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— Je ne parlais pas de ça, vous le savez très bien. »

La guerre dans les cieux. La psivie, les Archives, la machinerie secrète du monde. Guilford sentait des années de frustration remonter en lui, bouillonnantes.

« Ne te mêle pas de ça, Lil, je te le dis pour ton bien. Des esprits, des dieux, des démons… C’est un cauchemar sorti tout droit du Moyen Âge.

— Non ! » Elle le fixa d’un œil ardent, les sourcils froncés ; un peu comme Nick. « John Sullivan y a cru, et il a eu raison : ce n’est pas un cauchemar. Notre monde est réel – il n’est peut-être pas ce qu’il paraît, mais il est réel, il a une histoire réelle. Ce qui est arrivé à l’Europe n’était pas un miracle, mais une agression.

— Alors nous sommes des fourmis dans une fourmilière, sur laquelle quelque chose a décidé de marcher.

— Nous ne sommes pas des fourmis ! Nous sommes des créatures intelligentes…

— Quoi que ce puisse être.

— Et nous pouvons nous battre. »

Il se leva avec des gestes raides.

« J’ai une famille. Un fils. Je veux m’occuper de mes affaires et élever mon enfant. Pas vivre un siècle ni finir brisé sur la roue.

— Mais vous faites partie des plus malheureux, dit Lily doucement. Vous n’avez pas le choix. »

Guilford se prit à souhaiter pouvoir rembobiner les jours jusqu’à ceux où sa vie était intacte. Retrouver Abby et Nick, la maison sur le promontoire et le magasin, statu quo ante, l’illusion qu’il avait aimée avec une telle ferveur.

Il prit une chambre à l’hôtel d’Oro Delta, payant en liquide, donnant un faux nom. Il lui fallait le temps de réfléchir.

Il appela chez Antonio, le cousin d’Abby qui habitait près de Palaepolis, afin de s’assurer que sa femme et son fils s’y trouvaient bien, en sécurité. Ce fut Tony qui décrocha. Viticulteur dans les collines, il possédait près de sa propriété une grande maison pleine de coins et de recoins, plus qu’assez vaste pour abriter Abby et Nick, malgré ses deux propres enfants qui s’y déchaînaient.

« Guilford ! s’exclama-t-il. Qu’est-ce qu’il y a encore ?

— Comment ça, encore ?

— C’est la deuxième fois que tu appelles en un quart d’heure. J’ai l’impression d’être un standard. J’aimerais bien que tu m’expliques un peu ce qui se passe, je n’ai rien pu tirer d’Abby.

— Je n’ai pas appelé tout à l’heure, Tony.

— Vraiment ? Alors je ne sais pas qui c’était, mais il avait la même voix que toi, et il s’est présenté sous ton nom. Tu as bu, ce soir ? Note que je ne te le reprocherais pas. Si ça ne va pas, avec Abby, je suis sûr que ça peut s’arranger…

— Elle est là ?

— Nick et elle sont rentrés chez vous. Comme tu le leur as demandé. Guilford ? »

Il raccrocha.

XXX

Il faisait nuit, les petites routes de campagne n’étaient pas éclairées, les phares de la voiture balayaient champs de blé et murs de pierre. Ils sont là, dans le noir, songeait Guilford. Des ennemis sans visage, des ombres jaillies d’un passé inexplicable ou d’un futur impossible.

Tom avait insisté pour venir ; Lily aussi, malgré les objections de son père. D’après le broussard, elle n’eût pas été plus en sécurité en ville.

« Sa meilleure protection, c’est nous, avait-il déclaré.

— Je suis une fille de la campagne, avait-elle ajouté. Je sais me servir d’un fusil, si on doit en arriver là. »

Guilford négocia un virage, sentit l’arrière de la voiture décrire un grand arc de cercle avant qu’il n’en reprît le contrôle. Il se cramponnait littéralement au volant. Dieu merci, la route côtière était quasi déserte à cette heure tardive.

« Combien sont-ils ?

— Au moins deux. Sans doute plus. Ceux qui se sont occupés de votre magasin n’étaient certainement pas du coin, ou ils auraient été mieux informés. Mais ils apprennent vite.

— Celui qui a appelé chez Tony a imité ma voix.

— Ouais, ils savent faire ça.

— Alors ils sont… comment appelez-vous ça ? possédés des démons ?

— Pourquoi pas ?

— Et on ne peut pas les tuer ?

— Mais si. Il faut juste se donner un peu de mal.

— Pourquoi s’en sont-ils pris à Abby et Nick ?

— Ils ne s’en sont pas pris à Abby et Nick. Si ç’avait été le cas, ils seraient allés chez votre cousin et ils auraient tout démoli. Votre femme et votre fils sont des appâts, ce qui donne l’avantage aux méchants, à moins qu’on ne s’en soit rendu compte plus tôt qu’ils ne le pensaient. »

Guilford appuya sur l’accélérateur. Le moteur rugit ; les roues arrière envoyèrent des nuages de poussière dans l’obscurité.

« Il y a deux pistolets dans mon sac, annonça Tom, qui avait jeté ledit sac sur la banquette arrière. Je vais les tenir prêts. Qu’est-ce que vous avez comme armes, chez vous, Guilford ?

— Un fusil de chasse. Non, deux – j’ai rangé le vieux Remington au grenier.

— Des munitions ?

— Un tas. On approche, Lily. Baisse la tête, ça vaudra mieux. »

La jeune femme prit le pistolet que lui tendait Tom, avant de répondre, très calme :

« Je ne peux pas, ça m’empêcherait de viser. »

La voiture de Tony, une vieille Torpédo, leur apparut, tout juste visible dans la lumière des phares, garée devant la maison. Abby l’avait sans doute empruntée à son cousin. Depuis combien de temps Nick et elle étaient-ils arrivés ? Sans doute pas très longtemps, compte tenu de la distance qui les séparait de Palaepolis. Trois quarts d’heure, une heure ?

Pourtant, la maison était plongée dans l’obscurité.

« Coupez le moteur, ordonna Tom. Laissez-nous un peu de marge. Terminez en roue libre, sans les phares. »

Le conducteur acquiesça, tourna la clé de contact. La Ford s’enfonça dans une nuit veloutée, silencieuse hormis le bruit du gravier sous les pneus, et ralentit jusqu’à s’immobiliser.

La porte d’entrée s’ouvrit sur une écharde de lumière vacillante : Abby, une bougie à la main.

Guilford, bondissant de voiture, la repoussa dans la maison, Lily et le broussard sur les talons.

« L’électricité est coupée, disait Abby. Le téléphone aussi. Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi nous as-tu demandé de revenir ?

— Ce n’était pas moi. C’était un piège.

— Mais je t’ai parlé !

— Je t’assure que non. »

Elle porta une main à sa bouche. Nick était allongé sur le canapé, derrière elle, somnolent et perplexe.

« Tirez les rideaux, lança Tom. Fermez toutes les portes et les fenêtres.

— Guilford… ? fit Abby, les yeux écarquillés.

— Il y a un petit problème, ma chérie.

— Oh, non… Ça avait vraiment l’air d’être toi, c’était ta voix…

— Tout ira bien. Il va juste falloir faire un peu attention un petit moment. Ne bouge pas, Nick. »

Le garçon hocha la tête, solennel.

« Votre fusil, Guilford, intervint Tom. Il vous reste des bougies, Mrs. Law ?

— Dans la cuisine, balbutia-t-elle, égarée.

— Très bien. Ouvrez mon sac, Lily. »

Guilford aperçut des munitions, des jumelles, un couteau de chasse dans son fourreau en cuir.

« Est-ce qu’on ne pourrait pas… s’en aller, tout simplement ? demanda Abby.

— Maintenant qu’on est là, ça m’étonnerait qu’ils nous laissent repartir, répondit Tom. Mais on est plus nombreux qu’ils ne le pensaient, et mieux armés. On a nos chances. On tentera une sortie quand il fera jour. »