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Il rabat le couvercle, s’assied dessus et ôtant son bitos s’éponge le front avec un délicat slip de la morte.

— J’espère qu’ils ne sont pas nombreux de famille, tes potes, rigole-t-il. Parce qu’alors, va falloir s’assurer le précieux concours de Borniol.

La concierge est dans l’escalier. Elle ne s’est pas munie d’un balai pour donner le change. Agrippée à la rampe, elle nous regarde descendre et ses yeux de fouine étincellent de curiosité.

Un instant elle redoute que nous ne partions sans explication, mais quand elle me voit lui sourire, sa bouille en forme de trou de serrure s’éclaire comme un ver luisant en train de faire du gringue à une ampoule électrique.

— On aimerait vous causer, manière de bavarder, annonce le loquace Béru.

Elle se pâme déjà, la gourmande. Depuis un demi-siècle qu’elle se farcit les faits divers dans les baveux spécialisés, elle s’humecte à l’idée que des matuches investissent sa tanière. Ça sent la cuisine réchauffée et le pipi de grand-mère dans sa cage à cancans.

— Je vous écoute, frémit-elle.

Y a des noix de l’année dernière dans un compotier du siècle dernier. Béru, qu’est du genre écureuil lorsqu’il ne s’agit pas de grimper aux arbres, en saisit une et la pulvérise entre son pouce et son index. En d’autres circonstances, la cerbère alerterait les pompiers ou Police-Secours, mais son désir de savoir est trop poignant.

— Alors ?

— Quand Mlle Duchemin est-elle partie en voyage ? j’attaque, bille en tête.

— Avant-hier.

— Le matin, le soir ?

— Le soir.

— Vous l’avez vue partir ?

— Non, car l’après-midi je fais le ménage chez le docteur d’à côté. Mais elle m’avait annoncé son départ.

— Pour où ?

— Londres. Elle allait en déplacement avec une délégation de son ministère, car elle est sténotypiste.

— À quel ministère qu’elle marnait, votre demoiselle Dusentier ? attaque le Gros en réduisant en poudre sa sixième noix.

— Les Affaires étrangères.

Le Béru honni hennit.

— Je te le fais remarquer au passage, me dit-il. Ça peut servir.

— Merci.

La concierge n’y tient pas.

— Elle a fait quelque chose de mal ? espère-t-elle.

— Oui, ricane l’Obèse, elle a ouvert sa porte à des gens qu’elle aurait mieux fait de laisser dehors.

— Que voulez-vous dire ? n’ose se réjouir la spécialiste des ragoûts de ragots.

— Rien, oppose le Machiavélique avec un air d’en avoir tellement qu’il ne sait plus où les mettre.

Je reprends l’initiative.

— Donc, vous avez cru qu’elle était partie ?

— Ben, naturellement.

— Personne ne l’a demandée depuis ?

— Non, personne.

— Elle recevait beaucoup de monde, ces derniers temps ?

— Peu.

— Un homme ?

— Son fiancé, quoi.

Béru sort la photographie de sa vague. Plusieurs objets adhésifs s’y sont fixés comme des moules contre un rocher. Ces objets masquent l’image car ils sont nombreux, à savoir : un morceau de tartine de beurre, un mégot mâché, une peau de pêche, une rondelle de saucisson, une rustine pour vélo, une feuille de papier hygiénique paraissant d’occasion, un timbre à vingt-cinq centimes (nouveaux), une étiquette portant la référence et le prix d’une canne à pêche en bambou refendu, un bout de tricostéril ayant naguère participé à la cicatrisation d’un furoncle et une tablette de chewing-gum un peu mâchée mais pouvant assurer encore plusieurs heures de sécrétion à des muqueuses surmenées.

Le Mastar époussette l’image et la propose à l’œil sagace de la maîtresse du corps de balais.

— Ce mec-là ? demanda-t-il.

— Exactement ! s’égosille la décacheteuse de courrier.

— Vous pouvez nous allonger son blaze ? demande le Surmultiplié qui décidément ne se tient plus.

— Je vous demande pardon ? bégaie la championne du cap Cerbère arrondie par la curiosité.

— Pouvez-vous nous dire le nom de cet homme ? traduis-je.

— Elle me l’a présenté un jour. Je crois qui s’appelle Maurin, Jean-Paul ou Jean-Jacques, et qu’il travaille avec elle.

— Mille mercis, gente dame, fais-je.

Je fais signe au Gros de mettre le cap sur la sortie. Le voilà qui hisse le grand froc, au sommet du mât de misère.

— Qu’est-il arrivé à ma locataire ? s’inquiète l’encaisseuse de termes.

— Un peu d’embarras de circulation, fait le Gros.

Nous partons, abandonnant la concierge aux affres de sa curiosité inassouvie.

Béru a l’air étrangement malin. C’est vous dire s’il triche pour parvenir à un tel résultat. On dirait un mauvais acteur à qui l’on a confié un rôle important. Il met le paquet, le Mahousse. Il veut conquérir les foules. Je lui en fais la remarque et, loin de se fâcher, il pouffe en se grattant le pif.

— Vois-tu, San-A., cette affaire-là, je la prends à mon compte. Je suis si tellement heureux de te savoir en vie que je me sens capable de remuer le mont Blanc.

— Le remue pas avec tes mains sales, conseillé-je, on serait obligé de le débaptiser.

— Je sais où qu’on va, dit-il.

— Cause, mon lapin ?

— Au ministère des Affaires étranges ?

— Non, mon Gros.

— Et pourtant, le fiancé de la gonzesse…

— Le fiancé de la gonzesse, comme tu dis, ne travaille pas pendant midi. On travaille rarement dans un ministère, mais pendant midi, jamais ! On ira plus tard.

— On va à la bouffe ? se réjouit le Gros.

— Non. Je veux procéder à une petite vérification.

— Où ?

— Chez moi !

Il tique, ce type en toc.

— T’es pas louf ! Avec toutes les gnaces qui cherchent à te poivrer ! Si tu prendrais une prune dans le bocal, t’aurais bonne mine.

— Erreur, vaillant Bérurier, mon quartier grouille de poulets.

Mon aimable compagnon barrit.

— Parle-z’en-moi, des poulets, on sait ce que ça vaut sur le plan préservatif…

Tout en ralliant Saint-Cloud, nous devisons, lui et moi, sur des sujets absolument sans rapport avec l’affaire. C’est bon de s’extraire parfois d’une obsession. Béru est une mine de propos à bâtons rompus.

— Tiens, me dit-il, la semaine dernière j’suis été à la Comédie-Française vu que Berthe ma femme avait eu des billets de la part du cousin de notre ami le coiffeur.

— Qu’as-tu visionné, Gros ?

— Orage !… J’avais déjà vu le Cidre, une fois. Un peu rasoir. Ses amours avec Archimède, qu’est-ce qu’on en a à foutre, tu peux me le dire ? Et vachement immoral, moi je serais la Censure, j’interdirais. Voilà un mec qui bute le vieux de sa gerce et qui après la fait reluire comme il est pas permis à la santé du beau-dabe. Et on emmène les écoles voir ça alors que t’as des films qu’on interdit parce qu’une pétasse rajuste sa jarretelle !

— C’était beau, Orage ?

— Plus ch… que le Cidre, mon pote.

— C’est de qui ?

— J’sais plus. Oh ! un de ces mecs qu’avait les crins qui lui tombaient jusqu’au valseur, je vois le genre.

Je réfléchis. Orage à la Comédie-Française, non vraiment, ça ne me dit rien.

— Qu’est-ce que c’est le sujet ?

Il hausse ses épaules de gladiateur.