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Luc conduit en respectant scrupuleusement les limitations de vitesse. De temps en temps, il jette un œil à sa passagère, curieusement silencieuse.

Le lieutenant Lacroix a été surpris de le voir, mais le jeune homme est resté discret sur la raison de sa présence, préférant garder secret le contrat qu’il a passé avec Armand Reynier.

Ils ont ensuite fait un détour par la salle de sport où Luc a embarqué le matériel que l’entraîneur a bien voulu lui prêter. Il a fallu rabattre les sièges arrière de l’Audi pour pouvoir caser le mannequin de bois et le sac de frappe, mais ils ont réussi.

— On rentre ? demande Luc.

— Non, pas tout de suite…

— Tu veux aller où ?

— Là-bas, dit-elle.

Luc sourit en tournant la tête vers elle.

— Là-bas  ? Il va me falloir un peu plus de détails pour entrer l’adresse dans le GPS !

— Là où ça s’est passé.

Embarrassé, Luc ne sourit plus.

— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée…

— J’en ai besoin.

— Tu es sûre de toi ?

— Certaine. Et ne t’en fais pas, mon père n’en saura rien.

— Comme tu voudras.

Luc jette un œil dans le rétroviseur. Deux voitures derrière eux, dont une vieille Mercedes blanche qui les suit depuis qu’ils ont quitté le commissariat. Il ne dit rien à Maud et met un peu de musique pour détendre l’atmosphère. Dans l’autoradio, un album de rap.

— Ta belle-mère écoute ça ?

— Ma belle-mère inventerait n’importe quoi pour faire croire qu’elle est jeune.

— Remarque, elle n’est pas vieille !

— Tu es tombé sous son charme, toi aussi ? balance Maud d’un air mauvais. C’est ça ?

— Eh, du calme !

— Pardon… De toute façon, je sais bien qu’elle plaît aux mecs. Qu’elle est plus jolie que moi…

Luc la regarde encore, d’un air consterné.

— Elle n’est pas plus jolie que toi.

— Tu dis ça pour me faire plaisir.

— Même pas.

Enfin, Maud consent un sourire. Luc regarde à nouveau dans son rétroviseur. La Mercedes blanche est encore là. Elle a juste changé de file.

— Qu’est-ce que tu regardes ? demande soudain Maud. On est suivis, c’est ça ?

— Peut-être… J’ai repéré une voiture, mais à mon avis, ce n’est rien. Ne t’en fais pas.

— Je ne m’en fais pas. Avec toi, il ne peut rien m’arriver.

Ils n’échangent plus un seul mot et continuent à rouler en direction des bords de la Siagne.

En direction des lieux du crime.

Et de leur rencontre.

* * *

Il doit aller déjeuner avec un confrère, mais il a une petite heure devant lui. Alors Armand s’isole dans son grand bureau et compose le numéro de Maud.

— Bonjour, ma chérie, c’est moi.

— Salut, papa.

— Je voulais voir comment tu allais, dit-il avec un sourire tendre.

— Bof… J’ai les boules pour Charly.

— Je sais, ma puce. Je sais…

Soudain, Armand fronce les sourcils.

— Tu es dehors ? demande-t-il. J’entends du bruit, comme du vent…

— Oui.

— Dans le jardin ?

— Non, à Nice. Mais Luc est avec moi.

Les lèvres d’Armand se pincent.

— Qu’est-ce que tu fais à Nice, ma chérie ?

Elle lui explique sa visite au commissariat tandis qu’il avale son café.

— Ce flic aurait pu attendre avant de te convoquer, conclut le chirurgien. Tu es encore trop faible.

— Ça va, assure Maud. Arrête de t’inquiéter comme ça…

— Si je ne m’inquiète pas pour toi, qui le fera ? sourit son père.

— Bon, faut que je te laisse, Luc m’attend.

— Il peut attendre. Il est payé pour ça !

— À ce soir !

Il n’a pas le temps d’ajouter un mot, elle a déjà raccroché. Reynier repose brutalement son portable sur le bureau.

C’était un 19 septembre, rappelle-toi…

* * *

La Mercedes blanche ne les a pas suivis jusqu’ici, bifurquant cinq minutes avant leur arrivée sur les lieux.

Fausse alerte.

Maud en a été soulagée, même si elle prétend ne pas avoir eu peur.

Elle a voulu emprunter le même trajet que le jour du drame mais s’est arrêtée avant le raccourci menant à la bâtisse en ruine.

Au-dessus de ses forces, sans doute.

Alors, ils se sont assis sur un banc, en face de la rivière. Luc attend qu’elle libère son cœur, qu’elle se mette à parler. Silencieux, fidèle et patient, il fume une cigarette.

— Tu as une petite amie ? demande-t-elle enfin.

La question qu’il attendait. Pourtant, il hésite quelques secondes avant d’y répondre.

— Oui, dit-il finalement. Elle s’appelle Marianne.

Elle a caché ses yeux derrière des lunettes de soleil, mais il devine qu’ils souffrent.

— C’est bien, dit-elle pour masquer sa déception.

— Et toi ? Tu as quelqu’un dans ta vie ?

D’un signe de tête, elle résume sa solitude.

— Elle vit à Nice ?

Sa voix a changé de partition. Plus aucune note d’espoir.

— Non, répond le jeune homme.

— Tu ne vas pas la voir souvent, ces prochains jours… Elle ne te manque pas trop ?

— Si, mais c’est comme ça.

— Tu es obligé de rester avec moi au lieu d’être près d’elle…

Vengeance bien dérisoire.

— On ne m’y a pas forcé, rappelle Luc.

— Mon père te paye bien, au moins ?

Elle a un sourire à la fois triste et cruel.

— Très correctement.

La jeune femme tourne la tête de l’autre côté.

— Maud… dis-moi ce qu’il y a.

Elle ne parvient toujours pas à le regarder. Il voit sa main gauche, encore marquée par un hématome, serrer l’anse de son sac.

— Je crois que…

— Que quoi ? l’encourage doucement Luc.

— Rien. Rien d’intéressant. Laisse tomber !

Elle se réfugie dans le silence, Luc piétine son mégot sur le sol meuble.

— Tu veux qu’on y aille ? espère-t-il.

— Non, pas encore.

Il peut attendre, il est payé pour ça…

— Tu penses à quoi ? lui demande Luc. Ou à qui…

— À ma mère.

— Je comprends…

— Ça m’étonnerait.

Le visage de Luc se crispe légèrement. À son tour, il regarde ailleurs. Maud arrache une herbe haute, juste à côté du banc. Avec de la rage plein les mains, elle la réduit en confettis.

— C’est ma faute si elle est morte.

Luc décide de ne pas l’interrompre. Mais il la regarde à nouveau, pour lui montrer qu’il l’écoute.

« C’est papa qui m’a raconté, parce que moi, je ne m’en souviens pas. Seulement quelques images, un peu floues… Rien de plus. J’avais même pas quatre ans. C’était un accident, comme il en arrive peut-être souvent. Il faisait nuit, c’était l’hiver. Juste avant le repas du soir… Papa était rentré et je me souviens qu’il criait. Maman et lui se disputaient. Papa m’assure que non, pourtant, dans mon souvenir, ils n’arrêtaient pas de se hurler dessus. Mais que valent les souvenirs quand on a trois ans ?

Je suis sortie de la maison pour aller dans le jardin. Sans doute pour ne plus les entendre s’engueuler… Quand mes parents se sont aperçus que je n’étais plus là, ils se sont mis à ma recherche. Papa m’a dit qu’à l’époque, la maison était en travaux, que le jardin n’était pas encore clôturé. Et qu’ils avaient peur que je sois partie sur la route. Que je me fasse écraser par une voiture, tu vois…