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— Je peux pas te dire, j’ai rien pigé. Des frangins qui se cherchaient des rognes. Y avait les trois Voraces contre les trois Coriaces.

— Tu peux parler d’Horace !

— Voilà ! Et crois-moi ou ne me crois pas, mais ça plaît à Berthe ces couenneries-là à cause des costars, mon pote. La Gravosse, le chatoyant, ça lui porte à l’âme.

Il rêvasse un moment et reprend :

— La semaine prochaine elle veut y retourner. Cette fois je pense que ça sera poilant, rien que le titre est prometteur.

— Quel est-il ?

— La « Tarte aux Truffes ». C’est de Méliès, je crois me rappeler.

— Non, rectifié-je, c’est de Molière et ça s’intitule Tartuffe !

— C’est possible, consent le Gros.

Il rêvasse encore et, s’étant promené la langue sur les lèvres, il murmure :

— Dis, Tonio, ça doit pas être sale, une tarte aux truffes !

CHAPITRE X

— Tu vas faire ton courrier ? rigole le Gros.

La supposition est plaisante en effet. Des décombres de ma chambre calcinée, je viens d’extraire la machine à écrire que j’ai achetée en Italie. Elle n’est plus qu’un bloc de ferraille noircie. Je redescends au salon, nanti de cet étrange objet et je me mets à l’examiner au moyen d’une forte loupe.

— Si ce serait des empreintes que tu cherches, plaisante le Béru badin, faudrait qu’elles fussent été faites avec un chalumeau !

— Elles ne l’ont pas été avec un chalumeau, mais avec un poinçon, rétorqué-je.

Après de patientes recherches, je finis par trouver ce que je cherche : à savoir le numéro de fabrication de la machine. Il se lit mal dans l’alliage où on l’a gravé, car le feu a torturé celui-ci. Je jette un peu de farine sur le bloc de métal, puis je l’essuie d’un revers de main. Les chiffres apparaissent, en blanc, un peu plus nets.

— Note, fais-je au Gros. Numéro 20883 Z.

Il prend dans son portefeuille un papier de charcutier ayant servi à emballer des tranches d’andouille (de Vire) et, au moyen d’un crayon à peine plus long qu’un remontoir de montre, s’empresse de transcrire la référence.

— Je ne comprends pas où ce que tu veux en venir, avoue-t-il.

— Quelle importance, fais-je. Crois-tu que cette incompréhension va altérer la sérénité de l’univers, ô Béru ?

— À propos d’altérer, je me désaltérerais bien, affirme la chère éponge.

— Facile, il y a tout ce qu’il faut dans le placard.

— Merci de la perm’. Pour toi, qu’est-ce ça sera ?

— Une communication téléphonique dans un grand verre avec juste un peu de friture sur la ligne.

Je compose le numéro du Vieux.

— Enfin de vos nouvelles, exulte icelui.

Mais je ne m’en sens pas pour lui faire le compte rendu des récents événements.

— Ça ne marche pas mal, patron. Mais je n’ai pas le temps, hélas ! de vous raconter. Il me faut d’urgence un renseignement.

— Je vous en prie.

— Le 16 juin dernier, j’ai rentré d’Italie une machine à écrire destinée à mon usage personnel. Je l’ai déclarée à la douane de Menton, il s’agissait d’une Ravioli-Univers… Je voudrais retrouver le numéro de fabrication de cette machine. Je ne possède plus le papier de la douane, car il a été détruit dans l’incendie de ma chambre…

— Très bien, je fais rechercher ça tout de suite, ça ne doit pas offrir de grosses difficultés.

— O.K. ! je vous rappelle dans une demi-heure…

Je remets le combiné sur sa fourche et je me tourne vers mon camarade Gros-Bide. Il est à son affaire, ayant déniché une bouteille de Cinzano qu’il biberonne à même le goulot.

Mon regard se révélant hautement réprobateur, il se justifie :

— Tu comprends, j’sais que ta mère est absente, c’est pour éviter de salir de la vaisselle.

— Merci, approuvé-je, tu es un amour. Persil fait homme ! L’Omo de la police…

Je te propose une devise : Béru, l’inspecteur qui boit plus propre.

— On va becqueter ? bougonne-t-il. Au lieu de faire de l’esprit à mes dépendances ?

— Momento ! nous devons user une demi-plombe.

— Tu pourras aussi bien tuber au Vieux d’un bistrot ?

— Non. Je préfère le rappeler d’ici.

— Qu’est-ce qu’on fout en attendant ?

— On va mater la télévision.

Je branche le poste. Nous chutons en plein Paris-Club. M. Jacques Chabannes est aux prises avec une dame peintre qui lui explique qu’elle peint surtout des têtes de cheval aux haricots rouges parce que son grand-père était palefrenier et qu’elle-même est née à Soissons. Jacques Chabannes essaie de l’endiguer because l’horaire impitoyable, mais un Hollandais n’y arriverait pas. La vaillante artiste, une belle brune de soixante-quatorze ans, a décidé de ne sortir du camp que par la force des bâillonnées. Elle raconte maintenant aux spectateurs délirants d’enthousiasme qu’elle n’utilise pas les ingrédients normaux pour faire ses tableaux. Elle fait appel à des produits consommables afin, affirme-t-elle, de rendre ses toiles plus digestes. Par exemple, pour ses jaunes elle se sert de mayonnaise ; pour ses rouges de Tomato-Ketchup ; ses bleus sont extraits du gorgonzola ; ses verts proviennent d’épinards en boîte et ses crèmes sont toutes à la vanille. Comme palette elle emploie un ravier. Comme pinceaux des cœurs d’artichaut.

Le tendre Chabannes essaie de lui couper la parole. Mais la peintresse change de développement et raconte sa vocation. On menace la dame de lui donner deux places gratuites pour « La Nuit des Grands Constipés de France », laquelle nuit est placée sous le haut patronage des pilules Miraton avec, en vedette, la célèbre virtuose du piano à bretelle Yvette Ordinaire. Du coup, la dame se tait, un frisson la parcourt, depuis la chaufferie jusqu’au vase d’expansion. On est obligé de lui faire respirer une de ses natures mortes à la crème d’anchois pour la ranimer. Les cameramen en profitent pour passer à la rubrique suivante. C’est une vraie bouffée de fraîcheur : les Petites Bretonnes à la quenouille de bois. Une apothéose ! Ces demoiselles entonnent le fameux chant des langoustes armoricaines : « Si tu as la main Brest, touche pas mon Concarneau ».

C’est beau, surtout à marée basse. Ça sent l’iode et ça vous met un grain de sel sous l’aqueux.

Bérurier en pleure dans sa bouteille de Cinzano.

Après ce récital nous visionnons le Baveux Jacté, présenté par les onze Itrone. Nous voyons des préparatifs concernant la visite que le président de la République sud-africaine s’apprête à faire à Paris. Un important traité commercial va être passé entre nos deux pays. L’Afrique du Sud nous échangera de la sueur de nègre, en boîte, contre les Mémoires de Fernand Raynaud. On accroche des drapeaux sud-africains auprès des drapeaux français qui demeurent en permanence aux Champs-Élysées (les visites diplomatiques se succédant à une cadence accélérée). La garde républicaine portera des slips-kangourou (pour la visite du nonce elle met des slips Éminence), Gérard Bauer prononcera un discours et des bateaux-mouches tsé-tsé parcourront la Seine. Ce sera très beau.

Je bigle mon horloge parlante. La demi-plombe est écoulée, j’espère que le Vioque a mon tuyau.

Effectivement il est paré. Un vrai magicien, le Déplumé ! C’est S.V.P. multiplié par dix.

— Vous avez de quoi écrire, San-Antonio ?

— J’ai, patron.

— Le numéro de votre machine est : 20896 Z.

— Merci.

— Pouvez-vous me dire ?…

Mais je chique au gars survolté et je lui raccroche en plein dans les feuilles.