Выбрать главу

Colin s’éclaircit la gorge. La jeune femme se retourna pour le découvrir sur le seuil, l’air gêné. La porte était ouverte.

« Il faut que je rejoigne mon régiment », annonça-t-il.

Elle n’avait pas pensé à cela. Cette idée la terrifia.

« Non, Colin… Ne nous laissez pas seules ici.

— Mon devoir…

— Au diable le devoir. Je ne veux pas qu’on m’abandonne, une fois de plus. Je ne veux pas qu’on abandonne Lily, pas maintenant. Elle a besoin de quelqu’un sur qui se reposer. »

Et Dieu sait que moi aussi, ajouta intérieurement Caroline.

« Pour l’amour du ciel ! protesta Colin, visiblement déchiré. C’est la guerre !

— Et que comptez-vous faire ? La gagner à vous tout seul ?

— Je suis militaire, insista-t-il d’un ton de détresse.

— Depuis combien de temps ? Dix ans ? Davantage ? Seigneur, n’en avez-vous pas terminé avec l’armée ? Ne méritez-vous pas d’en avoir terminé ? »

Il ne répondit pas. Lui tournant le dos, elle rejoignit Lily à la fenêtre. Malgré la fumée des quais qui obscurcissait le fleuve, elle distinguait les cheminées des canonnières américaines, en aval, et les bateaux anglais déjà coulés, cuirassés en miettes s’enfonçant dans la Tamise.

L’artillerie se tut. Des voix s’élevèrent alors jusqu’à la chambre, des cris. Une pointe d’amertume flottait dans l’air, fumée et pétrole en feu.

Le silence s’éternisait.

« Je peux donner ma démission, déclara enfin Colin. Quoique, non, pas en temps de guerre. Mais Dieu sait que j’y ai pensé…

— Inutile de vous expliquer, coupa sèchement la jeune femme.

— Je ne veux pas qu’il vous arrive quoi que ce soit. » Il hésita. « Ce n’est sans doute pas le meilleur moment pour le dire, mais il se trouve que je vous aime. Et que je m’inquiète de Lily. »

Elle se raidit. Pas ça. Pas s’il ne le pense pas vraiment. Si c’est une excuse pour s’en aller.

« Essayez de comprendre, supplia-t-il.

— Je comprends. Et vous ? »

Pas de réponse. Juste le claquement de la porte. Eh bien voilà. Exit le lieutenant Colin Watson. Qu’il aille au diable. Maintenant, Lily, c’est juste toi et moi. Surtout, surtout, ne pas pleurer.

Lorsque Caroline se retourna, pourtant, il était toujours là.

Les cibles principales de l’attaque, l’Armurerie et les vaisseaux militaires ancrés dans le port, furent toutes détruites durant la première heure du bombardement. L’Armurerie et les entrepôts les plus proches de la Tamise flambèrent toute la nuit. Sept canonnières britanniques furent envoyées par le fond, leurs carcasses brûlant, maussades, dans les eaux paresseuses.

Le port ne souffrit d’abord que des dommages relativement mineurs, si bien que les incendies des quais eussent été contenus sans les tirs qui s’égarèrent à l’extrémité est de Candlewick Street.

La première victime civile fut un boulanger du nom de Simon Emmanuel, récemment arrivé de Sydney. Dès que les vaisseaux américains avaient remonté le fleuve, sa boutique s’était vidée. Il se trouvait devant ses fours, s’efforçant de sauver plusieurs douzaines de pains aux raisins, lorsqu’un obus traversa le toit pour venir éclater à ses pieds, le tuant sur le coup. L’incendie qui s’ensuivit ne tarda pas à engloutir la boulangerie, avant de se communiquer aux écuries voisines et à la brasserie d’en face.

Les habitants du quartier, en train d’organiser une chaîne de seaux d’eau, prirent la fuite après l’explosion d’une conduite de gaz toute neuve qui coûta la vie à deux employés municipaux et une femme enceinte.

Le vent se fit plus sec, plus capricieux, enveloppant la cité de fumée.

Caroline, Colin et Lily passèrent la journée du lendemain dans leur chambre, conscients cependant qu’ils ne pourraient y rester beaucoup plus longtemps. Colin n’en sortit que pour aller chercher à manger. La plupart des magasins et des stands de Market Street étaient fermés, certains avaient même été mis à sac. Le lieutenant revint chargé d’une miche de pain et d’un pot de mélasse. L’Empire, malgré ses cuisines en état de siège, fournissait gratuitement dans la salle à manger de l’eau embouteillée.

Caroline regarda brûler la ville tout au long de la matinée.

Les incendies des quais avaient été maîtrisés, mais les quartiers est étaient la proie des flammes, que rien ne pouvait empêcher de dévorer la cité entière. Le feu, à présent fort étendu, avançait à son rythme propre, fonçant soudain en avant ou hésitant selon les pulsations du vent. L’air empestait les cendres et pire encore.

Colin, après avoir étendu un mouchoir sur une petite table, posa devant la jeune femme un morceau de pain imbibé de mélasse. Elle en préleva une bouchée, avant de le reposer pour demander :

« Où pourrions-nous bien aller ? »

Il leur faudrait partir. Très vite.

« À l’ouest de la ville, répondit Colin avec calme. Pas mal de gens se sont déjà installés dans les bruyères. Il y a des tentes. Nous n’aurons qu’à prendre des couvertures.

— Et après ?

— Ma foi, ça dépend. En partie de la guerre, en partie de nous. Je vais être obligé d’éviter la police militaire, au moins pour un temps. Plus tard, nous n’aurons qu’à nous embarquer.

— Pour aller où ?

— N’importe où.

— Pas sur le continent !

— Certes non…

— Ni en Amérique.

— Ah ? Je croyais que vous vouliez retourner à Boston. »

Caroline aurait pu présenter Colin à Liam Pierce. Mais quoique ce dernier n’eût jamais aimé Guilford, il poserait des questions, élèverait des objections. Au mieux, la jeune femme reprendrait son ancienne vie, ses anciens fardeaux. Non, pas Boston.

« Dans ce cas, reprit Colin, je propose l’Australie. » Il avait lâché la phrase avec une modestie étudiée qui fit penser à sa compagne qu’il avait longuement réfléchi à la question. « J’ai un cousin à Perth. Il nous aidera jusqu’à ce que nous soyons installés.

— En Australie, il y a des kangourous », intervint Lily.

L’officier lui adressa un clin d’œil.

« Des tas de kangourous, ma puce. À ne plus savoir où poser les pieds. »

Caroline, quoique charmée, restait le souffle coupé. L’Australie ?

« Mais que ferons-nous, là-bas ? demanda-t-elle.

— Nous vivrons », dit simplement Colin.

Le lendemain matin, un chasseur vint frapper à leur porte pour leur annoncer qu’il leur fallait quitter les lieux sur l’heure, ou que l’hôtel ne pourrait plus longtemps garantir leur sécurité.

« Déjà ! » protesta Caroline.

Ni Colin ni le chasseur ne lui prêtèrent attention. Sans doute le départ des clients s’imposait-il en effet. Durant la nuit, l’air était devenu insupportablement puant. La jeune femme avait mal aux poumons, et Lily s’était mise à tousser.

« On évacue tout l’est de Thames Street, insista l’employé. Ordre du maire. »

Étonnant qu’il fallût tout ce temps à une ville aussi petite et primitive que Londres pour brûler.