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— Oui, mais aujourd’hui, je ne vais pas bosser.

— Ah bon ?

— Non, j’ai décidé de rester avec toi !

Il sourit, tel un enfant espiègle. Alors qu’à l’intérieur, l’effroi compresse ses organes.

Oui, j’ai décidé de passer le temps qui me reste près de toi.

Deux jours avec toi.

L’éternité sans toi.

— Mais… Et la clinique ?

— J’ai un remplaçant ! Ne t’inquiète pas.

Maud referme les yeux et Armand la contemple dans la lumière du petit matin.

Peut-être son dernier matin.

L’avant-dernier, dans le meilleur des cas.

— Tu as couché avec Luc ? murmure-t-il.

Maud répond machinalement, dans un demi-sommeil.

— Non… Il ne veut pas.

Reynier ferme les yeux à son tour.

— Et toi, tu le voudrais ?

Elle s’est rendormie, ayant cédé aux derniers assauts du somnifère. Mais son père connaît la réponse.

Oui, elle en aime un autre que lui.

Ça devait arriver un jour. C’était écrit quelque part.

Une évidence contre laquelle il a lutté.

Pourtant, malgré des relents d’une jalousie tenace, il n’espère qu’une chose. Que Luc la protégera, envers et contre tout.

Il faut qu’il appelle la clinique. Sa chère clinique. Qu’il prévienne son assistante qu’il ne viendra pas aujourd’hui. Qu’il ne viendra plus jamais.

Mais il ne peut se détacher de sa fille. Il a l’impression que son cœur n’y survivrait pas. Alors, il s’allonge sur le côté et la regarde finir sa nuit en essayant de trouver le chemin de ses rêves. De pénétrer par effraction dans ses jardins secrets.

* * *

Luc pousse la porte de la cuisine déserte et prépare son café.

Il aperçoit Amanda au bord de la piscine, en train de téléphoner. Malgré la fenêtre ouverte, il ne peut entendre ce qu’elle dit.

Il met la table pour deux, lui prépare une tasse de thé noir, comme elle aime. Alors, Marianne entre dans la pièce, vêtue d’une nuisette en satin. Ses cheveux sont lâchés, un peu emmêlés. Ses yeux, légèrement gonflés. Fatigués par une nuit trop courte.

Ou si longue.

Luc la regarde avec un sourire béat. Il la trouve tellement belle, au réveil.

Belle, tout le temps.

Elle s’installe en face de lui, le dévorant des yeux. Ils échangent un sourire complice et de son pied nu, elle vient caresser sa jambe, remontant jusqu’à sa cuisse. Il a envie de la renverser sur la table, de faire glisser les bretelles de sa nuisette, de mordre sa peau cuivrée, de s’enivrer de son parfum délicat.

Soudain, Amanda entre dans la pièce, vêtue de son tailleur noir et de son chemisier blanc. Ses cheveux sont attachés, sa coiffure parfaite.

Ses yeux, légèrement gonflés. Fatigués par une nuit trop courte.

Marianne disparaît aussitôt, le sourire de Luc s’évanouit avec elle.

— Salut, dit la gouvernante.

— Salut… Bien dormi ?

— Oui. Merci pour le thé, c’est gentil…

— Je t’en prie.

— Tiens, y a du courrier pour toi, dit-elle en posant trois enveloppes devant lui.

— Merci.

— Deux factures, apparemment, et une lettre… Maman t’a écrit !

Luc soupire.

— Lâche-moi avec ça, tu veux ?

— Te fous pas en rogne ! Je plaisante… Qu’est-ce qui se passe avec le boss ? Il devrait être debout depuis longtemps, déjà.

— Peut-être qu’il est malade.

Le visage de la gouvernante se crispe.

— Je voudrais que tu me dises ce qui se passe, exige-t-elle. Ce type qui est venu ici, qui m’a frappée, qui nous a menacés… Qui est-ce ? Qu’est-ce qu’il veut ? Pourquoi fait-il chanter Reynier ?

Luc attrape un morceau de pain et le tartine généreusement de beurre.

— Ce n’est pas à moi de te le dire, élude-t-il. Si tu veux des explications, demande-les au patron.

Amanda tourne la tête, visiblement contrariée.

— Je croyais que tu me faisais confiance.

— Ce n’est pas une question de confiance, rétorque Luc. C’est une question de discrétion.

La gouvernante pose sa tasse brutalement sur la table et dévisage le jeune homme avec colère.

— T’es devenu le grand ami de Reynier, c’est ça ?

— Mais…

— Qu’est-ce que tu crois ? Que tu vas épouser sa fille et empocher l’héritage ?

— Mais qu’est-ce que tu vas imaginer ? s’insurge Luc. Je fais mon boulot, c’est tout !

— T’as raison : ça te rapportera plus de baiser sa fille que sa domestique !

Elle quitte la cuisine en claquant violemment la porte.

— Si c’est pas l’une, c’est l’autre ! soupire Luc.

Il ferme les yeux quelques secondes. Lorsqu’il les rouvre, Marianne revient s’asseoir en face de lui.

Et son sourire lui fait oublier la fureur et les cris.

* * *

Il y avait longtemps que Reynier n’avait pas pris son petit déjeuner en tête à tête avec sa fille. Ils sont au bord de la piscine, installés sur la terrasse. Il se contente d’un café, serré, tandis que Maud mange avec l’appétit de ses vingt ans.

Il use ses dernières forces à masquer ce qu’il ressent. La douleur qui broie sa poitrine, le poison qui se répand dans son cerveau.

— Qu’est-ce que tu as envie de faire, aujourd’hui ? demande-t-il en souriant.

Maud le dévisage, étonnée.

— Tu es sérieux ?

— Comment ça ?

— Tu ne vas pas bosser, vraiment ?

— Non ! Je te l’ai dit, je veux passer un peu de temps avec toi…

— Mais enfin, papa, qu’est-ce qui te prend ?

— Ça ne te fait pas plaisir ?

— Si, mais… Tu es bizarre !

Reynier baisse les yeux et Amanda s’approche pour lui resservir un café.

— C’est bizarre de vouloir passer du temps avec sa fille ?

Maud hausse les épaules. Sa jambe droite se met à remuer sous l’impulsion nerveuse de son pied. Elle avale un verre de jus d’orange pour étancher sa soif.

Mais rien ne la calmera, elle le sait.

Le manque est déjà là, matinal et obstiné. Indifférent à ses prières.

— Venant de toi, c’est bizarre, oui ! balance-t-elle.

— Veux-tu que nous allions choisir un cadeau pour ton anniversaire ?

— Pourquoi pas, dit-elle.

— Tu as une idée ?

— Pas vraiment.

— Alors habille-toi, on va faire les boutiques !

Maud lui sourit enfin et le cœur de Reynier se met à saigner abondamment. Une véritable hémorragie interne.

— Je vais me préparer, dit Maud en disparaissant dans la maison.

Armand termine son café et part à la recherche de Luc. Il le trouve dans le garage, en pleine séance d’entraînement. Pendant quelques minutes, il observe le jeune homme qui enchaîne les coups avec une puissance et une rapidité saisissantes. Il regarde son corps, idéalement proportionné, idéalement musclé.

Il est une arme, à lui tout seul.

Puis Armand s’attarde sur son visage crispé par la douleur qu’il s’inflige.

— Vous ne devriez pas faire ça, dit-il soudain.

Luc s’arrête et reprend son souffle.

— Faire quoi ?

— Je vous rappelle que vous êtes blessé !

— Sans importance, affirme le jeune homme. La douleur, suffit de l’ignorer.

— Vous m’impressionnez…

— Il n’y a pourtant rien d’impressionnant à savoir taper dans un sac… C’est à la portée de beaucoup de gens.