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Et il radine, le contingent, mes frères. Remarquable et remarqué. La gosse d’abord, remarquée par sa beauté. Béru ensuite, remarqué parce qu’il est Bérurier et qu’être Bérurier à la « Marquise de Sévigné », c’est comme si on était égoutier dans le grand salon de Buckingham Palace.

La ravissante Marion s’installe à quatre tables de la mienne, dos à moi. Béru se place entre nous, très avantageux, son bitos enfoncé sur le dôme jusqu’aux étagères. Au moment où il s’assied, on perçoit un grand cri d’agonie. Le Mahousse se redresse et retire de sous ses fesses puissantes le cadavre d’un pékinois qui s’était lové sur un fauteuil tandis que sa mémère racontait à une amie l’emphysème de son mari. Vent d’émeute dans le salon. Consternation. La mémère s’évanouit.

Le Gros s’excuse très sommairement :

— J’avais pris cette saloperie-là pour un coussin, dit-il. D’abord, c’est pas la place d’un clébard, sur un siège.

La mémère reprend ses esprits et éclate en sanglots. Pensez, un chienchien de cent cinquante tickets, élevé tout au blanc de poulet. On la reconduit jusqu’à son carrosse tandis que son chauffeur, mandé d’urgence, vient récupérer la dépouille du pékinois afin de lui assurer une sépulture décente dans le caveau de famille, section clebs, des Labit-Tembernes.

Le calme revient. Une serveuse vient enfin demander à Béru ce qu’il désire :

— Ce sera une choucroute bien garnie ! déclare mon boulimique ami.

Stupeur de la douce enfant.

— Mais nous ne faisons pas restaurant ! bredouille-t-elle.

— Alors servez-moi un sandwich aux rillettes, transige l’Énorme. Avec un petit coup de juliénas.

Ils finissent par se mettre d’accord sur des toasts et un café. Une fois servi, Béru engloutit le tout en détrempant les toasts dans le café et en les aspirant comme il le ferait d’huîtres, ce avec un bruit qui évoque à s’y méprendre l’instrument de travail des gars de l’U.M.D.P. (à ne pas confondre avec ceux du M.R.P.).

Pendant ces multiples incidents, un homme est venu rejoindre Marion. C’est un type d’une cinquante-cinquaine d’années, plutôt chauve du dessus et assez corpulent. Il porte un complet bleu à rayures blanches, une chemise pervenche, une cravate bleu marine et une dent en or en acier inoxydable. J’sais pas s’il est dans les pétroles, ce camarade-là, en tout cas il n’a pas l’air de se faire du mouron pour ses échéances de fin de month.

Je suis frappé par son air grave. Il parle comme un ventriloque, sans presque remuer les lèvres. La môme Marion l’écoute tout aussi sérieusement, en servant le thé.

À les voir, tous les deux, on pourrait croire qu’il s’agit d’une aimable jeune fille de la good société avec son papa. Ils se cognent deux gorgées de thé, puis l’amorti casque l’orgie et les voilà partis. Leur décarrade est un signal pour le magnificent Béru qui se trisse sur leurs talons. Au passage, il renverse un guéridon et une dame en tailleur blanc déguste un pot de chocolat chaud sur la carrosserie. Cris d’orfèvre ! Imprécations béruriennes. Le Gros déclare, à haute et terriblement intelligible voix, que ces tables ne tiennent pas debout et qu’un ébéniste doit avoir des copeaux de bois dans le caberlot pour faire des meubles aussi instables.

Dans le magasin, en bas, la gosse s’attarde au rayon bonbons. Elle achète des couenneries de Cambrai à Bijou. Son compagnon a disparu, escorté du délicat Béru.

— Tiens ! m’exclamé-je à la cantonade, quelle surprise !

La gosse décrit un arc de cercle et devient pâlichonne. Son minois se renfrogne. Elle paie, prend son petit paquet et sort. Je l’accompagne. Lorsque nous sommes sur les Champs, elle laisse éclater sa rancœur.

— Merci pour hier ! fait-elle. Votre imbécillité a failli me faire rompre avec Bijou.

— C’est ce qui s’appelle avoir des ennuis avec l’arrivée des sens, plaisanté-je.

Ça ne l’amuse pas.

— Heureusement qu’il m’a frappée, dit-elle, sinon je crois bien que tout aurait été fini.

— C’est le remords qui l’a retenu ?

— Il faut croire.

J’essaie de lui cramponner une aile, mais miss Chochotte se dégage comme si j’étais branché sur le 220.

— Laissez-moi, dit-elle, j’ai compris. Avec des loustics de votre espèce, on n’a que des ennuis.

— Espèce vous-même, mon lapin ! je rétorque, pincé comme la cuisse d’une serveuse de bistrot. D’abord quand on prend un riche protecteur, on se le choisit crédule. Pourquoi n’a-t-il pas cru à ma version du parachutiste ? Il aurait préféré un miracle ?

Elle sourit enfin.

— Pour que Bijou croie aux miracles, il aurait fallu que la source de Bernadette à Lourdes soit une source de pétrole !

Mais ce bavardage ne fait pas mes oignons, comme disait un pédéraste hollandais. Je décide de la chambrer bille en tronche.

— Ça fait un moment que je vous ai repérée, à la Marquise, vous étiez avec un autre zouave…

Son regard se coagule.

— Vous me surveillez, maintenant ?

— Qui c’était, ce brave homme ?

— Mais de quel droit… ?

— Son nom ?

— Ça alors, c’est un peu bleu !

— Ça risque de devenir rouge, assuré-je en lui montrant ma carte. Allons, ma gosse, faut y mettre du tien, sinon ça va tellement mal aller pour ta pomme que d’ici pas longtemps tu envieras le type qui est dégringolé l’autre jour dans un bac d’acide.

Elle est stoppée en plein Champs-Élysées, plus blême qu’une fabrique de fromage blanc.

— Vous êtes de la police ?

— Avec ça que tu ne t’en doutais pas !

— Mais pas le moins du monde, je ne comprends rien… Qu’est-ce que… ?

— Je vais t’expliquer en long, en large et en hauteur.

Un taxi vient de délester de l’Américain devant le Claridge. Je fais signe au chauffeur et je pousse Marion à l’intérieur. Elle ne réalise qu’une fois qu’elle s’est abattue sur la banquette.

— Mais où m’emmenez-vous ? De quel droit ?

— Ta bouche, miss Esso !

Je lance au pilote de ligne :

— Le Bourreman Office, et au galop, cocher.

Il acquiesce et déhote.

En cours de chemin, nous n’échangeons pas une syllabe. Marion paraît vraiment commotionnée. Lorsque nous débarquons, il y a un vrai moment de panique à la Grande Cabane. Ma résurrection court-circuite mes honorables collègues qui se bousculent à qui mieux mieux pour venir s’assurer du miracle. Si vous matiez votre gars San-A. ! Très digne, très quotidien, avec un petit sourire gentil à tout un chacun… Quand un inspecteur va pour pousser un mugissement de stupeur, je lui virgule un clin d’œil. La nouvelle se répand comme l’adresse d’une catin dans un collège. J’entends des cris, des exclamations incrédules. On chuchote. Bref, c’est le grand bidule.

Imperturbable, le délicieux San-Antonio, l’homme qui vaut son pesant de cantharide, drive la gosse jusqu’à son ex-bureau.

— Entre, beauté !

Elle obéit, mais le cœur n’y est pas. Je la devine très déprimée, très tendue.

— Assieds-toi.

À ce moment-là on toque à ma lourde. C’est une délégation de flics. Les aminches n’y tiennent plus et veulent palper le bonhomme pour s’assurer qu’il est vraiment vivant.

— Mais, mais, bégaie le rouquin Mathias, qu’est-ce que ça veut dire, m’sieur le… ?

— Simple San-Antoniaiserie de ma part, je dis. Excusez-moi, mes chéris, mais j’ai un boulot terrible. Chaque fois qu’on ressuscite, c’est pareil : la besogne s’est accumulée pendant votre décès et il faut mettre le grand développement.