Выбрать главу

— Tout juste, Auguste !

— Je m’appelle Benoît, croit devoir rectifier le Gros. Alors, tu t’es laissé fourguer une machine ?

— Yes, Baby. Elle a bigophoné au frangin qui devait venir la voir. Quelques jours plus tard, il a apporté la machine, on a bu un pot ensemble et c’a été tout.

Béru interpelle la dame lugubre et lui redemande du jus de treille. Après quoi il rabat son feutre limoneux comme la margelle d’un abreuvoir sur sa vitrine.

— Tu vois que ça vient, San-A. Cette machine, naturlich t’as pas payé les droits de douane ?

Je fulmine.

— Inspecteur Bérurier, cette accusation portée contre votre supérieur hiérarchique est une atteinte grave au renom de la police française tout entière ! Pas un instant l’idée ne m’est venue de rentrer cette machine en fraude.

Le Gros introduit un doigt durement onglé dans le décolleté de son pantalon jetant ainsi la panique parmi la faune qu’il nourrit.

Il me déclare sans ambages (il y a longtemps qu’il n’en a plus) que la police française n’en est plus à une atteinte près, qu’il s’assoit, lui, Béru, sur son supérieur hiérarchique et que si j’ai casqué la douane pour cette machine, je suis quatorze fois plus tarte qu’il ne se le figurait dans ses moments de pessimisme aigu.

Un confortable silence succède à cette véhémente péroraison. Le Gros en profite pour vider mon verre, à la sournoise. Puis il se cure les fosses nasales et demande :

— Alors, qu’est-ce qu’on fout là au lieu d’aller causer avec la frangine de ton mort ?

CHAPITRE IX

Elle s’appelle Virginie Duchemin, car elle n’était que la demi-sœur de Carlier. Elle a vingt-cinq ans et elle est blonde authentique. Des fruits comme ceux qu’elle trimbale dans son corsage sont certains de remporter le premier prix au concours des plus belles poires organisé par les Contribuables de France et de la Communauté. Un regard sombre, plutôt fripon sur les bords. Une taille pas plus large que le goulot d’une bouteille de Piper-Menthe et vous avez une idée approximative de la personne chez qui je sonne.

Notre aventure fut une aventure de vacances, ensoleillée, charmante et relativement banale. Nous nous sommes rencontrés dans le même hôtel de San Remo. Le fait que nous soyons français nous avait signalés l’un à l’autre et le fait que nous ayons envie de faire l’amour ensemble nous avait en outre quelque peu rapprochés. C’avaient été huit jours épatants : la mer, l’ambiance, le Chianti, la mandoline baveuse… Les vacances, quoi.

Nous étions rentrés ensemble à Paris. Notre charmante historiette avait continué encore deux ou trois jours. Et puis j’étais parti sur une enquête et nos relations étaient mortes de leur bonne mort.

La douce amie habite rue Caulaincourt, je suis allé par deux fois chez elle et comme je possède une mémoire d’éléphant (entre autres) je m’y rends sans coup férir, mais avec Bérurier.

— Qu’est-ce qu’elle fout dans la vie, cette frangine, à part les délices des commissaires en vacances ? s’informe Béru.

Je l’ai rarement vu aussi préoccupé par une affaire, ce bon Gravos. Il prend mes patins, je vous le garantis. Mon affaire est devenue la sienne et il a encore plus de mordant que moi.

— Elle marne dans un ministère quelconque, je crois bien, le renseigné-je en prenant l’escalier de bois.

Une concierge venimeuse, à verrues poilues, se lance sur nos chausses.

— Hep ! qu’elle stride, où allez-vous ?

— Chez Mlle Duchemin.

— Elle n’est pas là ! vitupère la dame.

— Qu’à cela ne tienne, assure le séduisant San-Antonio, nous l’attendrons.

— Mais elle est en voyage !

J’ai un bref moment d’indécision.

— Nous attendrons son retour tout de même. J’ai les clés, l’apaisé-je.

Cette bonne femme est sûrement issue du croisement d’une sangsue avec un ruban de papier adhésif.

— Écoutez voir un peu, dit-elle, j’aimerais des précisions.

Je soupire.

— En voici.

Elle a droit à ma carte. Ça lui colle un hoquet aussi formidable qu’un saut à ski sur tremplin olympique.

— Qu’est-ce qui se passe ?

— S’il devait se passer des choses partout où circulent des flics, le monde ressemblerait à la bataille de Stalingrad, chère madame. Il y a longtemps que Mlle Duchemin est partie en voyage ?

— Deux jours. Mais…

Je n’attends pas la suite et entraîne le Mahousse dans l’escadrin.

Grâce à l’éternel sésame (un de ces jours, il faudra tout de même que je vous donne un plan de l’objet) j’entre dans le studio de la souris. Pas besoin d’avoir sa seconde partie de bac pour comprendre qu’elle n’a pas dû partir en voyage. En effet, une malle et deux valoches trônent au milieu de la pièce. Il y a un imperméable et un sac à main sur le divan.

— Dis donc, soupire l’Énorme, y a eu contrordre, à ce qu’on dirait ?

Je trouve ça plutôt bizarre. D’un commun accord, le Béru et moi fouillons l’appartement. Pourquoi redouté-je confusément de découvrir le cadavre de la môme crevette ?

J’ai de ces pressentiments à la gomme arabique ! Fort heureusement nous ne trouvons rien. La cuisine, la salle de bains et la penderie sont vides.

— Un mystère de plus, je fais au Gros. Visiblement, la gosse était sur le point de gerber, et puis il s’est produit quelque chose de soudain qui l’a retenue.

— Si tu trouves qu’elle a été retenue ! ronchonne le Gros. Moi, j’ai idée qu’on l’a plutôt embarquée pour une destination où ce qu’elle a pas besoin de bagages, non ?

— M’est avis aussi, Pépère.

Il s’approche d’une table sur laquelle trône une photo représentant un couple fringué en tennismen.

— C’est elle, la gonzesse ?

— Oui.

— Et le julot ?

— Moi pas connaître, mon zami.

— D’après ce que j’ai cru comprendre, dit le Noble Ignoble, mademoiselle a le baigneur comme un centre d’hébergement, non ?

— Sans aller aussi loin dans la métaphore, elle est assez accueillante, oui.

L’Effroyable retire la photo de son cadre aussi facilement que vous arrachez une feuille à un artichaut. Il y jette un dernier regard, puis l’enfouit dans la poubelle qu’est sa poche.

— On va faire rechercher Virginie, soliloqué-je. Je donnerais n’importe quoi plus autre chose pour avoir une conversation avec elle.

Nous sommes presque à la porte, mais voilà que le Hideux Béru se cabre soudain, comme un âne devant une gendarmerie.

— Eh bien ! Méphisto, lui lancé-je, tu fais l’« s » ou tu fais le « c » ?

— Bouge pas, Trésor, que répond l’inestimable Crêpe en se mouchant dans un trou de son mouchoir et en palpant ensuite un rideau pour voir si c’est de la toile de Jouy. Bouge pas.

Il s’approche de la malle et relève le couvercle.

Je me cintre, comme on dit dans les coulisses de l’Opéra.

— Tu arrives avec deux rames de retard, mon Joli. J’ai déjà regardé.

Sans m’écouter, il flanque par terre des robes, des manteaux, de la lingerie…

— Tu te régales, hein, espèce de chiffonnier !

— Et comment ! dit-il.

Il me fait signe d’approcher. J’obéis et mon sourire fout le camp comme un chien qui vient de cramponner un chapelet de saucisses à la devanture d’un charcutier. Au fond de la malle il y a un cadavre, mes agneaux. Le cadavre de la petite Virginie. Il est presque cassé en deux et on l’a tassé au fond de la malle avant de le recouvrir d’une montagne d’effets.

Le Gros regarde la jeune morte d’un œil paisible.

— Elle, elle a pas été emportée par les oreillons, annonce mon sagace ami. Écoute, Tonio, je crois pas me gourer en t’annonçant qu’on l’a étranglée avec une ceinture de cuir tressée. Vise ces striures à son cou mignon. Dommage, c’était un gentil petit animal.