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— Presque toujours. Je peux me gourer, mais il fait un peu pédé… En tout cas je l’ai jamais vu avec une frangine et il a des petites manières…

Il arrondit le bras, oppose son pouce à son annulaire et tortille un peu ses hanches.

— Vous pigez ?

— Très bien.

— Je vous sers quelque chose ?

— Je n’ai plus le temps de boire. Tchao !

Peut-être que ce Carlier est totalement étranger à mon affaire, et peut-être que non.

Heureusement, la rue La Trémoille est toute petite. N’ayant pas le numéro de mon quidam, j’entreprends d’interviewer les pipelettes. À pareille heure ce n’est pas fastoche. Ces dames réveillées en sursaut sont de mauvais poil, et comme elles en ont toutes beaucoup, vous jugez de l’ambiance déplorable…

— M. Carlier, c’est ici ?

— Comment que vous dites ?

— Carlier.

— Connais pas. Mais dites donc, à ces heures vous…

Je me tire rapidos. Quatre fois le même manège se reproduit. Enfin, à la cinquième tentative, une dame en peignoir de pilou me répond que c’est au deuxième. Je bloque ses invectives avec un bifton représentant Victor Hugo en pleine gloire, et j’escalade les deux étages.

Discret coup de sonnette, sans résultat. Coup de sonnette aimable, ta-tagadagada-tsoin-tsoin (air connu, paroles et musique de Francis Lopez.) Nobody, comme disent les outre-emmanchés. À moi, sésame. J’entre. L’appartement passe-partouse, les gars. C’est propre et sans ambition, confortable et médiocre. L’appartement d’un monsieur qui vit seul, qui bénéficie des services secrets d’une femme de ménage rhumatisante et qui vit plus au-dehors qu’au-dedans.

Dans une salle à manger qui lui tient lieu de burlingue se trouve empilé tout un assortiment de machines de bureau diverses ; des dossiers, des paperasses, des plans…

Tout ça est de bon aloi et je commence à me dire très sérieusement, avec un paquet d’angoisse gros comme ça entre les pectoraux et le bouquet de cerfeuil, que je suis en train de me payer des vacances illicites dans l’appartement d’un monsieur qui a un casier judiciaire aussi vide que le garde-manger d’un chômeur, et la conscience plus blanche que le voile de mariée d’une blanchisseuse. C’est pourquoi, vite fait, je décambute.

Cette soirée, en fin de compte, est plutôt négative. La camionnette 403 n’avait rien de commun avec celle dont se servit l’ami Bute-Le, voilà. J’ai bousillé la combine de cette brave Marion pour ballepeau. Une navrance. Quand on songe que les entreteneurs vous entretiennent de moins en moins et de plus en plus mal… Signe des temps. Et vous savez à quoi ça tient ? Aux épouses nouvelle formule. Maintenant, les messieurs hésitent à douiller des extras vu que leurs légitimes se comportent comme des maîtresses. Elles dépensent autant d’artiche qu’une poule de luxe, faut reconnaître. Autrefois, la bergère était chargée de faire des mouflets et des économies. Ça permettait de réserver une partie du budget pour les demoiselles de bonne compagnie. De nos jours, les épouses sont devenues des croqueuses de diams. Et pour ce qui est du vice, passez-moi le Kâma-Sûtra ! Elles en remontreraient à Casanova. Toutes plus partousardes les unes que les autres. Le rêve désormais, c’est de prendre des maîtresses uniquement pour les regarder tricoter. Faut qu’elles vous jouent du piano à la lumière d’un abat-jour rose ; qu’elles vous mitonnent de la soupe aux choux, qu’elles mettent des bas de coton, des sous-vêtements de toile et qu’elles n’aient pas plus de rouge sur les joues qu’un pot de yaourt.

Si en plus elles ont un petit garçon sage qui fait ses devoirs pendant que vous regarderez Cinq Colonnes à la Une, alors, là, c’est de la vraie extase ! Du sublime. Du raffinement poussé jusqu’au délire.

Je me sens fatigué comme si j’avais essayé de mesurer l’intelligence d’un gendarme avec une chaîne d’arpenteur. Alors je gagne le plus proche hôtel et je m’offre une piaule avec salle de bains pour aller oublier pendant quelques heures la misère du monde.

CHAPITRE VII

À 7 heures, le portier, respectant les instructions que je lui ai données — ce sont les seules qu’il ait jamais reçues — me carillonne. Je lui réclame un café noir et je fonce sous la douche. Ensuite de quoi, neuf comme la pièce de 5 F d’un faux-monnayeur, je téléphone au Vioque. Peut-être que la noye a travaillé pour moi ? Si on ne compte pas un peu sur le hasard, autant aller se faire cuire un œuf de Pâques au bain-marie.

Sa voix joyeuse me rencarde. Il y a du nouveau, les gars.

— Vous avez trouvé quelque chose au sujet de ce Carville, Boss ?

— Non, mon cher. Par contre nous avons remis la main sur la 403.

— Où était-elle ?

— Elle est toujours — car j’ai donné des ordres pour qu’on n’y touche pas — à Saint-Cloud, non loin de votre domicile.

Je me botterais les noix tant est vaste ma déception. Déception qui ne concerne que moi. Pauvre truffe qui se figurait pouvoir suivre des traces de pneus sur une aussi longue distance ! T’as bonne mine, San-A., prends du fortifiant, mon pote, c’est bon pour ce que tu as. Envoyez la vitamine B 12, les gars, ça urge.

À l’autre bout, le Dabuche poursuit :

— Notez l’adresse.

— Oui ?

— Elle se trouve à la hauteur du numéro 18 de la rue Burnant-Bathon, vous connaissez ?

— Je crois que oui.

— Alors faites le nécessaire. Dès que vous aurez terminé vos investigations appelez-moi afin que je la fasse examiner par les gens du labo. J’espère qu’il y a des empreintes à relever…

Et me voilà parti pour Saint-Cloud.

Le tueur a abandonné la camionnette le long d’une palissade en face d’une maison basse artistement décorée avec de vieux pneus peints en blanc. J’examine le véhicule de fond en comble, à la recherche d’indices problématiques, mais le mec qui l’a largué dans ce coin désert l’a passé en revue avant de s’en débarrasser. Je ne trouve rien, pas même des allumettes consumées, car le cendrier a été vidé. La boîte à gants est absolument vide, les banquettes ne recèlent aucun objet permettant de me mettre sur la voie. Il y a gros à parier que le tueur a passé toute la tire à la peau de chamois pour effacer ses empreintes.

Je remarque une seule chose : les pédales sont encroûtées d’une boue rougeâtre, très glaiseuse. Ce détail me surprend un peu, car si le conducteur s’est défait de la 403 après son meurtre, il devrait y avoir des traces de ciment au lieu de ces traces boueuses.

Perplexe, je vais sonner à la petite grille cernant le pavillon aux pneus. Un abominable roquet au pedigree impossible se met à japper dans le jardinet où des touffes de pensées donnent une note bucolique, apostolique et même romaine.

La porte de la maison s’ouvre et je vois surgir un être effrayant. Après un long moment d’incertitude, je décide qu’il s’agit d’une femme. Effectivement, ça porte une robe. Mais c’est énorme comme le ménage Bérurier réuni. Ça a une tête de truie à moustache. On ne sait pas où finissent les cheveux ni où commence la barbe. La poitrine a la forme d’un jabot de pigeon ; mais passez-moi la colombe ! Quand elle roucoule, on dirait une chasse d’eau détraquée. La trombe d’Eustache, quoi !

La chose s’annonce vers moi en dardant sur ma ravissante personne les deux raisins gâtés qui lui servent d’yeux.

Elle s’arrête à quelques encablures et attend des mots de San-Antonio. Je les lui dis :

— Mande pardon, chère madame, savez-vous à qui appartient la voiture stationnée en face de chez vous ?

Le roquet me hume les fondations à travers la grille. Je lui balancerais bien un coup de chausson sur le naze mais ça ne mettrait pas du liant dans mes relations avec sa patronne.