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Primo, j’ai violé le domicile de Carlier, puis celui de sa frangine, et voici que je m’introduis de façon follement irrégulière dans l’appartement du fiancé d’icelle.

Béru, qui fait le vingt-deux sur le palier en mâchonnant une allumette, gouaille :

— Le jour où tu quitteras la poule, tu pourras t’établir serrurier, gars, t’es doué.

— C’est un métier qui a bien des désagréments : regarde Louis XVI.

— Il était serrurier, ce mec-là ? s’étonne mon compère.

— Tu ne le savais pas ?

— C’est pas fort de s’être laissé encabaner…

J’ouvre sur ce sarcasme et nous entrons dans la garçonnière du sieur Maurin. Les logements se ressemblent lorsqu’ils abritent une même catégorie d’individus. La petite entrée, la chambre, la salle à manger-salon, la salle d’eau et la cuisine. Ils semblent tirés au duplicateur.

On se rend compte illico (pour ne pas dire dare-dare) que le domicile du Maurin est aussi dépourvu d’intérêt qu’une conversation entre un coiffeur et son client. C’est d’une banalité ennuyeuse. D’un manque d’invention si affligeant qu’on finit par se demander si des gars comme Fleming ou Léonard de Vinci ont vraiment existé. Les meubles sont en chêne cérusé. Les bibelots en plâtre de Paris, et il y a des cartes postales autour des glaces.

Lorsque nous avons tout fouillé, sans résultat, je me rabats sur les cartes. Elles viennent d’un peu partout. Ce sont des messages de vacances pour la plupart. Le style vous donne presque envie de lire les œuvres (que je n’ose espérer complètes) de M. André Billy : « Un bonjour d’Étretat » ; « Affectueuses pensées de Monte-Carlo » ; « Vive l’Italie », etc. Et c’est signé de prénoms : Jean-Loup ; Martine ; Lucienne ; Sophie…

La baie des Anges, le rocher de Cancale, les gorges du Tarn, le figuier de Roscoff… La France, l’Europe en tranches conventionnelles. Nuit sur le Grand Canal ! Des cathédrales, des tours droites et penchées ; des gondoles, des façades d’hôtel, des pêcheurs à pipes et à filets. Souvenirs ! Une vue, quatre mots et une signature. On pense à vous. Ce qui, traduit de l’hypocrite, signifie en substance : « Tu te fais tartir à Paris, eh ! paumé, tandis que mon épiderme se dore au soleil de la Côte. Je me la coule douce, et toi, pauvre cloche, tu trimes dans ton burlingue cauchemaresque.

Mais vise-le, ce palmier : il te fout le cafard, hein, mon salaud ? Moi je le vois, je peux le toucher. Je m’em… dans son ombre… Vacances idéales ! Je te parlerai pas de la flotte, du lit qui grince, de la bouftance immonde, de ma bagnole qui débloque. Je suis heureux ! Heureux à ta santé ! »

Je termine cette éprouvante inspection lorsque je tombe en arrêt devant une vue qui m’est familière. Elle représente la plage de San Remo, avec en amorce l’hôtel où j’étais descendu.

Le texte ?

Je rentre mercredi. Tout se passe très bien. Tu peux prévenir Marion. Ta Vivi.

Vivi, autrement dit Virginie. Tout se passe bien, autrement dit, nous avons trouvé le pigeon idéal, re-autrement dit : le San-A. séduisant.

— Intéressant ? s’inquiète Béru.

— On dirait.

Je continue de penser (puisque je suis, autant en profiter, non ?) Préviens Marion…

Vous ne trouvez pas ça époustouflant, vous ? Marion ! Ben quoi, vous roupillez, les gars ? Marion, la poule à Bijou, celle qui habite au-dessus du Makao ? Notez que ça peut très bien ne pas être elle, à notre époque ce prénom commence à se répandre. Mais notez aussi que ça peut être elle.

Et si c’est elle, je vous offre à tous, ou plutôt à toutes, une virée sur les autos tamponneuses à la prochaine foire of the Trône.

Je glisse la carte in my pocket.

— Amène ton lard, Béru, j’ai de l’ouvrage pour toi.

CHAPITRE XI

Nous stagnons dans un petit tabac faisant face au logement de la môme Marion depuis une très jolie paire d’heures en nous demandant si cette attente n’est pas, à l’image de Charpini, dénuée de fondement quand j’aperçois la gosse qui sort de son immeuble. Un peu belle qu’elle est, Marion ! Un deux-pièces tango (avec alcôve) qui lui colle au corps. Un maquillage extrêmement réussi, des bas mandarine et des souliers italiens. Bref, de la personne qu’on regarde et dont le prix devient le vôtre.

— C’est elle ! soufflé-je à Bérurier.

— Pas sale, apprécie l’Infâme. Et tu t’es agrafé ce sujet à ton palmarès, San-A. ?

— Secret professionnel, rétorqué-je.

— Ton secret professionnel, tu peux te le mettre…

Il s’interrompt.

— Gaffe ; elle vient ici !

C’est exact. D’un pas léger, Marion traverse la chaussée et pique droit sur le tabac.

Je me lève et je prends la route des toilettes, because je ne tiens pas à ce qu’elle me repère.

Je plonge dans la cabine marquée « messieurs » (elle est au pluriel, bien qu’unique, ce qui me donne à réfléchir) et j’attends.

J’espère qu’elle est entrée pour acheter un timbre car je n’ai pas envie de mijoter dans cet endroit un peu trop clos. Je compte jusqu’à cent, puis jusqu’à deux cents, en souhaitant évidemment que la voie se dégage. De l’autre côté de la lourde, il y a un mangeur de melon qui rouscaille comme quoi c’est pas parce que je suis dans un lieu d’aisances que je dois prendre mes aises. De guerre lasse, je me hasarde out.

Le client grognon est déjà désagrafé, les pieds sur ses starting-blocks, soucieux d’éviter un faux départ. Moi, je regagne l’escalier et, ce faisant, je passe devant la cabine téléphonique ; un tressaillement en apercevant Marion à l’intérieur. Heureusement, elle me tourne le dos. Je stoppe tout à côté de la cabine et je tends une oreille avide. La môme parle d’un ton mesuré par un géomètre, mais ce qu’elle dit m’est audible car la porte de la cabine ferme mal, comme toutes les portes de cabines téléphoniques françaises.

— Je ne t’ai pas appelé de chez moi car Bijou a voulu rester pour faire la sieste. Quel crampon, çui-là ! Où est-ce qu’on se retrouve ?

Léger temps.

— Non, c’est trop loin. Je lui ai dit que j’allais chez le coiffeur, tel que je le connais il va téléphoner dans un moment pour voir si c’est vrai. Voyons-nous à la « Marquise de Sévigné ».

Autre temps (autre mœurs).

— Oui, j’y vais tout de suite, dépêche-toi.

San-Antonio n’attend pas la péroraison : il se trisse.

J’escalade l’escadrin quatre à trois (il n’y a que sept marches) et je me hâte vers la sortie. Au passage, je lâche au Gros :

— Elle va aller rejoindre quelqu’un, file le quelqu’un !

« On se retrouvera ici dans deux heures au plus.

D’un pas rapide je prends la direction des Champs-Élysées. J’agis d’instinct. Ma décision est prise : je vais profiter de mon avance pour aller à la Marquise. De cette façon, quand la gosse arrivera, elle ne pourra pas penser un seul instant que je l’ai suivie. Vous pigez ?

Peut-être ferais-je mieux de laisser agir le Gros, mais j’ai trop besoin de me dépenser. C’est physique, je vous dis.

Je traverse les Champs et je pénètre à la Marquise. Sans escale, j’atteins le salon de thé du premier et je choisis une petite table discrète tout au fond, dans une embrasure de fenêtre. Rien que du beau monde céans, messeigneurs ! De la rombière en face à main (ça existe encore) et à ruban autour du cou. Une merveille d’humanité. Ces dames papotent au subjonctif dans un français auprès duquel celui de Montaigne ressemble à du patois dauphinois.

Une accorte serveuse s’enquiert de mes desiderata. Comme je suis dans un salon de thé, je commande un thé. Me reste plus qu’à attendre la suite du contingent.