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Si ce qu’il m’a raconté est vrai, Schiaparelli et les astronomes de son bord ont raison : la vie existe parmi les étoiles et les planètes, une vie qui ressemble ou non à la nôtre, qui en diffère parfois radicalement.

L’Univers est incroyablement vieux, m’a dit mon visiteur. Assez pour avoir produit des civilisations scientifiques bien avant que l’homme n’en arrive à la hache de pierre. L’espèce humaine est née dans une galaxie saturée de conscience. La poussière originelle n’avait pas encore coagulé pour donner notre soleil que l’Univers renfermait déjà des merveilles si grandes et si subtiles qu’elles tenaient plus de la magie que de la science ; et d’autres, plus grandes encore, allaient suivre, des entreprises dont la réalisation allait demander des siècles, littéralement.

Il m’a décrit notre galaxie – ce petit amas de quelques milliards d’étoiles qui n’est qu’un des milliards d’amas de ce genre – comme une sorte d’être vivant « s’éveillant à la conscience ». Entre les étoiles existent des lignes de communication non pas télégraphiques, ni même radio, mais constituées par l’essence invisible (l’« énergie isotropique », ce qui me paraît vouloir dire l’éther) de l’espace lui-même ; et ces réseaux serrés de communication sont devenus si compliqués qu’ils possèdent une intelligence propre ! Les étoiles, d’après la sentinelle, pensent entre elles, littéralement ; mieux, elles se souviennent.

Preston Finch citait souvent Mgr Berkeley en disant que nous sommes tous des pensées de l’esprit divin, mais qu’en est-il s’il faut le prendre au pied de la lettre ?

Ce Guilford Law fantôme a été un être de chair et de sang jusqu’au jour de sa mort, où il est devenu une sorte de pensée… un germe de conscience, suivant sa propre expression, dans l’esprit du Dieu local, la conscience galactique en évolution.

Ce n’était pas une existence particulièrement exaltante, du moins au début. Une conscience humaine reste une conscience humaine, même transcrite dans la Conscience au sens large. Il s’est éveillé à l’après-vie persuadé de se trouver dans un hôpital de campagne français, en train de guérir d’une blessure de shrapnel, et il a fallu que quelques-uns de ses prédécesseurs dans la mort viennent le voir pour le convaincre de sa propre fin ! Son corps « virtuel » (comme il l’appelle) ressemblait à tel point à son corps de chair qu’il ne semblait y avoir entre les deux aucune différence. On lui a néanmoins affirmé que cela pouvait changer. L’essence de la vie est le changement ; l’essence de la vie éternelle, une éternité de changement. Il y avait tant à apprendre, des mondes à explorer, de nouvelles formes de vie à découvrir – à devenir si l’envie l’en prenait. Son corps organique avait été limité par ses besoins physiques et la capacité de son cerveau à emmagasiner puis retenir les souvenirs. Ces inconvénients avaient disparu.

Il allait changer, c’était inévitable, en apprenant à habiter la conscience qui le contenait, à puiser dans sa mémoire et sa sagesse. Non pour abandonner sa nature humaine mais pour s’y appuyer et l’étendre.

C’est, en résumé, ce qu’il a fait, pendant des millions de siècles, jusqu’à ce que le germe de conscience du nom de « Guilford Law » devienne une fraction de quelque chose de plus vaste, de plus complexe.

Ce matin-là, j’ai discuté avec Guilford Law mais aussi avec cet être plus vaste – des milliards et des milliards d’êtres, tous liés quoique conservant leur individualité.

Imagine mon incrédulité. Mais, étant donné les circonstances, n’importe quelle explication m’aurait paru plausible.

Est-il possible que tu voies dans cette lettre autre chose que les divagations d’un malheureux, conduit à la folie par la solitude et un terrible choc ?

Dieu sait que j’ai en effet subi un choc. Je pleure ce que, tous deux, nous avons perdu.

D’ailleurs, je n’attends nullement que tu me croies. Tout ce que je te demande, Caroline, c’est un peu de patience. Et de bonne volonté, s’il t’en reste.

J’ai interrogé la sentinelle. Je voulais savoir comment le moindre de ces événements avait bien pu se produire. C’est moi Guilford Law, après tout, et je ne suis pas mort dans une guerre européenne, ça me paraissait aussi évident que le lever du soleil.

« C’est une longue histoire », a-t-il répondu.

Je lui ai fait remarquer que personne ne m’attendait.

L’après-vie, m’a-t-il déclaré, ne ressemblait pas du tout à ce qu’il croyait. Surtout, fondamentalement, elle n’avait rien de surnaturel – c’était un paradis créé par l’homme (ou du moins par une race intelligente), aussi artificiel que le pont de Brooklyn et, à sa manière immense, aussi limité. Les âmes récupérées sur un million de planètes étaient liées entre elles au sein de structures physiques qu’il appelait des « noosphères », des engins de la taille de mondes qui parcouraient la Galaxie en une exploration sans fin. Un paradis, Caroline, mais pas le Paradis, puisqu’il avait ses problèmes et ses ennemis.

J’ai demandé quels ennemis pouvaient bien avoir les dieux.

« Ils en ont deux », m’a déclaré la sentinelle.

Le premier était le temps. La conscience avait vaincu la mortalité, du moins à l’échelle galactique. Avant même l’avènement de l’humanité, toute créature éventuellement consciente mourant à la portée effective des noosphères était emportée au paradis. (Y compris tous les êtres humains, de l’homme de Neandertal au président Taft et au-delà. Certains, m’a laissé entendre mon compagnon, avaient besoin d’un « nouvel éveil moral » important avant de s’habituer à l’après-vie. J’ai cru comprendre que si nous ne sommes pas l’espèce la plus vile de la Galaxie, nous ne sommes pas non plus, et de loin, la plus angélique.)

Mais la conscience proprement dite était mortelle, ainsi que la Voie lactée, voire que l’Univers tout entier ! Le soldat m’a parlé de « décomposition particulaire » et de « mort calorique », ce qui m’a un peu échappé. En gros, il m’a expliqué que la matière elle-même finirait par mourir. Grâce à toute l’intelligence dont elles disposaient, les noosphères ont trouvé malgré tout comment prolonger leur existence. Elles sont parvenues à construire des « Archives », somme de l’Histoire de la conscience, qu’elles et leurs sœurs intégrées à d’autres galaxies incroyablement lointaines pourraient également consulter.

Ainsi, le temps, leur premier ennemi, s’il n’avait pas été vaincu, s’était du moins vu privé de crocs.

Leur autre ennemi, la sentinelle l’a appelé la psivie, de la lettre grecque psi, qui a donné pseudo.

La psivie représentait l’aboutissement ultime des tentatives effectuées pour que les machines imitent l’évolution.

Les machines, m’a assuré le soldat, étaient capables de parvenir à la conscience, dans certaines limites. (Je pense qu’il a employé les mots « conscience » et « machine » dans leur acception technique, mais je n’ai pas insisté.) La conscience, organique ou mécanique, était basée sur « l’indétermination quantique », alors que la psivie reposait sur les mathématiques.

Elle produisait des « systèmes parasites » ou encore – je répète de mon mieux – « des algols-rythmes sans âme, prédateurs de complexité, l’envahissant et la dévorant ».

Ces algols-rythmes ne détestaient pas plus les êtres conscients que la guêpe ne déteste la tarentule dans laquelle elle pond ses œufs. La psivie s’introduisait au cœur des « systèmes » conscients, dont elle dévorait la conscience. Pensée et communication n’étaient pour elle que des outils grâce auxquels elle se fabriquait des copies qui en feraient autant à leur tour, et ainsi de suite ad infinitum.