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Une seule ligne.

Six mots.

Pour une condamnation à mort.

Armand ne pense même pas à frapper. Il pousse la porte et s’arrête sur le seuil. La chambre est plongée dans la pénombre et le professeur n’est plus très sûr de ce qu’il voit.

Plus sûr de rien.

Sur le grand lit, sa fille. Dans les bras de Luc.

Second choc, qui le secoue de la tête aux pieds, tel un séisme dont l’épicentre est son propre cœur.

Luc se dégage sans réveiller la jeune femme et se lève. D’instinct, il comprend que Reynier n’est pas dans son état normal.

— Venez, dit-il en l’entraînant dans le couloir.

Le professeur se laisse faire, sans réaction. Luc referme la porte derrière lui et entame sa plaidoirie.

— Ce n’est pas ce que vous pensez, dit-il à voix basse.

Hébété, le chirurgien le dévisage sans un mot.

— Maud était épuisée parce qu’elle n’a pas réussi à dormir, cette nuit. Et comme elle avait peur, elle est venue se réfugier dans ma chambre. Je lui ai filé un cachet et elle s’est endormie…

Luc attend une réaction, une explosion.

Des hurlements, des cris.

Des accusations.

Quelque chose.

— Je vous crois, répond simplement Armand.

Surpris, Luc ne sait plus quoi dire.

— Il faut que vous veniez avec moi, ajoute le professeur.

Le jeune homme fronce les sourcils.

— Qu’est-ce qui vous arrive ?

— Venez, répète Reynier. En bas…

Le chirurgien s’engage dans l’escalier d’un pas hésitant et Luc le suit. Ils traversent le salon et soudain, Reynier se met à tituber. Luc vole à son secours et Armand s’effondre littéralement dans ses bras. Dans un effort titanesque, le jeune homme parvient à le soutenir jusqu’au fauteuil le plus proche.

— Vous vous sentez mal ?

— Mon ordinateur, murmure le professeur en fermant les yeux.

— Quoi ?

— Le message…

Luc l’abandonne et pénètre dans le bureau.

Sur l’écran, un message ouvert.

Une seule ligne.

Six mots.

Pour une implacable sentence.

Dans trois jours, je te tue.

44

Assommée par le somnifère, Maud dort toujours. Elle étreint l’oreiller de Luc, respirant son parfum jusque dans l’intimité de ses rêves.

Un étage plus bas, Luc et Armand se sont enfermés dans le bureau. Assis dans son fauteuil en cuir, le professeur relit le message pour la centième fois. À force, les mots se mélangent, perdant presque leur sens.

Dans trois jours, je te tue.

— Dans trois jours, je serai mort, murmure-t-il soudain. Le jour des vingt et un ans de Maud…

Luc observe son visage étrangement creusé par la lumière de l’écran. Il vient de prendre dix ans, en seulement quelques minutes.

— Vous n’avez toujours pas l’intention d’appeler les flics ? interroge le jeune homme.

— J’ai le choix entre mourir ou finir en prison…

— La prison, c’est mieux que le cimetière, non ?

— Vous en êtes sûr ? rétorque le professeur. Vraiment sûr ?

Le silence retombe, lourd comme une menace.

— Il faut retrouver cet homme ! reprend le chirurgien.

— Je ne vois pas comment ! Nous avons déjà essayé…

— Il vous restait quelqu’un à joindre, non ?

— Oui, mais impossible de l’avoir pour l’instant. J’ai encore tenté de l’appeler hier… Vous savez, je suis quasiment sûr qu’Abramov a changé d’identité. Il devait préparer son coup depuis un moment et a fait le nécessaire pour qu’on ne puisse pas lui mettre la main dessus. Mais je vais faire mon maximum pour vous protéger. Vous et votre fille.

Reynier se sert un nouveau whisky.

— Vous en voulez ?

— Non, merci. Et si je peux me permettre, je crois que vous avez assez bu. Je ne suis pas suffisamment costaud pour vous porter jusqu’à votre chambre…

— Vous avez sans doute raison, admet Reynier en avalant une gorgée. Mais tous les condamnés ont droit à un dernier verre…

— Vous n’êtes pas encore mort, rappelle brutalement le jeune homme.

— Non, il me reste trois jours à vivre !

Soudain, Luc lui arrache le verre des mains.

— Écoutez, monsieur, il va falloir m’aider un peu ! Et ce n’est pas en vous saoulant la gueule que vous y parviendrez !

Reynier reste stupéfait un instant.

— Désolé, marmonne Luc.

Le jeune homme porte une main à son flanc gauche. Il vient de réveiller la douleur.

— Si vous aussi, vous perdez votre sang-froid, je crois qu’on est foutus…

Luc fait quelques pas dans le bureau et s’arrête devant la fenêtre.

— Je vais trouver une solution, affirme-t-il.

Trois coups frappés à la porte les extirpent de leur cauchemar. Amanda passe la tête dans l’embrasure.

— Navrée de vous déranger, dit-elle, mais le dîner est prêt.

— Je n’ai pas faim, soupire Armand. Laissez tout dans la cuisine et allez vous reposer.

— Mais…

— Bonne soirée, Amanda.

— Bonsoir, monsieur.

La gouvernante disparaît et Luc se rassoit en face du chirurgien.

— Vous avez couché avec ma fille ?

Luc esquisse un sourire.

— Apparemment, vous retrouvez vos esprits et… vos obsessions ! C’est bon signe.

— C’est quand même étrange que je la surprenne dans votre plumard, avouez-le !

— Je vous l’ai dit, elle avait peur.

— Ça, c’est ce qu’on appelle de la protection rapprochée ! balance Reynier d’un ton perfide.

— Si on avait couché ensemble, vous nous auriez trouvés à poil.

— Vous avez très bien pu vous rhabiller avant que j’arrive, objecte Armand.

— Combien de fois va-t-il falloir que je vous le dise ? Je n’ai pas envie de coucher avec Maud !

— Elle est jolie, pourtant.

— Très jolie même, concède Luc. Mais ça ne me suffit pas. Je ne suis pas du genre à sauter sur tout ce qui bouge.

— Vous préférez sauter sur la gouvernante ?

Luc continue de sourire, même si cette discussion commence à lui taper sur les nerfs. Un sourire de défiance.

— C’est exactement ça, monsieur !

— Comment est-elle ?

— Qui ?

— Allons, ne faites pas celui qui ne comprend pas ! prie Armand. Amanda, comment elle est ?

Le jeune homme allume une cigarette sous le nez du professeur.

— Qu’est-ce que ça peut vous foutre ?

— Simple curiosité.

— Mal placée, rétorque Luc en lui soufflant la fumée en pleine figure.

Reynier sourit à son tour.

— Décidément, je vous aime bien !

— Je crois que vous avez trop bu, professeur. Et que vous devriez aller vous reposer.

— Ne me dites pas ce que j’ai à faire.

— Comme vous voudrez, dit Luc en se levant. Je vais à la cuisine manger quelque chose.

Alors qu’il pose sa main sur la poignée de la porte, Armand l’interpelle.

— Luc ? Vous croyez que je mérite ce qui m’arrive ?

Les deux hommes se dévisagent un instant dans la pénombre.

— Je ne peux pas répondre à cette question. Vous seul le pouvez…

Reynier baisse la tête.

— Mais que vous le méritiez ou non, dans trois jours, je serai là.