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De tout, vraiment.

10

Luc s’est assis devant son studio. En plus de l’appartement, il jouit d’une petite terrasse privative agrémentée d’une table et de deux fauteuils en rotin. Il n’aurait pu rêver mieux.

Tout en admirant les étoiles, il dresse le bilan de sa première journée dans le monde des Reynier. Il a mis les pieds dans une famille comme il en existe beaucoup. Une famille qui ressemble à un panier de crabes. Où les gens ne savent pas partager, s’aimer.

Ici, l’argent, le luxe et les convenances ne sont qu’un tapis sous lequel s’accumule la pourriture.

Ici, tout le monde souffre sous le joug d’un seul homme.

Le grand professeur Reynier.

Justement, le portail s’ouvre et la Porsche s’avance jusque devant le garage. Armand récupère sa veste sur la banquette arrière et verrouille les portières. Luc espère qu’il va rentrer directement chez lui, mais il redescend jusqu’au studio.

— Bonsoir.

— Bonsoir, monsieur Reynier.

— Rien à signaler pendant mon absence ?

— Rien, non. Maud semble aller un peu mieux, elle a voulu faire un petit tour dans le jardin. Je l’ai accompagnée, bien sûr.

Reynier s’assoit en face de son interlocuteur.

— Je lui avais pourtant dit de rester couchée !

— Je crois qu’elle avait besoin de prendre l’air.

— Et moi, je crois plutôt qu’elle a besoin de repos.

Luc avale une gorgée de jus de raisin, sous l’œil inquisiteur de son nouveau patron.

— Vous buvez quoi ?

— Ce n’est pas de l’alcool, seulement un jus de fruits. Ne vous inquiétez pas.

— Hmm… J’ai signé votre contrat, mais je l’ai oublié à la clinique.

— Vous me le rapporterez demain. Rien ne presse.

— Comment allez-vous procéder ?

— C’est-à-dire ?

— Eh bien, pour nous protéger de ce fou, chuchote Reynier.

— Amanda n’est pas rentrée, précise Luc. Vous pouvez parler à voix haute…

— Alors, comment allez-vous faire ?

— Vous savez, un garde du corps est essentiellement là pour accompagner son client lorsqu’il est exposé. Autrement dit, j’accompagnerai Maud partout où elle se rendra. Pour le reste, je vérifierai chaque soir que les portes sont bien verrouillées, je ferai une ronde avant de me coucher.

— Et s’il vient chez nous en pleine nuit ?

— J’ai le sommeil léger. Mais je ne peux que vous conseiller d’enclencher l’alarme avant d’aller dormir… Et si elle se déclenche, je suis là dans la minute qui suit.

— Je le ferai. Bon, je dois maintenant aller annoncer à Maud que Charly est mort.

— Désolé de l’apprendre, prétend Luc.

— Ça va lui faire un choc.

— Elle l’aimait beaucoup ?

— Oui, beaucoup. Maud est très sensible, vous savez… Bon, je vous laisse.

— Bonne nuit, monsieur.

— Bonne nuit, Luc.

Le jeune homme regarde le professeur s’éloigner de son pas décidé.

— Bon courage, monsieur le professeur, murmure-t-il.

* * *

Il a été obligé de lui donner un somnifère. Heureusement, elle a accepté de l’avaler sans rechigner.

Le sommeil sera un refuge.

Il supporte difficilement de la voir pleurer. Ses larmes sont comme son sang. Lorsqu’elles coulent, il saigne.

Cela fait dix minutes qu’elle a sombré. Et qu’il la couve des yeux.

Le regard d’un homme qui aime passionnément une femme.

Il hésite un instant mais ne résiste pas à la tentation ; il fait descendre légèrement le drap. Admire ses épaules, ses hanches. Il caresse sa joue, effleure sa bouche, le haut de son bras.

— Tu viens ?

Armand sursaute et remonte le drap sur le corps de sa fille. Puis il se retourne vers la porte.

— J’arrive, répond-il. Va te coucher, j’arrive.

Charlotte reste encore quelques instants sur le seuil de la chambre, les bras croisés. Alors, contraint et forcé, Armand abandonne sa fille pour rejoindre son épouse. Il ferme la porte et suit Charlotte jusque dans la chambre. Elle se glisse sous les draps, il s’isole dans la salle de bains. Dans le miroir, il s’observe de longues minutes. Avec un doigt, il suit le tracé de ses rides. Même s’il paraît plus jeune que son âge, les outrages du temps ne l’ont pas épargné.

— Je semble si vieux à côté de toi, murmure-t-il.

Il prend une douche rapide et rejoint enfin Charlotte.

— Comment elle l’a pris ?

— À ton avis ? rétorque-t-il sèchement.

— Ça lui passera.

— C’est tout ce que ça t’inspire ?

Charlotte hésite face à la mine révoltée de son mari.

Ne jamais toucher à sa petite chérie, elle devrait le savoir.

— Je suis désolée. J’irai lui acheter un beau cadeau, demain… Pour lui remonter le moral. Que penserais-tu d’un joli collier ? Cette brute lui a cassé celui que tu lui avais offert pour Noël…

Armand hausse les épaules.

— Pourquoi pas.

— Je l’aime tellement, cette petite, ajoute-t-elle. C’est comme ma fille, tu sais…

Impossible de savoir si elle est sincère ou si elle simule. Le chirurgien ne répond rien. Il se contente d’éteindre la lumière. Mais quelques secondes plus tard, il vient se coller à sa femme. Elle sent sa main autoritaire se poser sur son épaule et descendre le long de son bras. Elle ferme les yeux et murmure :

— Tu veux que je rallume la lumière ?

— Oui.

L’homme monte l’escalier d’un pas silencieux mais assuré. Arrivé en haut, sans aucune hésitation, il tourne à gauche.

Un tapis recouvre le couloir en son centre. Idéal pour passer inaperçu.

Il délaisse une première porte et s’arrête devant la seconde.

Celle de la chambre de Maud.

D’un geste précautionneux, il abaisse la poignée…

… Maud ouvre les yeux.

Quelque chose vient de la réveiller. Un bruit étrange.

Sa main voudrait attraper l’interrupteur. Mais son corps est paralysé.

Seul son cœur fonctionne encore.

À plein régime.

On dirait même qu’il bat dans son ventre et dans sa tête.

La faible clarté du dehors lui suffit pour distinguer une masse sombre au pied de son lit. Juste en face d’elle.

— Je suis revenu, ma poupée !

Soudain, une main gigantesque s’abat sur son visage…

D’une main, Armand serre les poignets de sa femme. Il lui tient toujours les poignets pendant qu’ils font l’amour.

Si on peut appeler ça faire l’amour.

De l’autre main, il a attrapé ses cheveux.

Il s’est positionné derrière elle, y met toutes ses forces.

À quatre pattes sur le matelas, la tête enfoncée dans l’oreiller, Charlotte pousse des gémissements étouffés.

Lui, des râles qui ont quelque chose de bestial…

… Maud suffoque.

Elle se débat.

L’homme serre ses mains autour de son cou. Il l’empêche de respirer, la regardant mourir lentement…

— Continue ! gémit Charlotte.

Pas besoin de lui faire croire qu’elle en veut encore. Armand n’avait pas l’intention de s’arrêter. Juste de changer de position.

Maintenant, sa femme est sur le dos. Lui est entre ses jambes.

Il recommence, avec toujours la même brutalité.

Il fixe sa femme.

Elle a le visage de Maud.