— Hartford Street. En faisant fissa, on arrivera peut-être à temps pour coiffer la bande !
Qu’ai-je la joie d’apercevoir dans le hall de l’hôtel où est descendue la délégation française ? La mochetée qui nous a reçus et assommés naguère dans la maison d’Armstronguejohns.
Elle ligote un magazine dans le hall. Je la désigne à l’Énorme.
— Occupe-toi de madame, Bonhomme. Moi, je vais à l’établi.
— Mister Maurin ? m’enquiers-je auprès du portier.
— C’est la chambre 204, au second.
Je me farcis l’ascenseur. Toc-toc.
Je frappe d’un index léger de larbin stylé. Maurin s’y laisse prendre.
— Go in ! qu’il dit.
J’entre. Bijou est là, face à un grand jeune homme que je reconnais pour être celui de la photo. En me voyant, Bernard pousse un cri de trident.
— Deuxième résurrection de l’increvable ! fais-je.
Mais je cesse de rigoler en voyant surgir des pétards dans les mains de ces messieurs. Moi, bonne pomme, j’arrive les pognes vides, comme un Écossais convié à un pique-nique, avec pour toute arme un poste à transistors.
Dans un laps de temps extrêmement bref, je me dis que ces zouaves ne feront usage de leur pétoire qu’à la dernière extrémité, car cela donnerait l’alerte. Conclusion, je peux risquer le paquet, leur hésitation à défourailler constitue mon unique chance.
Je balance le poste dans la bouille de Maurin, puis je m’élance bille en tête dans l’estomac de Bijou. Il culbute dans la piaule, les quatre fers en l’air. Sur la moquette, son sonotone tombé de ses portugaises grésille comme un hanneton en train de crever.
J’aimerais bien ramasser son feu, lequel gît à deux pas de moi, mais la voix de Maurin s’élève :
— Un geste et vous êtes mort !
Ce geste, je le fais pourtant. Préparez des médailles, les gars, elles sont bien méritées.
— Tu peux entrer ! lancé-je en direction de la lourde.
C’est imparable : Maurin regarde vers l’entrée. Quand il tire, c’est trop tard : il a déjà pris mon paquet de phalanges à la pointe du menton et il tombe à genoux. Je le finis d’un coup de tatane dans la tempe, puis je m’occupe de Bijou. Une manchette japonaise, une clé anglaise (vu que nous sommes à Londres) et un caramel du pont d’Isigny et monsieur oublie le prénom de Napoléon Ier. Pendant ce Trafalgar miniature, la radio n’a pas cessé de marcher dans la chambre.
— Et maintenant, dit le speaker, c’est au tour du délégué allemand de prendre la parole. M. Azboher s’avance…
J’ai le cœur qui en met une sacrée secouée. Les collègues du Yard pourront-ils intervenir à temps ?
J’ai ramassé les feux de ces messieurs et je les tiens en respect tout en écoutant. Ils ont repris conscience, et eux aussi tendent l’oreille au commentaire. Jamais je n’ai vécu une situation plus extravagante. Nous sommes là, tous les trois, attentifs comme des copains qui suivraient le suspense d’un jeu radiophonique. D’une seconde à l’autre, une formidable détonation peut retentir et…
Ça se met à pétarader sec tout à coup. Le speaker se tait.
Maurin et Bijou exultent.
— Nous sommes foutus, mais nous avons rempli notre mission, commissaire, annonce fièrement Bernard.
Je lui boufferais la rate, sans sel.
Un instant de silence terrible succède à ces explosions, puis une rumeur retentit dans le poste et la voix haletante (bien que britannique) du radioreporter s’élève à nouveau :
— Mes chers auditeurs, un étrange incident vient de se produire. Des coups de feu tirés à l’extérieur ont interrompu la conférence. Renseignements pris, il s’agit d’une intervention du Yard destinée à prévenir un attentat. Les policiers ont tiré pour stopper les débats et…
Un qui se marre copieusement, c’est le fabuleux San-A., mes jolies.
Il se serait farci un tonneau de poudre hilarante que ça ne serait pas mieux.
— Alors, mes cloches, dis-je aux pieds-plats, vous trouvez qu’elle est si remplie que ça, votre mission ?
CHAPITRE XVI
Le Vieux a condescendu à descendre jusqu’à mon bureau : honneur insigne ! Je m’étais toujours gaffé que c’était un condescendant.
Il me pétrit les mains avec une chaleur plus intense que celle qui se dégage d’une lampe à souder.
— Bravo ! mon cher San-Antonio. Vous venez de détruire le réseau d’espionnage européen qui donnait tant de mal aux Occidentaux. Quel coup de filet magistral ! Et cette abominable catastrophe évitée de justesse…
Il me tend une feuille de papier.
— Regardez.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Le compte rendu que tapait la secrétaire française. Lorsqu’elle s’est interrompue, elle avait déjà écrit les deux premières lettres d’Azboher. In extremis, le salut, n’est-ce pas ?
— Ces deux lettres résument l’affaire, dis-je. De A à Z, il n’y a pas loin sur le clavier d’une machine à écrire puisqu’elles le commencent… Et il n’y avait pas loin entre l’énoncé du problème et sa solution. J’étais le pivot de tout ce drame. On s’était servi de moi pour rentrer la machine truquée en France, et on s’est servi de moi pour essayer de faire chanter le chef français de ce réseau, Isidore Bernard…
— Quand je vous disais que vous déteniez le secret de l’affaire sans le savoir…
Je cramponne mon encensoir à gros rayon d’action et je virgule du baume sur l’orgueil du Tondu.
— Vous êtes infaillible, patron. Une fois de plus, la preuve nous en est faite !
Il rosit, le Déplumé, et se caresse la calotte glaciaire du plat de la main.
— Vous avez obtenu les aveux de ces messieurs ?
— Concernant les meurtres, oui. Bernard admet bel et bien avoir payé les offices de Casati pour me tuer, pour tuer ma mère ainsi que Carlier. Quant à Maurin, il avoue avoir étranglé sa douce amie Virginie dont il avait surpris l’infâme trahison. Mais ce qu’ils se refusent à révéler, l’un comme l’autre, c’est le nom de leur autre complice.
Le Vieux sursaute.
— Comment, ce n’est pas Bernard ?
— Je suis persuadé que non. Il nous reste encore à découvrir la personne qui l’a prévenu que je n’étais pas mort.
— Comment cela, mon cher San-Antonio ?
Son cher San-Antonio s’explique :
— Lorsqu’ils ont abattu ma pauvre cousine, ils me croyaient mort. Pourtant, moins de deux heures plus tard, ils ordonnaient à Casati de tuer Carlier et de cacher sa carcasse dans ma tombe qu’ils savaient vide. Conclusion : quelqu’un leur a dit que je vivais. Quelqu’un en qui ils avaient toute confiance.
À cet instant, Béru fait une entrée magistrale, poussant devant son usine à tripes la ravissante Marion et son honorable papa.
— Alors, fait icelui, vous avez bien fonctionné, m’sieur le commissaire ?
— Admirablement.
Je me tourne vers la gosse.
— Ton Bijou est dans un écrin en pierre maintenant, chérie.
— Comment cela ? s’étonne-t-elle.
— Et il a parlé.
Elle ne sourcille pas.
— Je ne comprends pas.
— Tu le croyais coriace, mais quand on branche son sonotone sur la force, y a pas plus bavard. Il m’a avoué que tu lui avais téléphoné du Makao l’après-midi où nous nous y sommes rencontrés. C’était ça, le coup de fil à cette amie que tu décommandais ?
Elle devient toute pâle, ses lèvres se crispent et ses yeux se dérobent. Quand on voit cette merveille, on regrette que ça ne soit pas son corps… qui se dérobe !
— Qu’est-ce que c’est que ces giries ? s’inquiète Pierrot-Gourmand.
Je me fends le pébroque.