— Ah…
— Plus sérieusement, il serait temps que tu te trouves un autre job, ajoute le gardien. Un boulot qui soit vraiment dans tes cordes.
— T’as envie de te débarrasser de moi, on dirait !
— Non, mais je sens bien que tu t’emmerdes ici, soupire Stanislas.
Luc hausse les épaules.
— Ça va, je t’assure.
— T’es allé voir une agence, au moins ?
— J’y pense, sourit Luc. Mais je ne suis pas pressé. Finalement, ce boulot est plutôt peinard… Et quand je te vois, je me dis que c’est un travail qui conserve !
Stanislas secoue la tête d’un air désolé et fait basculer son fauteuil en arrière. Il ferme les yeux tandis que Luc l’observe avec une sorte de tendresse.
Puis son regard scrute chaque écran de surveillance où tout est figé. Rien à signaler.
Ils sont quatre à se relayer toutes les nuits. Luc a signé un contrat de six mois, le temps que durera l’exposition de bijoux anciens, d’une inestimable valeur.
Il se replonge dans la lecture de son roman, Stanislas s’endort.
La nuit ne fait que commencer.
À l’autre bout de la ville, sur un lit d’hôpital, une jeune femme a les yeux grands ouverts. Elle entend des voix dans le couloir, des bruits de pas. Sa main gauche, bandée, serre les draps.
Et s’il revenait ?
Ses cauchemars l’ont réveillée. Plus forts que les tranquillisants.
Plus forts que tout.
Morte de peur, elle pense à Luc. Elle voudrait qu’il soit là…
Soudain, son père entre dans la chambre et s’approche doucement du lit.
Alors, Maud lui tend la main.
4
Le lieutenant Lacroix se demande s’il aimerait avoir à son service une domestique qui sert le café dans des tasses dorées à l’or fin.
Les époux Reynier, eux, semblent aimer ça. Pire encore, ils semblent trouver ça normal.
Le père, la soixantaine, en paraît dix de moins. Belle gueule, belle silhouette, belle montre, belles fringues.
La mère a environ quarante ans, des bijoux hors de prix, un maquillage discret, une manucure parfaite. Un ancien mannequin ou quelque chose dans le genre.
Et Lacroix, avec sa chemise bon marché, ses bourrelets et sa montre en toc, a l’impression d’être un paysan sur son Massey Ferguson en train de traverser une cristallerie d’art où chaque vase vaut quinze mille euros.
Un embarras qu’il tente de dissimuler au mieux sous des manières qui ne sont pas les siennes.
— Comment avez-vous trouvé ma fille ? demande Charlotte.
— Pas très bien, à vrai dire. Mais c’est normal, ajoute aussitôt le flic. Après ce qu’elle a subi… Peut-être qu’elle aurait dû rester quelque temps en observation à…
— Je vous rappelle que je suis médecin, le coupe Armand Reynier.
— Oui, bien sûr, je comprends, se reprend Lacroix.
— Quand allez-vous retrouver le salopard qui a fait ça ? poursuit le père.
Lacroix boit une gorgée de café avant de répondre. Le regard clair et froid du chirurgien est plus tranchant que ses scalpels. De quoi le mettre plus à l’aise encore.
— Nous allons faire tout ce que nous pouvons pour le serrer… Enfin, l’arrêter je veux dire. Et c’est pour ça qu’il fallait que je revoie votre fille aujourd’hui. Parce que, hier soir, elle était trop choquée pour pouvoir me raconter l’agression en détail.
Il marque une pause, s’installe plus confortablement dans le Chesterfield.
— Et j’ai également des questions à vous poser, monsieur Reynier.
— Je vous écoute.
Le flic récupère son calepin et son stylo sur la table basse.
— Tout d’abord, j’aimerais en savoir plus sur votre fille.
— Précisez, je vous prie.
Lacroix en reste bouche bée quelques secondes.
— Eh bien… Parlez-moi d’elle, racontez-moi sa scolarité, ses études, dites-moi si elle a des hobbies, un petit copain… Ce genre de choses. J’ai besoin de connaître son passé et sa vie pour mon enquête.
— Je ne vois pas en quoi…
Cette fois, c’est Lacroix qui lui coupe la parole.
— L’agresseur lui a dit qu’il la surveillait depuis un moment. Alors, il fait peut-être partie de son entourage…
Armand Reynier réfléchit avant de répondre. De toute façon, inutile d’enjoliver la réalité, la police aura vite fait de découvrir la vérité.
De son côté, le flic s’attend au laïus sur la fille parfaite, brillante, intelligente et affectueuse. Mais c’est tout autre chose qu’il apprend.
Enfance dorée, adolescence difficile. Très difficile, même. Mauvaises fréquentations, fugues, substances dangereuses…
— Mais maintenant ça va, précise le père. Elle est sortie d’affaire. Enfin, jusqu’à hier, ça allait. Si je tenais le fumier qui lui a fait ça, je…
— Je vais tout faire pour le retrouver, jure encore Lacroix.
— Maud a repris ses études l’an dernier…
— Elle a redoublé sa terminale, précise Charlotte.
— Avant d’avoir son bac avec mention, poursuit Reynier. Je voulais qu’elle fasse médecine, mais elle a refusé. Elle s’est inscrite en lettres modernes à la fac de Sophia-Antipolis et son année s’est très bien passée.
Lacroix prend des notes puis relève la tête. Dans le fond de la pièce, la domestique est toujours là, au garde-à-vous, prête à reprendre du service au moindre claquement de doigts. C’est une Eurasienne d’une trentaine d’années, plutôt séduisante. Lacroix se demande si coucher avec le grand professeur ne fait pas partie de ses obligations professionnelles.
— Maud a un petit ami ?
— Non, répond Reynier.
— Vous en êtes sûr ?
— Oui. Ma fille ne me cache rien… Ni personne.
— Et au niveau de ses hobbies ?
— Pas grand-chose. La drogue l’avait coupée du monde. Elle a repris l’équitation…
— Elle a son propre cheval dans un centre équestre, pense devoir préciser Charlotte.
— Elle aime se balader seule, reprend le père. Je lui ai dit que c’était dangereux, mais elle ne m’a pas écouté… Elle lit beaucoup et je crois qu’elle écrit aussi.
— Je vois, sourit Lacroix. Une sportive et une intellectuelle, en somme ! Madame Reynier, vous voulez bien me noter le nom du centre équestre, s’il vous plaît ?
— Bien sûr, lieutenant.
— Vous avez d’autres questions ou vous comptez vous mettre en quête de son agresseur ? balance Reynier.
Lacroix encaisse avant de reprendre. Il descendrait volontiers de son Massey Ferguson pour foutre une raclée à ce toubib.
— Oui, j’ai d’autres questions.
Reynier soupire, histoire de montrer qu’il a autre chose à faire qu’endurer l’interrogatoire d’un flic de bas étage.
— Dites-moi, docteur, vous…
— Professeur.
Le lieutenant fait l’impossible pour garder son calme.
— Pardon… Dites-moi, professeur, vous connaissez-vous des ennemis ?
— Des ennemis ? répète le père. Pourquoi ?
— Maud m’a raconté que son agresseur avait parlé de vous. Ton salaud de père pourra même pas t’identifier, je cite.
Les maxillaires d’Armand se contractent douloureusement.
— Ça ne veut pas dire grand-chose, admet Lacroix. Mais il ne faut négliger aucune piste…
— Vous faites fausse route, tranche brutalement Reynier. Il a dit ça comme il aurait pu dire autre chose ! Uniquement pour la terroriser. Ce type est un malade mental qui s’attaque aux jeunes femmes, il n’a rien à voir avec moi !