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Reynier considère l’inconnu un instant, de la tête aux pieds.

— Vous êtes qui ?

— Luc Garnier. C’est moi qui ai conduit votre fille aux urgences.

Les parents poussent la porte de la chambre, s’approchent du lit.

— Maud, tu m’entends ? Maud ?

— Les toubibs lui ont filé des calmants, explique Luc qui se tient sur le seuil. Ils disent qu’il faut la laisser se reposer.

Le père relève la tête vers le jeune homme.

— Je suis médecin…

Il caresse longuement le front de sa fille, ses cheveux. Prend sa main entre les siennes.

— Maud, ma chérie… Qu’est-ce qu’on t’a fait ?

— Viens, laissons-la dormir, ordonne doucement la mère.

Les parents quittent la pièce, referment la porte. Le père se plante en face de Luc. Ils ont à peu près la même taille, grands tous les deux. Leurs regards se percutent puis s’enlisent dans un combat silencieux.

— Vous connaissez ma fille ?

— Non.

— Comment ça, non  ?

Luc soupire.

— Vu que vous recommencez à gueuler, mieux vaut aller discuter dehors. Maud a besoin de se reposer.

Reynier reste un instant sans voix, puis lui emboîte le pas.

— Je vous préviens, vous allez m’expliquer !

Ils se retrouvent dehors, Luc allume une nouvelle cigarette. Avec des gestes lents.

— Alors ?

— Alors, je faisais mon jogging sur les bords de la Siagne quand j’ai entendu des cris… Et j’ai trouvé Maud en train de se faire agresser par un type. Je me suis battu avec lui, il s’est enfui. J’ai fait monter Maud dans sa voiture et je l’ai conduite ici… D’autres questions ?

Le professeur est désarçonné par le ton de son interlocuteur.

— C’était qui, ce type ?

— Comment voulez-vous que je le sache ? Il m’a pas filé sa carte… il s’est juste barré en courant. Mais j’ai donné sa description au flic qui est venu tout à l’heure. Ceci dit, il faisait quasiment nuit, alors…

— Qu’est-ce qu’il lui voulait ? demande la mère.

— Il était en train de l’agresser, je vous dis… Il voulait la violer, quoi.

Les yeux de Charlotte Reynier s’arrondissent de frayeur. La bouche de son mari se crispe dans un rictus douloureux.

— Mais il n’en a pas eu le temps, précise Luc.

— Merci, dit Charlotte.

— Je n’ai fait que mon devoir, madame. N’importe qui à ma place aurait fait la même chose…

— Pas forcément, intervient Reynier.

Il lui tend la main, Luc consent à la serrer.

— Merci, jeune homme. Merci beaucoup.

— De rien.

Le professeur extirpe une carte de visite de son portefeuille.

— Voici mes coordonnées. Appelez-moi dès demain. J’aimerais qu’on parle, tous les deux.

— OK.

— Je compte sur votre appel, insiste le chirurgien.

— Hmm… Je vous appellerai pour avoir des nouvelles de Maud. Je dois aller bosser, maintenant.

— Vous travaillez la nuit ? s’étonne Charlotte Reynier.

— Oui, madame.

— Et vous faites quoi, si c’est pas indiscret ? demande le père.

— Prenez soin de Maud, conclut le jeune homme en s’éloignant.

3

— T’as vu l’heure ?

Luc garde la main sur la poignée de la porte et sourit.

— J’ai pas de montre, Stan… J’attends que tu m’en offres une, en fait.

— Il est presque minuit, putain !

Stanislas marmonne encore quelques reproches incompréhensibles et se détourne de ses écrans de contrôle.

— C’est quoi, ton excuse, ce soir ?

— Une jeune donzelle en détresse ! répond Luc avec un clin d’œil.

— Ben voyons… Va te changer, au lieu de dire des conneries.

— À vos ordres, chef !

Luc lâche la porte, qui se referme automatiquement. Il presse le pas jusqu’au vestiaire et ôte ses vêtements. Il se faufile sous la douche, y passe cinq bonnes minutes avant de se sécher. Puis il enfile son uniforme, lace ses rangers et repasse par l’interminable couloir qui mène au bureau des gardiens.

Après avoir tapé le code qui déverrouille la porte, il retrouve Stanislas vissé derrière ses écrans.

— T’as bouffé, au moins ? s’inquiète le vieux gardien.

— Même pas !

— Tiens…

Son collègue lui tend une assiette avec un morceau de pizza aux anchois.

— Merci, mon pote.

— Bon, maintenant que t’es enfin arrivé, je vais pisser. J’en peux plus…

— C’est l’âge, répond Luc. La prostate.

— P’tit con, crache Stanislas. Qu’est-ce que t’as sur le front ?

— Je me suis battu… Tu sais, c’est vrai : j’ai vraiment secouru une demoiselle en détresse.

— Arrête ton char !

— Un sale type lui est tombé dessus pendant qu’elle se promenait sur les berges.

Stanislas fronce les sourcils.

— Il voulait lui piquer son sac ?

— Plutôt sa virginité.

— Sans déconner ?

— Non, je déconne. À mon avis, y a un moment qu’elle l’a perdue… Mais ce soir, je lui ai évité le pire, je crois. Et ensuite, je l’ai emmenée aux urgences à Saint-Roch. Il l’avait bien amochée, ce taré.

— Ben dis donc, sacrée soirée…

Luc hoche la tête.

— Tu veux que je fasse une ronde ?

— Non, répond Stanislas en prenant sa lampe torche. Je vais le faire. Ça fera du bien à mes vieux os !

Le gardien disparaît, Luc termine son repas. Puis il prend son sac à dos, y récupère un livre. Les nuits sont longues, mieux vaut savoir s’occuper. Quand Stanislas reviendra de sa ronde, il s’assoupira. Ira même jusqu’à ronfler. Et pendant ce temps, Luc avalera des pages et des pages…

Il regarde son collègue déambuler d’écran en écran, de salle en salle. Et il pense à elle, sur son lit d’hôpital.

En train de dormir, il l’espère.

De cauchemarder, il en est sûr.

La vie est cruelle, même pour les petites filles riches.

Stanislas revient et se laisse tomber dans son fauteuil.

— J’ai fait du café, dit Luc.

— Merci, mais j’en ai déjà bu deux en t’attendant.

— T’avais peur de roupiller, c’est ça ?

— Ta gueule, Luc. Tu me fatigues… Qu’est-ce que tu lis ?

— Le même bouquin qu’hier soir. Au fait, Sylvain veut que je le remplace demain.

— Qu’est-ce qu’il a encore, celui-là ?

— Un rancard, j’imagine. Alors, tu vas devoir me supporter demain aussi ! Trois soirs de suite, je sais que c’est dur, mais…

Stanislas lève les yeux au ciel. Pour masquer que la nouvelle lui fait plaisir.

— Elle était mignonne ? demande-t-il soudain.

— Qui ça ?

— La fille que t’as aidée…

Luc pose son roman.

— Un ange.

— Ben pour une fois, t’as fait ton vrai boulot, c’est bien !

— Pas faux, admet Luc.

— Peut-être qu’elle va t’embaucher ! Elle a du fric ?

— Son père a l’air d’en avoir. Le professeur Armand Reynier, ajoute Luc avec emphase.

— Reynier, le chirurgien ?

— Tu connais ?

— Tout le monde le connaît, indique Stanislas. Il a une clinique sur les hauteurs de Nice. Il donne des cours à la fac et il est adjoint au maire. Une figure locale !