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Quelqu’un était passé par la porte de derrière.

Un gros homme en uniforme de policier.

« Shérif », dit Guilford.

Quoique de toute évidence blessé et hébété, il était parvenu à se mettre sur ses pieds. Une main plaquée à sa cuisse sanglante, il levait l’autre, implorant. Son pistolet gisait près du canapé.

Le canapé plein de sang.

« Ils sont blessés, poursuivit-il, plaintif. Il faut les emmener en ville. À l’hôpital. »

Pour toute réponse, le policier leva son arme, souriant.

Le shérif : un méchant.

Lily s’efforça de viser juste. Son cœur battait à tout rompre, mais son sang s’était transformé en une boue froide.

L’intrus tira deux fois, avant qu’une balle de Tom ne le projetât contre le mur.

Le broussard s’approcha de sa proie, tombée à terre. Il y logea trois balles supplémentaires, à bout portant, jusqu’à ce qu’elle eût la tête aussi rouge et informe qu’un des lapins de Colin Watson.

Guilford, écroulé, saignait à gros bouillons d’une blessure au torse.

Derrière la forteresse inutile du canapé reposaient Abby et Nicholas, indiciblement morts.

Interlude

Guilford se réveilla à l’ombre de l’orme, dans l’herbe haute, au milieu d’un carré de fausses anémones d’un bleu de glace. Une brise légère lui rafraîchissait la peau. Une clarté diffuse enveloppait le moindre objet de son rayonnement régulier, donnant au photographe l’impression que ses perceptions avaient été débarrassées de leur moindre défaut.

Pourtant, le ciel noir était semé d’étoiles. Bizarre.

Tournant la tête, il découvrit à quelques pas la sentinelle, l’esprit, son ombre.

Il aurait dû avoir peur. Curieusement, ce n’était pas le cas.

« Toi », parvint-il à dire.

L’autre – toujours jeune, toujours vêtu de son uniforme en lambeaux – lui adressa un sourire compatissant.

« Bonjour, Guilford.

— Bonjour à toi. »

Il s’assit. Dans un recoin de son esprit s’agitait l’obsédante impression que quelque chose de grave, de terrible, s’était passé, mais le souvenir se dérobait.

« Je crois que j’ai été blessé, dit-il d’une voix lente.

— En effet. Mais ne t’en inquiète pas, pas maintenant. »

Le ciel, aux étoiles d’une netteté de lampes électriques, si proches qu’il lui eût suffi de tendre le bras pour les toucher, le mettait également mal à l’aise.

« Qu’est-ce que je fais ici ? demanda-t-il.

— Il faut qu’on parle.

— Et si je ne veux pas ? J’ai le choix ?

— Bien sûr. Tu peux te boucher les oreilles et siffloter Dixie, si ça t’amuse. Mais tu n’aimerais pas savoir ce que j’ai à te dire ?

— Tu n’es pas ce que j’appellerais un puits de bonnes nouvelles.

— Viens faire un tour avec moi, Guilford.

— Tu marches trop.

— Je réfléchis mieux sur mes deux pieds. »

Tout comme à Londres, un quart de siècle plus tôt, un calme forcé régnait en Guilford. Il aurait dû être terrifié : tout était anormal… pire qu’anormal, lui murmurait une poussée de mémoire. Mais peut-être le soldat était-il capable de lui imposer une sorte d’amnésie émotionnelle, d’étouffer en lui la panique.

Paniquer eût été facile, voire approprié.

« Par ici », appela la sentinelle.

Ils s’avancèrent sur le chemin de terre derrière la maison, parmi les broussailles et les arbres tordus par le vent. Guilford se retourna vers sa demeure, toute petite sur son promontoire herbu. En arrière-plan, l’océan, aussi plat qu’une vitre, reflétait les étoiles.

« Je suis mort, hein ? questionna le photographe.

— Oui et non.

— Ce n’est pas très clair.

— Les deux peuvent arriver. »

Malgré son calme surnaturel, la peur l’effleura un instant.

« De quoi cela dépend-il ?

— De la chance. De la volonté. De toi.

— C’est une devinette ?

— Non, mais ce n’est pas facile à expliquer. »

Ils grimpaient d’un pas régulier. En temps normal, cette longue promenade eût essoufflé Guilford, mais ses poumons se montraient plus efficaces en ce lieu, à moins que l’atmosphère n’y fût plus épaisse ou qu’il n’y fût invulnérable, comme en rêve. Les deux hommes atteignirent bientôt le sommet de la colline.

« Asseyons-nous », proposa le soldat.

Ils s’installèrent, adossés à un arbre-mosquée, ainsi que Guilford le faisait parfois en compagnie de Nicholas, les soirs d’été, les yeux fixés sur les étoiles. Il y en avait dans l’océan autant que dans les cieux, plus qu’il ne l’eût cru possible. Elles se déplaçaient de manière visible – tournant non pas autour de l’axe nord mais d’un point situé juste au-dessus de leurs têtes.

« Elles sont réelles, ces étoiles ? interrogea Guilford.

— Le mot « réel » a une signification plus étendue que tu ne le penses.

— Mais cette colline n’est pas réellement celle qu’on voit derrière chez moi.

— Non. C’est juste un endroit où se reposer. »

On est sur son territoire. Chez les esprits.

« C’est agréable, d’être un dieu ?

— Je n’en suis pas un.

— La différence n’est pas évidente.

— Quand tu allumes une lampe électrique, cela fait-il de toi un dieu ? Tes propres ancêtres l’auraient peut-être cru.

— Sacrée lampe électrique, commenta Guilford, en clignant des yeux devant la voûte céleste.

— Nous nous trouvons à l’intérieur des Archives, déclara son compagnon. Plus précisément, dans une suite logique nodulaire attachée aux protocoles opératoires de l’ontosphère terrestre.

— Tout s’explique.

— Désolé. Ce que je voulais dire, c’est que nous sommes toujours dans les Archives – il nous est impossible de les quitter, du moins pour l’instant – mais pas sur Terre, pas vraiment.

— Je te crois sur parole.

— Je ne peux pas te sortir des Archives, mais je peux te montrer à quoi elles ressemblent de l’extérieur. »

Guilford ne savait pas au juste ce qu’on lui proposait – et un lointain sentiment d’urgence le tenaillait toujours – mais puisqu’il n’avait pas réellement le choix…

« D’accord, acquiesça-t-il, montre-moi. »

En moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire, le ciel s’anima. Il cessa de tourner. Les étoiles partirent dans une direction différente, du sud vers le nord, l’horizon sud disparaissant à une vitesse étourdissante. Guilford, hoquetant, chercha à se cramponner au sol, bien qu’il n’éprouvât aucune sensation de mouvement. La brise de mer persistait, chaude et légère.

« Qu’est-ce que c’est ? s’exclama-t-il.

— Regarde. »

D’autres étoiles se levaient au nord, innombrables, puis s’éloignaient avec une stupéfiante rapidité qui les brouillait, les transformait en bandes lumineuses. Les bras, le disque d’une galaxie. Enfin, leur aspect se stabilisa ; elles formaient une grande roue dans le ciel.

« L’ontosphère des Archives, commenta la sentinelle avec calme. Leur intérieur. »

Son compagnon, incapable de lui répondre, sentit un respect mêlé de crainte lui serrer le torse de plus en plus fort, quasi palpable.

À présent, la Galaxie elle-même devenait floue, se changeait en une sphère de lumière indifférenciée.

« L’ontosphère en quatre dimensions. »