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Dommage ! J’espérais une indication de cette frangine. Où diantre le tueur a-t-il piqué ces allumettes-réclame ?

— Où allons-nous ? demande-t-elle lorsque je débouche à l’Etoile.

J’abandonne son genou pour une région plus élevée de sa jambe.

— Il me semble que si vous aviez une bouteille de scotch chez vous à la place de votre grand-mère, on pourrait aller lui dire deux mots dans le tuyau du goulot, non ?

— Ce serait une chouette idée, malheureusement je n’ai plus de whisky.

— Qu’à cela ne tienne, on va en acheter à l’épicerie de la rue Marignan, celle qui reste ouverte jusqu’à 2 heures du matin.

Aussitôt dit aussitôt fait. Je fais emplette de boissons alcoolisées et nous grimpons quatre à quatre au cinquième de la petite.

Elle a un gentil logement, très nid d’amour. Deux pièces-kitchenette. Avec une vue imprenable sur les cheminées environnantes. Pour commencer, elle fait ce que font toutes les demoiselles de sa condition : elle se déchausse et branche la radio.

Son appareil est réglé sur un poste spécialisé dans la guimauve. J’ai droit à un blues qui me met effectivement du bleu plein le cœur avec déversoir sur le calbar.

— Asseyez-vous, et débouchez le whisky, je vais chercher de la glace.

Elle disparaît.

Lorsqu’elle radine, elle apporte effectivement de la glace, mais elle a changé de tenue. Un déshabillé en toile d’araignée, (une araignée qui ne devait pas avoir envie de tisser) a remplacé sa robe. À travers le voilage, on voit des trucs qui laisseraient peut-être indifférents la statue équestre de Jeanne d’Arc ou le buste de Voltaire, mais qui vous court-circuitent un monsieur depuis son cor au pied jusqu’à l’étiquette collée dans le fond de son chapeau. Oh ! pardon. Si vous voyiez ces formes ! Des mamelons à côté desquels ceux de Cavaillon ressemblent à des filets de sole. Les hanches ont un mouvement d’amphore, les cuisses sont longues et souples et la chute de ses reins attirerait plus de touristes que celles du Niagara si on la mettait en exploitation.

Elle pose son seau à glace sur une table basse, puis se baisse pour saisir deux verres sur le plateau inférieur d’un bar à roulettes. Mouvement divin ! Position idéale ! Je ne puis vous dire, tant est grande mon émotion, combien c’est beau, combien c’est généreux. Quand je pense qu’à chaque bout du monde, des mecs se creusent la timbale en se demandant comment ils pourraient bien aller dans la lune ! Ils me font pitié ! Restons terriens, mes frères !

— Je vous laisse servir, qu’elle gazouille, ma mésange.

Elle peut ! Pour le service, j’en connais un bout. Le service armé comme le service civil. Je connais le service de table, le service de passage à la casserole ; le service de nuit, le service compris ; le service versa, etc., etc. (comme disent les gens qui ont de la conversation).

Je commence par servir deux scotches on the rocks, puis un cocktail de museau, vous connaissez la recette ? Soixante-quatre dents, deux muqueuses, un peu de suc gastrique, vous mélangez bien le tout et vous servez très chaud. Certains, s’inspirant des méthodes américaines, ajoutent une tablette de chewing-gum, mais cet usage est à déconseiller aux personnes pourvues d’un râtelier.

Après le cocktail de mufle, je passe à la partie de pelote catégorie senior ; puis c’est le menu gastronomique de gala. Amuse-moi-toute, et enfin, le plat de résistance : le nerf de bœuf comme-chez-soi, une spécialité de la maison.

La môme, qui parle couramment polonais dans les cas graves, crie « cétesky ». On allume les lampions. Est-il besoin de vous dire que la glace a fondu dans nos verres de scotch lorsque nous les éclusons ?

— Chéri, qu’elle me susurre, quel bonheur de t’avoir rencontré. Quand je pense que j’hésitais à aller prendre un verre au Makao, tantôt…

Elle vient à peine d’achever sa phrase qu’un violent coup de sonnette retentit, sur un rythme convenu. Marion défaille. Son frais minois se creuse et pâlit. Elle a le regard comme un brassard de deuil.

— O mon Dieu ! chuchote-t-elle. C’est Bijou !

— Le pétrolier ?

— Oui.

— Ne réponds pas, suggéré-je.

Mais elle agite de gauche à droite et de droite à gauche sa charmante tête de linotte.

— La radio marche, et il y a de la lumière sous ma porte.

— Dis-lui que je suis un copain…

— Il est d’une jalousie féroce, et me défend de fréquenter d’autres hommes…

— Dis-lui que je suis ton frère.

— Il sait que je n’en ai pas.

Elle regarde désespérément autour d’elle tandis que la sonnette remet ça. Dans son petit appartement, les cachettes susceptibles de me soustraire aux regards inquisiteurs d’un cornard sont inexistantes. Le divan est posé à même le sol, les placards sont tout juste capables de recevoir la visite du nain Piéral, et dans sa salle de bains on ne pourrait pas dissimuler un basset de deux mois.

— Veux-tu que je lui casse la g… ? proposé-je obligeamment.

Mais elle est terrorisée à l’idée de paumer sa pension des grands seins valides de naguère.

Bijou, ce n’est pas seulement un bouche-trou, il représente son gagne-pain.

Elle me montre la croisée entrouverte.

— Va sur le balcon ! m’intime-t-elle.

Je ramasse ma veste tandis qu’elle crie « J’arrive » à la cantonade en remisant mon verre de whisky dans le bar roulant.

Le balcon est un peu moins large qu’un timbre de quittance, mais c’est néanmoins un balcon. Je m’y blottis, tout contre le mur, en m’efforçant de ne pas déborder sur l’encadrement de la croisée.

Marion délourde à son Mironton. Faut vivre des minutes de cette qualité pour se rendre compte à quel point les sœurs sont douées pour le bobard. Je l’entends qui entreprend un bourrage de mou en règle auprès de son bienfaiteur.

C’est de la belle besogne. Lavage, rinçage, essorage express. Elle avait le bourdon vu l’absence du Casanova à calcifs longs. Alors elle s’est piqué un coup de whisky et s’est fichue dans les torchons pour oublier le cher Bijou. Quelle belle surprise il lui a fait en rentrant à l’improviste ! Le roi du supercarburant en a le gas-oil qui lui vient aux yeux. Il nage dans l’Azur. Mieux vaut Antar que jamais. Les B.P. font la loi. Le pauvre petit cœur meurtri. Si elle s’anémiait loin de ses varices et de sa ceinture à colmater les éboulements de terrain, elle avait qu’à lui envoyer un Esso S. Enfin le voilà, tout est bien qui finit mal. Je paierais bien un bocal de fruits à l’eau-de-vie pour pouvoir apercevoir la tronche du quidam. Il a une voix de prélat.

Il commence une petite série de mimis mouillés dans le cou. Elle glousse, Marion. Faut la comprendre, cette petite, quand on est privée de dessert on s’en ressent. Alors un guili-guili du pétrolier et on a le moteur à deux temps qui pétarade.

Bijou est du genre grand fou.

— On a rapporté un petit souvenir d’Allemagne à sa petite chérie, qu’il bêtifie, le Chprountz.

— Qu’est-ce que c’est ? roucoule la fauvette.

J’sais pas si c’est une choucroute garnie ou une mitrailleuse lourde qu’il sort de sa valoche, en tout cas, Marion se met à pousser des gloussements d’extase.

Moi, sur mon balcon, je me fais tartir comme le zouave du pont de l’Alma un jour de crue. Notez bien que la nuit est douce, mais je me demande comment et quand je vais pouvoir quitter mon perchoir. D’autant plus que Bijou parle ni plus ni moins que de se faire faire un Service Station Rapide (vidange-graissage route avec vérification de la pression).

Pour passer le temps, je me mets à mater la rue en bas. Vu la saison, elle est presque vide. Quelques rares bagnoles y stationnent. Je me dis que si on voulait vraiment se rendre la vie vivable on ne devrait habiter Paname qu’entre le 14 juillet et le 15 août.