après l’achèvement de la structure.

Cette dernière avait été infiltrée, corrompue. Des entités semi-conscientes – des codes parasites évolutifs autoreproducteurs, dissimulés dans l’entrelacs des signaux de Higgs circulant entre les galaxies – s’étaient emparées des protocoles structurels des Archives, lesquelles perdaient à chaque seconde qui passait de l’information, sans espoir de la récupérer.